Si Arnold se sent mal à l'aise en présence des autres, ce n'est pas le cas avec les chats.

Si le contact physique lui hérisse le poil, s'impreigne sur sa peau comme une marque au fer rouge, il apprécie les coups de museau contre ses poings.

Si les mots s'évaporent aussitôt qu'ils sont soufflés, et qu'il doit sans cesse analyser leurs formes, leurs sens, ce n'est pas aussi compliqué avec les chats.

Là où l'humanité échoue à communiquer avec lui, les félins s'élancent dans ses jambes et réclament son affection. Enfant, il se mettait à pleurer dès que son père le prenait dans ses bras. Enfant, il gigotait dans tous les sens quand on devait lui couper les cheveux. Il ne lui restait que le poil de ses peluches, la sensation du sable dans ses paumes qu'il contemplait filer entre ses phalanges. Enfant, il adorait déjà les chats, car les chats venaient quand ils voulaient de lui.

On dit qu'ils sont compliqués à cerner. Pourtant, Arnold sait que la queue dressée en point d'interrogation signifie qu'il a capté leur intérêt, et que les coups de tête contre ses jambes et ses poings, c'est une marque d'affection. Alors le mardi, quand Arnold le peut, il se déplace jusqu'à dans ce quartier pourri pour nourrir les chats errants. Des miaulements aux abords d'un hôtel miteux vers 23h. Des roucoulements excités, et des félins qui se lovent contre sa silhouette cassée en deux.

De loin, on dirait un SDF en jogging addidas et sweat en train de s'acclimater avec ses compagnons à poils. Le bonnet sur le sommet de son crâne est aussi vieux que ses chaussures, on voit des fils dépasser de tous les côtés. Le visage cerné, son œil valide suit les mouvements des chats avec amusement — il ne sourit pas, mais il agite les mains quand l'un des chats se met sur le dos pour lui montrer son ventre.

Puis un bruit l'arrête en pleine action. Sa main se suspend au-dessus du chat, qui lui réclame encore quelques caresses. Sa langue râpe contre l'eczéma sur le bout de ses doigts.

Tiens, il n'était pas censé être abandonné cet hôtel ?

Une fenêtre ouverte, une silhouette, un chat tout en haut en train de miauler de détresse. Arnold ne voit pas très bien, mais il croit voir une pâte pleine de sang. Et là, la vérité se révèle. Le chat est coincé dans un endroit dangereux et insalubre — la lumière de la chambre, il met ça sur le compte d'un éventuel squatteur. On ne sait jamais ici, si les gens sont juste des gens ou des monstres avec des visages humains.

Arnold sent son cœur se serrer, puis battre plus vite.

Immobile, il fixe la fenêtre en se préparant à une interaction sociale. Le script se met en marche, et dans sa tête, il dessine plusieurs routes possibles. Des phrases d'accroche, un ton à employer, tenter d'être autoritaire alors qu'il a toujours cette voix de neuneu collée dans le fond de sa gorge.

Les chats continuent de miauler, Arnold reste désemparé. Il ne peut pas abandonner le chat. Et pourtant... bon. Les gens ne lui font pas peur, les gens ne lui font pas peur, il parle tout seul. Les gens ne me font pas peur. Bonjour, a-t-il quelqu'un ? Il y a un chat blessé chez vous.

Arnold se décide enfin à rentrer dans l'hôtel, il pousse la porte. Ne trouve personne aux premiers abords.

Il fixe alors le sol à un mètre devant lui, les bras le long du corps. Un sourire contrit sur le visage.
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Arnold remarque un mouvement. Son œil se fixe aussitôt sur la personne face à lui.

Tout ce qu'il pense d'abord, c'est qu'il a fait son temps et qu'il y a un sacré fossé entre lui et les autres. Il est surpris d'abord de voir un gamin l'accueillir, il est surpris par le choix de sa couleur de cheveux aussi. Il est trop loin pour le voir saisir la batte de baseball, sa vision reste réduite à un unique œil. Lui aussi, il a été jeune et il a eu les cheveux colorés. On se cherche tous un jour ; certains plus que d'autres. Mais l'armée l'avait libéré de ses affres d'adolescent pour lui présenter un cadre, une route, des limites à ne jamais dépasser.

