Il ne cherche pas à creuser plus. Tu penses que c’est une des choses que tu as le plus apprécié, aujourd’hui, avec lui. Qu’il ne cherche pas à te pousser dans tes retranchements et te tirer les vers du nez coûte que coûte. Tu lui souris un remerciement silencieux, cherche à te sortir la bouffe de la tête. Tu ne fais pas vraiment gaffe aux serveurs. Tu te dis qu’ils vont se remettre à parler de leurs propres potins. Ou, avec un peu de chance, d’autres clients vont entrer, plus intéressants.

Mais finalement, c’est Arnold qui rompt le silence. Ah. Le sujet est parfait pour t’aider à oublier le plat devant toi et rendre tes geste plus machinaux. Tu inspires, doucement. Pose les yeux sur lui. Tu n’aimes pas regarder les gens dans les yeux, mais là, tu en as comme… besoin. Pour te soutenir. T’épauler, à distance. Te faire penser à autre chose. Oublier. Un sourire étire tes lippes.

« Je suis serveur. »

Tu commences, doucement. Et alors que tu t’élances, tes doigts viennent jouer avec le métal de la fourchette.

« Je travaille dans un cabaret, qui ouvre en début de soirée et reste ouvert pratiquement toute la nuit. Il y a un bar au fond de la salle et des tables pour consommer – boire et manger. »

Et toi-même, tu réussis à te mettre en action. Une première bouchée. Tu fais ce que tu peux pour ne pas te focaliser dessus.

« À la base, mon ami – celui de chez qui je viens de déménager – m’avait contacté, en sachant que je cherchais du travail, pour y danser avec lui. Mais je ne danse pl-… pas. »

Une deuxième bouchée. À croire que tu essaies d’ingurgiter ça le plus rapidement possible pour être débarrassé et ne pas gâcher. Ce n’est pas totalement faux. Mais tu regrettes. Tu n’aurais pas dû la commander…

« Le patron a été sympa et m’a offert un job de serveur à la place. J’ai vraiment pas à me plaindre de comment il me traite. »

Tu passeras le détail que t’es passé entre ses draps, déjà. Mais pas parce que c’est ton patron. Juste parce qu’il est… attirant. Très. Trop. Bref. Tu toussotes. Prends une autre bouchée.

« Grave ! »

Tu te montres vraiment enthousiaste à sa proposition. Ca te ferait très plaisir, oui, de le revoir, déjà, passer du temps avec lui, ensuite, et peut-être découvrir un peu plus cette ville nouvelle.

« Tu as mon numéro, texte moi quand t’es dispo, un endroit, une date, une heure, j’vois pour me libérer et te retrouver ? »

Quitte à ne pas dormir de la nuit. Nouvelle bouchée. Elle passe un peu mieux. Peut-être parce que tu es plus occupé à te projeter sur un moment avec Arnold que sur ton plat…

« Enfin, après… je dis ça, mais je veux pas non plus que tu t’en sentes obligé. Mais… ça me ferait super plaisir. De passer du temps avec toi. »

Ah, tiens, tu l’as dit. Oups. Tu viens te gratter la nuque, te sentant un peu idiot, un peu nerveux. Et ton sourire trahit un peu tes émotions. Ou beaucoup. Bref. Au moins t’as été honnête, quoi. Mais en aucun cas tu le prends pour un péquenaud. Ni pour un mec bizarre, ni pour un relou, ni pour... rien de négatif, en vérité. Au contraire. Jusque là... Arnold ne t'inspire que du positif.

Tu es bien content d'avoir gardé son contact. Vraiment...

 

L’espace d’un instant, tu te dis que tu aimerais bien savoir ce qu’il se passe dans ta tête. Avant de secouer discrètement du chef pour chasser cette idée. Non, c’est mieux qu’il ait ses secrets. C’est mieux que tu le découvres petit à petit. Tu aimes bien le découvrir petit à petit. Découvrir ses sourires, qui ne montent pas jusqu’aux yeux mais qui te font quand même du bien. Découvrir ses intonations – toutes. Découvrir ses réactions quand tu le touches malencontreusement – et t’en excuser. Il y a un homme, là, devant toi, avec qui tu as passé un moment, que tu n’aurais pas voulu, de prime abord revoir, parce que ce n’est pas dans tes habitudes, mais que tu as choisi de garder. Au début, par égoïsme, un peu. Parce que utilité. Parce que…

Finalement, ce sera juste parce que lui. Parce que Arnold. Parce que sa bienveillance. Parce que sa gentillesse. Parce que tu te sens en sécurité, avec lui.