Les deux se jugent. Pourtant, Arnold ne montre pas ce qu'il pense. Il affiche un air perdu, désolé d'être là, prêt à s'excuser. Son silence devient long, car il doit se rappeler de la suite. Bonjour que voulez-vous. Enfin, bonsoir. Le temps se disloque, se brise, se refait.

« Des réservations. Un constat porté d'une voix rauque, indifférente. Il observe autour de lui. Je ne pensais pas qu'un hôtel aussi délabré accueille des gens. Aucun filtre, aucune douceur. Il ne se rend pas compte que le jeune homme face à lui pourrait se sentir insulté. Je croyais qu'il était occupé par des squatteurs. »

Arnold fronce les sourcils. Peut-être que le gamin aux cheveux colorés lui ment, et que cet hôtel n'est qu'une illusion. Après tout, tout semble sur le point de s'écrouler. Il fait quelques pas, inspecte le comptoir de loin — sa tête se penche sur le côté, son œil parcourt tous les détails. Il remarque que le petit est plus grand que lui d'un centimètre. Il appuie son pied sur les planches pour vérifier leur état.

Arnold ne croit pas la vérité. Il ne sait pas encore qu'il ne se trompe pas tout à fait ; il se méfie simplement.

« Je venais pour le chat, lâche-t-il alors avec neutralité. Premier étage, il y a des rideaux jaunes dans la chambre. Je crois qu'elle est occupée.Arnold fixe alors l'autre, il détaille longuement son visage à la recherche de réponse, il veut déterrer le mensonge et le contempler. On lui a trop de fois caché des choses, on s'est trop de fois moqué de lui pour qu'il arrive à croire de nouveau sans sourciller. Toutefois, le chat restait le plus important. Et Salt Lake City lui aura appris à ne pas approcher de trop près les squatteurs. Je peux monter ? »

Son œil roule à nouveau vers le garçon. Il se rend compte soudain qu'il peut refuser, et le pauvre animal devra rester seul. Devoir insister, jouer les gros bras, ça lui demandait trop d'efforts. Il songea alors qu'il pourrait toujours grimper à la fenêtre, sans se faire voir et récupérer l'animal.

En vrai, c'était ce qu'il aurait dû faire depuis le début.

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Il voit la surprise passer dans tes yeux.

Puis le mensonge se file, la toile se prépare et elle s'étend. Arnold est au milieu, sans avoir conscience qu'elle se referme sur lui. Il pense que tu n'es pas modeste en paroles, tu as un sourire tout à fait commercial. Ça lui donne un peu l'impression d'être dans une publicité, ou quand il visitait les cliniques pour son œil de verre. La misère est un business.

« Les chats sont des animaux indépendants. Si vous estimez que ce chat est une drama-queen, c'est que vous en côtoyez peu. »

Droit au but, quand toi tu prends des pincettes, des détours, danse et fais des pirouettes dans tous les sens pour le tromper. Arnold est dupe, mais c'est un vétéran. Il est habitué à ce monde-là.

Peu importe où il va, il est accompagné d'une ombre. Celle de cette nuit où son œil lui a été arraché, celle de la mort qui se présente tout doucement. Une aubaine. Il hésite alors, doit-il voir en toi le visage de ce monstre ? Ou bien n'es-tu qu'un enfant ? Le vert de tes cheveux est un feu-follet, là pour attirer, détourner.

« Ah. C'est dommage. »

Pour les subventions. Ton mensonge s'érige en vérité ; il y voit plus clair. À un battement de cils de tombée dans ton piège. Cookie. Le chat est blessé, tu dois être au courant ? Mais Arnold décide de ne pas te donner cette information. Il te teste. Il t'invente une quête, analyse ton attitude, veut vérifier l'amour que tu portes au chat. Il se fait juge, dragon, et c'est alors qu'il encaisse la nouvelle. Il te fixe sans bouger, indifférent, son regard est pâle.

Il tombe dans le panneau.

Un « okay », soufflé au bord de ses lèvres minces. Un regard qui se détourne aussitôt qu'il perçoit un bruit ; c'est le vent qui fait craquer le plancher, et les murs. Le vivant dans le non-vivant, les discrets soupirs de ton chez-toi. Il sort son porte-monnaie ; il compte payer et récupérer le chat. Il attrape deux billets de vingt dollars, de ses doigts blancs et recouverts d'ecchymose — quand ce n'est pas l'eczéma.

« Quarante ou cinquante ? Cinquante. Et je vais dans la chambre. »

Arnold avance d'un autre pas. Il tend les billets vers le gamin, inspecte le moindre détail — des pores de sa peau à la pointe de ses cheveux, un mirador tranquille et pourtant prêt à tirer.

« Si votre hôtel est dangereux, vous devriez faire appel à l'état pour éviter que les gens se blessent. Quoique, je ne pense pas que ce soit très légal d'accueillir du public dans cette situation. Ne vous en faites pas. Arnold s'arrête, regarde derrière toi. Il semble détendu, alors que tous ses sens sont en alertes. Arnold. C'est mon prénom. Lâche-t-il calmement. Sans demander le tien. Je suis militaire, je sais ce que je fais. »

En théorie.  

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Très urbain ? Mais que venait faire l'urbanisme ici ? Arnold fronce légèrement les sourcils. Il observe encore, se demande s'il est devenu un agent de l'urbanisme entre temps, ou si tu te moques de lui. Les expressions de jeunes, ce n'est plus ce que c'était. Tu laisses filtrer tes erreurs, entre deux sourires, entre deux mots doucereux. Le mensonge commence à devenir évident. Même pour Arnold qui n'est pas capable de remarquer quand on emploie le second degré. À défaut de saisir les émotions des autres, il sait écouter. Cookie, le chat. Son propriétaire qui refait la peinture de la chambre ? Mais c'est toi le propriétaire.

Malgré tout, le gamin se révèle un peu plus. Il admet qu'il n'y a rien de légal, il parle de refuge et d'hôtel qui n'en est pas vraiment un. Il déteste l'emploi de l'expression « âme égarée », car c'est un concept trop brut. Il n'en aime pas le misérabilisme qui en découle, la pseudo-bienveillance - trop habitué aux médisances pour te croire sincère.

« Oui, vous avez le droit. Tant que c'est légal. »

Si Arnold était plus malin, moins honnête, plus mauvais, il pourrait prétendre que son statut de militaire lui donnait l'autorisation de monter. Et d'en faire qu'à sa tête. Il n'y pensera tout simplement pas, et puis il ne souhaite pas forcément te faire peur. Mais tu bouges encore, son œil glisse dans un coin. Il fronce les sourcils, il croit remarquer une présence. Il n'est pas assez stupide pour omettre la possibilité d'être attaqué.

Le contact le fait reculer. C'est bref. Quelques secondes. Pourtant, ça s'enfonce dans le bout de ses doigts, comme des aiguilles sous les ongles. Il t'en veut et c'est évident.

« Enchanté Lee, répond-il aussitôt sans pause, par automatisme. Je suis désolé, je ne veux pas t'effrayer. Le tutoiement survint sans qu'il ne le fasse exprès, la familiarité est là uniquement à cause de son âge. Son sourire arrive ; il tente d'être doux et conciliant. Il est aligné en dents de requin, déconnecté et bancal - Arnold ne sourit jamais parce qu'il le veut. Juste parce que c'est la règle. Je ne crois pas vraiment à ton histoire, je nourris les chats du quartier. Ce n'est pas dans ses habitudes à Cookie, qu'importe le nom que tu veux lui donner, de ne pas descendre. Il lève la tête vers le plafond, il écoute. Sa respiration est faible, très discrète. Et je crois bien que c'est une femelle. Son sourire interrompu, comme une pause dans la conversation, une absence, revient. Je ne crois pas à ton histoire. Mais je ne te ferais pas de mal. »

Avec sa dégaine de SDF, de fou du métro, du gars qui parle tout seul - cela lui arrive de baragouiner dans sa barbe. Il replace son bonnet sur la tête. Directe. Il finit par comprendre les mensonges, quoique cela reste incertain - et s'il se trompait ? Et si tu n'étais que le fils des propriétaires ? Et si tu étais l'une de ces saletés de monstre ? Et si la chaleur dans le bout de tes doigts, ce n'était que son cerveau à lui, qui déconnait encore ?