Tu ne peux rien promettre, encore moins quoi que ce soit dans le futur. Mais tu sais déjà que tu veux le garder à tes côtés le plus longtemps possible. Tu sais que tu veux le revoir. Tu sais que tu veux passer du temps avec lui.

C’est pour ça que ça te fait aussi plaisir qu’il te propose de te faire visiter la ville. Des coins. Des endroits. Passer du temps avec lui.

Tu te répètes, ahah. Mais c’est dans ta tête, donc on s’en fout, non ? Tu souris. Une nouvelle bouchée. Enfin. Finalement. Suivie d’une seconde. Histoire de terminer cette assiette.

« Hmm… la vérité c’est que je ne sais pas trop ? J’avais pas vraiment beaucoup de temps libre, avant. »

Tu marques un temps. Une pause. En profite pour prendre une nouvelle bouchée. Et enfin, pour faire couler un peu, tu viens siroter ton cocktail, un peu. Faire taire ton cerveau. Take that depression, AH ! Si seulement tu pouvais dire des trucs pareil à tes issues.

« Je pense que je m’en fiche, en fait. Tant que je passe un moment avec toi. Alors… théâtre, cinéma, bowling, magasins, parcs, jardins, rando en dehors de la ville… Je te suis. Faut que ça te fasse plaisir, à toi aussi. »

Tu réponds, enfin. Le plus sincèrement possible. C’est… vraiment amusant, comme tu te sens à l’aise avec lui, assez pour pouvoir lui dire de telles choses. Alors que tu ne le connais pas tant. C’est juste…

Une évidence.

Et tu remercies toutes les forces de l’univers qui peuvent exister, de vous avoir fait vous rencontrer. Ou matcher.

 

« Pas beaucoup… »

Tu réponds, du tac au tac à sa question. Mais ça vous fait un point commun, visiblement. Tu déglutis, doucement. Arnold rit. C’est amusant. Tu l’aimes, son rire. Mais il s’arrête, très rapidement. Tu pourrais fondre sur place. Peut-être. C’est à ton tour de rire, doucement.

« Tant que tu ne disparais pas sans me prévenir, j’ai rien à redire. »

Tu déclares. Tu tranches. Tu demandes… ? Tu ne le prendrais pas bien de le voir disparaître. Devenir un fantôme. Comme ce connard qui prétendait tenir à toi mais qui t’a abandonné dès que tu n’as plus pu danser. Tu inspires profondément. Nouvelle bouchée. Tu as bientôt terminé, en vérité. Celle-ci, tu la dévores avec rage.

« Je… passais le plus clair de mon temps à m’entrainer, répéter, entre les cours et la salle, la scène et coulisses. »

Tu en as dit beaucoup. Bien plus qu’à n’importe qui depuis que tu es arrivé ici. Mais tu peines à aller plus loin. Pour l’instant. Peut-être une prochaine fois. Peut-être… ça va dépendre de ton évolution. Des progrès que tu fais.

Finalement, il te demande si il peut goûter. Tu le regardes, un instant, un peu surpris. Mais surtout parce qu’il a failli renverser son verre et que les mouvements brusques te surprennent facilement. Ca t’a même fait sursauter et monter un pic d’anxiété. Qui se calme, quand tu constates que la table n’est pas noyée et que rien n’a trop été gâché. Toutefois, tu viens tamponner avec ta serviette pour éviter qu’il se trempe le bras. Puis, reviens à tes moutons.

Tes doigts saisissent le verre, que tu viens poser devant lui. Tu ne le lui tends pas. Tu le lui présentes. Éloigne ta main pour éviter tout contact fortuit. Tu respectes ses limites que tu as compris en un après midi.

« Vas y. C’est… sucré, par contre. »

Fruité, aussi.

La vérité, la raison pour laquelle tu préfères te bourrer la gueule avec des cocktails bourrés de sucre qui trigger ton TCA, c’est que…

C’est moins dégueulasse à gerber, quand ton foie n’arrive plus à gérer l’éthanol.

Un sourire désolé sur les lippes. Des aveux silencieux qui ne franchissent pas tes lèvres. L’alcool te fait tout oublier, mais ça laisse souvent un goût dégueulasse en bouche.

Moins glam', d'un coup.

 

(TW mention self harm)


Tu n’as pas pensé qu’il pourrait te frapper. C’est compliqué à expliquer et en même temps, c’est totalement stupide. C’est juste un mouvement qui te surprend. Comme un jumpscare. Mais c’est pas censé être un jumpscare. C’est dans la même catégorie qu’un ballon qu’on explose sans que tu aies eu l’information avant qu’on va l’exploser. Ça te fait sursauter sou l’effet de surprise. Tu t’excuses, tout de même, un peu penaud, te sentant un peu idiot.