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« Je suis rentré, car c'est ouvert. Si vous êtes un hôtel, vous êtes censé accueillir tout le monde à n'importe quel moment de la journée. »

Il repasse au « vous », mais ce n'est pas un « vous » qui te désigne. C'est toi et les autres, ton personnel, tes collègues.

Arnold commence à s'agacer. Rien n'apparait sur son visage. Que vous croyez avoir aperçu. Une respiration, qui fait gonfler sa poitrine et qu'il retient. Tu n'as pas tort, il ne sait pas mettre les formes avec les gens. Regarde, il a bu tes mensonges, malgré sa méfiance. Il suranalyse ton environnement, ce que tu racontes, il te croit puis il change d'avis. Il doute de ton visage et de ce qu'il apparait être dans l'obscurité, alors qu'il brûle à petit feu pour un putain de chat. Sa vie le bouffe.

Tu parles des gens malheureux. C'est peut-être le seul moment où tu es sincère ; cela lui échappe. Dans sa tête, ton ton ne change pas. Tes expressions restent figées dans la pierre - il n'en voit pas les traits qui se modifient -, il s'accroche aux détails de tes cils. Son œil glisse sur le côté.

Ah.

Une batte de base-ball.

Ça ne lui fait pas peur. Arnold se sait suffisamment fort pour casser la batte dans sa poigne. Toutefois, il se demande pourquoi les gens se sentent si peu en sécurité ici *, et cela l'attriste tout de même. Le climat dans la ville est anxiogène pour tout le monde.

« Je ne veux rien voler, lâche-t-il en fixant la batte de base-ball. Je peux même payer la chambre. Il ne fait pas le lien entre ta peur qu'il vole quelque chose, et sa dégaine de SDF. Le chat est blessé, c'est tout. Je peux le soigner. J'ai été médecin. À l'armée, je veux dire. »

Arnold ne baisse pas les bras. Son cerveau est hyperfixé sur l'histoire du chat, il ne voit pas le reste autour. Même tes cheveux verts ne semblent plus trop avoir d'importance maintenant. Il ne détache son regard de la batte de base-ball que lorsqu'un autre bruit fait craquer les planches. Est-ce que c'est le vent ? Des bruits de pas ? Il entrouvre la bouche, prêt à dire quelque chose, mais il se ravise et se contente de te regarder avec un air interrogateur. C'était peut-être la seule expression qu'il laissera échapper sur sa face émaciée.

« Je nourris les chats d'ici tous les mardis, avant de rentrer chez moi, il te donne les informations - ta malédiction sera de le recroiser par ici au moins une fois par semaine. S'il ne vient pas, cela signifiera deux choses : sa mort ou une mission. Pourquoi, c'est étonnant ? Tu n'aimes pas les chats ? »

Mais qui diable ici n'aimait pas les chats ? C'était peut-être pour ça... Il plisse les yeux, et fixe la batte de base-ball. Il ne fait rien, mais il se méfie clairement.



* Franchement, Arkham est une promenade de santé.

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Monsieur.

Arnold ne réagit pas, il n'aime pas personnellement être appelé « monsieur ». En vérité, il n'aime pas être genré ; correction : il n'aime pas être désigné tout court. Son prénom suffit, la plupart du temps, et il n'aime pas forcément répondre aux inconnus dans la rue — monsieur, avez-vous deux minutes pour notre association sur la préservation des endives aux jambons ?

Comme d'habitude, Arnold ne sent pas l'ironie ou le sarcasme dans ta voix. Il remarque peut-être que tu es agacé, car c'est l'ordre naturel de la conversation. La batte de base-ball est une menace dans le paysage, une présence caractéristique. Il ne peut pas te le reprocher, car on n'a pas besoin de permis pour porter une batte de base-ball. Se protéger, protéger cet endroit, l'empêcher de monter. Et le chat, alors ? Il n'en dormira pas de la nuit.

Les menaces d'appeler la police lui arrachent une autre expression. Un sourcil haussé, un œil blasé. Sur ses papiers d'identité, la mention de son statut les rangera de son côté. Si Arnold est respecté, c'est uniquement grâce à son grade. Quoiqu’il déteste les flics qu'il juge maladroits et idiots, incapables de faire respecter la loi sans user de violence.

« Ils ne vont pas se déplacer pour si peu, désolé pour toi, lâche-t-il dans un soupir. Tu as vu la gueule de cet endroit ? »

Même Arnold sait que la justice est du côté des plus forts. Là où les lois ne sont que des suggestions, les amendes un petit pourboire pour les forces de l'ordre.

« Ok, on fait comme ça. Il recule de quelques pas. J'attendrais alors qu'il descende. Le chat. Il croise les bras sur la poitrine, et il fixe le gamin droit dans les yeux. Impassible. Une statue de marbre érigée en plein milieu d'un plancher vieux et grinçant. Je suis patient. »

Si Lee décide de le mettre dehors, Arnold attendra devant. Il bougerait que si quelque chose de suspect se déclenche, non pas pour fuir, mais pour défendre. Bon, il se voyait déjà expliquer aux Regen la situation si vraiment la police faisait l'effort d'intervenir, mais il savait que la plupart d'entre eux étaient habitués à ses déboires et ses bizarreries.

« Je ne suis pas bizarre, d'ailleurs : une note soudaine, un soupir. Arnold examine tes cheveux encore, tes traits se confondent dedans. Il oubliera ton visage, mais pas tes cheveux. Si tu changes de couleur, il ne te reconnaîtra pas vraiment. Et toi, tu n'es pas très honnête, Lee. Sa langue claque quand il dit ta fausse identité. Ni très commercial. Mais j'imagine que ce n'est pas ce que les gens attendent s'ils viennent ici. T'es ouvert depuis combien de temps ? »





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Machin.

Nom masculin : Quelque chose de quelconque dont on ignore le nom.

Arnold encaisse, un peu perdu. Il a dévoilé comment il s'appelait, sans penser plus loin. Le sourire a disparu, le soleil est couvert par ta mauvaise humeur. Il sent les mots, leurs sens par contre, se contentent de percuter sa carapace sans l'émouvoir. Machin. Non mais. Il est passé d'Arnold à Monsieur, et maintenant à Machin. Cela lui rappelle ses premiers pas à l'armée, quand certains instructeurs claquaient des doigts pour l'appeler, car ils ne se souvenaient plus de son nom. « Mais tu sais Machin, le gars discret dans la lune ».

Le gamin s'énerve, même lui le voit. En fait, plus exactement, Arnold écoute les premiers reproches. Son attention se faufile ailleurs, vers le bruit de la batte de base-ball, puis s'en retourne vers l'escalier. Il observe un point derrière toi, ne s'intéresse plus vraiment à ce que tu dis.

Jusqu'aux menaces.

« Je ne pense pas qu'ils feront le poids, désolé, les excuses sont toujours sincères dans sa bouche. Arnold est capable de s'excuser, car il aura jugé de respirer trop fort. Je ne veux blesser personne, peux-tu éviter ça s'il te plait ? »

Si Arnold commence à se battre, il risque de blesser mortellement. Par réaction traumatique, parce qu'il est dressé pour ça. Les humains sont devenus fragiles à ses yeux, alors que sa vie à lui ne tient qu'à un fil. Il avale sa salive, puis son œil remonte au-dessus de la tête de Lee. Il désigne la silhouette derrière lui.

Tout en haut de l'escalier, deux petites oreilles noires se dressent, curieuses et inquiètes. Elles sont accompagnées par des pupilles fendues et vertes, rehaussées par le poil noir du félin. Le chat fait plusieurs mouvements de tête, hésitant à descendre, alors qu'il surveille les deux idiots en bas. Arnold retourne son attention sur le gamin aux cheveux verts, il attend patiemment. Mais il n'y a que le vent dehors, le silence de leurs souffles ; pas de présence du maître ou de la maîtresse du chat.

Si Arnold se retient de monter en te poussant au passage, c'est bien parce qu'il ne veut pas t'énerver ou te blesser. Physiquement du moins : l'on dirait que ton égo en a déjà pris suffisamment dans les dents. Son index se contente de se dresser en direction de l'animal, qui se met à lécher sa patte. On dirait que l'une de ses griffes s'est simplement cassée.

« Si je te laisse regarder, et si je te donne ce qu'il me reste de croquettes, c'est bon pour toi ? »

Il aura oublié le paquet dehors. Ce n'est qu'un détail. Son visage s'est radouci, ça lui demande des efforts supplémentaires pour être conciliant.