Il prend ton verre, vient y goûter. Tu ne saurais trop décrypter ce qui passe sur son visage. Tu penses simplement, à la façon dont il parle d’autre chose sans commenter plus le cocktail que ça ne lui a pas plu. Tu souris, doucement. Reprends ton verre pour venir en prendre une gorgée, à ton tour, en faisant attention de ne pas boire là où il a bu lui – ça aussi, ça fait partie de tes petites manies idiotes. Mais tu ne supportes pas de poser les lèvres là où quelqu’un les a posé. Tu ne supportes pas de boire dans une gourde ou une bouteille, ou une canette ou quelqu’un a déjà bu. Tu dois essuyer constamment et prendre sur toi si tu y es forcé. Tu trouves tous les prétextes pour ne pas prêter ta bouteille. Un verre, encore, tu peux le faire. Déjà, car tu peux poser tes lèvres ailleurs. Ensuite… c’est Arnold. Et bizarrement, ça te rebute moins que quelqu’un d’autre.

Pourtant, tu es bien capable d’embrasser quelqu’un. Oui. Dans des conditions spécifiques. Et c’est toi qui inities le contact. Qui indique clairement ce que tu veux. Autrement… les fluides corporels te dégoûtent.

Bref.  

« Oui, c’est sympa. Je pense que je vais me noter l’adresse pour une prochaine fois. Si je cherche un endroit calme. Ou … si je suis accompagné d’une super personne qui aime le calme. »

Tu lui souris, pour essayer de lui faire comprendre que tu parles de lui. Mais bon. Tu ne sais pas si tu es assez clair ou pas. Tant pis. Enfin, nouvelle question. Nouveau sujet. Tu réfléchis un instant.

« Hmm… j’ai cherché sur Craigslist. L’appart est neuf, le proprio cherchait à le louer le plus rapidement possible et, de ce que j’ai compris – et c’est pas con – le prix étant assez élevé pour une seule personne ou un couple, il s’est dit qu’il aurait plus de chance en foutant ça en coloc. Et … les places sont parties comme des petits pains. »

Tu marques un temps, celui de boire une gorgée et commander un petit frère au cocktail – pardon Arnold. L’alcool commence déjà un peu à monter. Délier les langues.

« Je… te cache pas qu’à la base, je voulais pas d’une coloc. Mais quand j’ai vu l’annonce, quand j’ai vu les photos de l’appart’… j’ai réfléchi. Et… »

Une pause. Tu finis ton verre.

« Je… me suis rarement senti aussi seul que depuis mon accident. Et ça s’est accentué, en déménageant ici. J’en avais besoin ; et attention, je ne regrette rien ! Mais… je connais mes tendances à… faire des conneries. »

Une inspiration. Un aveu.

« Vivre seul, ce serait la porte ouverte à me foutre en l’air. »

Tu susurres, sans oser le regarder. Les yeux baissés sur ton verre vide, avec lequel tu joues, faisant tourner les glaçons.

« Je me suis dit que… au moins… avoir des gens, ça me retiendrait… peut-être… de faire une connerie. Ou des conneries. Je… sais pas trop. J’ai pris ça pour… une assurance vie ? »

Tu ris, te sentant un peu pitoyable. Ce n’est pas tant visible sur tes bras. C’est plutôt l’intérieur de tes cuisses qui a pris. Parce que tes cuisses, elles étaient cachées sous les collants opaques. Alors que tes bras… on les voyait. Toujours. Tout le temps. Tu as bien une trace ou deux qui trainent, peut-être trois ou quatre si vraiment on regarde bien. Mais tes jambes, elles, sont telles les murs des grottes de Lascaux. Tu inspires, profondément. Viens te passer une main sur le visage.

« Désolé. Je… veux pas t’inquiéter. Je vois quelqu’un, promis. Je me foutrais pas en l’air. »

Tu enchaines, d’un coup, un peu paniqué d’avoir autant parlé. Autant avoué. Autant… confié tes faiblesses.

 

Le premier degré d’Arnold te touche. Profondément. Et tu te mords la lèvre inférieure, doucement. Amusé.

« C’est de la jalousie que j’entends poindre en arrière ton ? »

Tu as demandé, les coudes se posant sur la table. Ça, c’était avant de perdre de ta superbe. Tu t’es un peu décomposé. Et visiblement, le public est en haleine. Si bien que c’est limite si tu n’entends pas les « gasp in Spanish » des serveurs quand… Non, en fait, tu es trop déstabilisé par cette réponse qui n’a strictement rien à voir avec la choucroute.