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Il le regarde. L'animal qui proteste dans un roucoulement et se laisse emporter par d'autres bras. Et la voix de Lee est lointaine. Il range les mains dans ses poches, et ferme le poing pour retenir un mouvement en direction de l'escalier. T'es là entre lui et le chat. Si cet endroit n'était pas un hôtel, il aurait compris plus tôt qu'il a dépassé les limites depuis longtemps. Son hyperfixation tourne en boucle dans sa boîte crânienne ; elle prend une telle place qu'il ne sait pas quoi faire. Par moment, Arnold se demande si tout ceci est vrai.

Si c'est bien son souffle qu'il perçoit, si c'est bien les gens qu'il voit et qu'il entend. Si c'est bien lui qui est dans cette réalité, ou s'il n'est pas mort cette nuit-là. Le temps s'effile, tu exprimes tes derniers commentaires pleins de colère. La fatigue le prend — les lumières, les objets, la rétine qui brûle et et et.

« Prendre la porte ? Au sens littéral ou figuré ? »

Sa voix est absente.

Arnold plisse les yeux, puis il se rend compte qu'il a pensé à voix haute. Il se confond en excuse (le chat), puis il fait un pas en arrière (le chat). Il serre la mâchoire (les lumières), puis comme tu lui as signifié la porte (les lumières), il fait attention pour ne pas se la prendre. Ou tout simplement pour ne pas tomber dans les escaliers.

Dehors.

L'air est froid, il se frotte les mains et gratte les plaques d'eczéma sur ses paumes. Il avance, le cœur lourd, puis il jette un dernier regard vers la fenêtre. Derrière les rideaux jaunes, il voit une silhouette qui caresse celle d'un chat. Des poils noirs, et du jaune ; des ténèbres avec l'éclat du soleil.

Et le malaise est grand.

Peut-être que Lee avait raison. Non, ce n'est pas tout à fait cela ; il lui a dit la vérité. La preuve s'affiche sur sa rétine, et Arnold fait demi-tour. Il rentre en trombe en manquant de tomber en avant. Il te cherche, il te trouve, avale les quelques mètres qui le sépare du comptoir pour déposer les quarante dollars promis plus tôt. L'offrande, son excuse, il ne veut rien en retour.

Les yeux écarquillés, il recule aussitôt en se confondant en une excuse, il lâcha :

« Je suis désolé ! »

Parce qu'il l'est vraiment.

Désolé.

De tout devoir remettre en doute, car il ne fait plus confiance aux autres. Parce que même les moments les plus simples de son existence le poussent à ne plus croire, et qu'il a la sensation sans cesse d'être suivi. Par le monstre de cette nuit-là, par la malédiction.

Il lève les paumes en signe de paix - il croit bien que c'est ainsi, il devrait penser à prendre des cours pour les interactions sociales -, puis s'apprête déjà à partir sans demander son reste.



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Le bruit de la batte de base-ball sur le sol le fait s'arrêter. Le corps est tendu, la tête rentrée dans les épaules, et les jambes légèrement fléchies. Arnold se prépare à quelque chose qui ne vient pas, une attaque portée par l'hypervigilance et ce que Regen a fait de lui. Il se retourne lentement, fermé, avant de voir simplement que Lee récupère l'argent. Il soupire, tant mieux. Puis s'apprête à partir de nouveau, jusqu'à ce que tu parles.

Prendre l'air.

L'air, ça ne se saisit pas. On ne peut pas l'attraper, elle file entre les doigts. C'est comme les interactions sociales, à chaque fois qu'Arnold pense les avoir intégrés, une nouvelle règle apparait. Et il se retrouve à devoir recommencer depuis le début. Il se dit que tu le détestes, ou que tu l'as trouvé chiant — concrètement, c'est le cas, et il le sait très bien où ses lubies peuvent le mener. Mais voilà que tu poses enfin la batte de base-ball, et que tu lui proposes de sortir.

Il recommence à douter de la réalité.

Toutefois, Arnold hoche la tête, accepte de te suivre malgré la poussée d'angoisse. Elle est légère, et dehors, il y aura moins de lumières qui grésillent pour saturer son cerveau et fatiguer son unique œil. Il sort le premier, cherche encore le chat du regard, avant de raccrocher son attention sur toi. Il se décale pour que tu rentres dans sa vision périphérique à droite. Il n'aime pas discuter en marchant, car cela réduit sa vision — où porter toute sa vigilance ? Sur la personne qui lui parle, ou sur la rue ? Il ne veut pas être impoli, mais il ne veut pas être pris par surprise non plus.

Tu poses des questions, et pour une fois, tu te montres plus direct. C'est mieux, faisons ainsi.

« J'ai déjà été en mission par ici, lâche-t-il calmement, même s'il doit regarder constamment autour de lui pour ne rien se prendre dans les pieds, et pour calmer son anxiété. J'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de chats, c'est sans doute à cause des usines et des gens du coin. Les endroits abandonnés ont tendance à attirer d'autres bestioles abandonnées. Monocorde, il n'enrobe pas la vérité dans de jolis mots. Il s'arrête alors, et il s'accroupit, puis il tend la main vers l'un de ses petits protégés. Ils sont un peu partout, à contempler ce qu'il se passe avec leurs grands yeux.Hyperfixation, lâche-t-il, imagine que ton cerveau ne puisse pas passer au-dessus de certaines idées. Moi, c'est de m'occuper des chats errants. Toi, c'est de protéger ton hôtel des intrus. Enfin, peut-être pas une hyperfixation de ton côté. Désolé, je ne devrais pas dire ce genre de trucs. »

Le chat se frotte à sa main, il laisse le contact venir, sentir les poils et poser les doigts dans son cou. Il ronronne.

« Je ne voulais pas t'insulter, je ne sais juste pas fermer ma gueule quand il le faut. »





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« Mh. Je ne trouve pas que tu parles trop, Arnold avale sa salive. Il continue de promener ses doigts le long du dos du chat. Mais je ne te connais pas. »

Lui, on lui a soufflé l'inverse. Il ne s'exprime pas assez, ou quand il doit le faire, il sent les mots se coincer dans sa gorge. Comme des lames qu'il n'arriverait pas à recracher, et qui cisailleraient toutes les syllabes voulant franchir la barrière de ses lèvres. Ce n'est pas grave, il préfère entendre et écouter que de parler. Les gens sont fascinants, leurs émotions aussi.

Tu te dévoiles ainsi un peu plus, tu en dis beaucoup et trop peu à la fois. Tu parles de secret, et des choses qu'il ne faut pas raconté. Arnold ne répond pas de suite, mais il accepte de ne rien dévoiler. Juge alors que si les flics étaient venus, c'était toi et tes secrets qui auriez été en danger.

« Je ne dirais rien. En échange, promets-moi que le chat ira bien. S'il faut payer des soins, je peux te donner de l'argent. »

Il n'a rien vu de particulier ; juste un jeune homme prêt à défendre cet endroit avec sa batte de base-ball. Il est tombé dans le panneau, il a sauté à pieds joints dans ton mensonge et il s'y fait engloutir. Il glisse une main dans sa poche, puis offre une friandise de saumon séché au chat. Celui-ci attaque sa main d'impatience, en sortant les griffes. Arnold n'y réagit pas spécialement.

Puis il y a ta question.

Quelqu'un d'autre aurait ri devant son absurdité. Mais Arnold tourne la tête vers toi, il se redresse. Les sourcils froncés, il pense aux Vesperis et aux siens. La guerre, elle est dans l'ombre de la ville. Loin des gens comme toi ; il croit que ton existence est paisible et est à des années-lumière de ce qu'il se passe véritablement dans ton hôtel.

« Euh non... c'est... il secoue un peu la tête. C'est juste que parfois, je peux être dépêché sur certains évènements, comme la fête nationale. Ma présence est là pour faire peur, la présence des militaires, ce n'est pas toujours pour les conflits. Il range les mains dans ses poches, le chat se roule à ses pieds, marque son territoire en frottant ses flancs contre ses tibias. Et sinon, je suis médecin militaire. Il l'était, relégué désormais au rôle d'assistant. Le mensonge sonne naturellement grâce au ton de neuneu un peu neutre de sa voix. Pourquoi, tu as des questions, Lee ? »

Arnold te fixe de nouveau. Il n'est pas particulièrement distant, intrigué peut-être. L'hôtel, c'était bien un squat finalement.


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