Tu restes interdit, un instant. Et tu … exploses de rire ? Jusqu’à ce qu’on vienne te déposer ton deuxième verre. Mais il est balayé bien rapidement lorsque tu vois cette main tendue. Offerte. Tu as bien compris qu’il déteste le contact. Et pourtant, aujourd’hui, c’est la deuxième fois qu’il t’en offre un. Alors, tu viens la saisir. Te rappelant de la fermeté qu’il t’a imposé, plus tôt. Tu essaies de la reproduire pour ne pas le mettre plus mal à l’aise qu’il doit l’être, encore. Et tu en as… oui. Les larmes aux yeux. Dur, même, de te contenir, lorsqu’il continue de parler. Qu’il te dit qu’il ne te jugera pas. Qu’il s’excuse. Qu’il est franc. Qu’il te… qu’il réitère ses propos, t’indiquant qu’il reste disponible pour toi. Ta main de libre vient cacher ton visage, un instant. Le temps que tu respires. Que tu essaies de calmer ce qui monte.

Lorsque ça va un peu mieux, tu la retires. Et te permets juste de répondre un petit « merci » soufflé, pour resserrer un dernier coup la prise de tes doigts sur les siens et le relâcher. Le libérer de ce poids. Tu ne veux pas trop lui en imposer, non plus.

Aah. Retrouver contenance. Vite, ton nouveau verre. Une gorgée. Deux. Trois. N’oublie pas que c’est pas de l’eau, quand même. Putain. T’es sûr que tu veux aller bosser, ce soir ? Ahah… Ce serait peut-être plus raisonnable que non… Jun va te défoncer, non ? Bah. Tu diras que t’étais malade. Ça passera, nan ? Tant pis.

Tu réussis à te ressaisir, un peu.

« Je… tu ne m’as pas blessé. Au contraire, en fait, c’est… étrange, mais me faire déstabiliser de la sorte c’est ce dont j’avais besoin, je crois. »

Tu susurres, un peu penaud, sans oser le regarder.

« Je sais pas non plus si tout le monde pense à ça. Je… j’espère que non, en fait. »
Tu avoues, doucement, en hochant du chef, légèrement. Viens te gratter la nuque.

« Mais je… j’apprécie. Que tu offres ta présence. Je… crois que c’est tout ce que je cherche, en fait. Une… présence. »

Même juste regarder un vieux film tout moisi en mangeant du popcorn, l’un à côté de l’autre, quoi. Bref. T’es parti loin, encore.

« … j’ai un peu niqué l’ambiance, nan ? »

Tu finis par marmonner, en ricanant, essayant de blaguer de la situation comme tu peux. Avant de reprendre.

« Oh. Au fait… tu sais, quand je parlais de revenir ici avec quelqu’un qui aime le calme… Je parlais de toi, Arnold. Pas de quelqu’un d’autre. Désolé de pas avoir été assez clair… »

 

Ce sourire-ci te réchauffe le cœur et te fait monter le rose aux joues – ou bien est-ce l’alcool ? Qui sait. Tu pinces les lèvres, un peu timide, d’un coup, avant de sourire, à ton tour, en réponse. Surtout avec ses mots qui te rassurent un peu plus encore. Tu déglutis, doucement. Joues avec ton verre, un peu.

La suite, c’est toi qui tente d’expliciter. Et lever un voile. Et lui qui capte. Et réagit. Et… Oh. Enfin, il te semblait bien l’avoir deviné, mais…

« Tu sais… enfin, non, tu sais pas, mais je veux dire. Hésite pas à me demander d’expliciter, si je le suis pas assez. Quand je le suis pas assez. Si tu en as besoin. »

Tu hoches du chef, pour appuyer tes propos, doucement.

« J’essaie… d’apprendre à bien m’exprimer et exprimer mes pensées, mais ça peut ne pas être toujours bien compréhensible pour tout le monde. Et euh… euh… des fois je sais juste pas m’exprimer correctement ou m’exprimer du tout. Alors. Ouais. Hésite pas. »

Tu viens te masser la nuque, remonter dans tes cheveux, un instant.

« Je veux pas que tu ressentes un malaise quel qu’il soit parce que je peux être un peu un boulet quand je m’y mets. »

Une nouvelle pause. C’est dingue ce que tu peux avoir à dire, avec lui, tout de même. Mais ouais, tu inspires, arrête de jouer avec ton verre – parce que t’as failli te le renverser dessus, en fait, en plus.

« Et tu peux me dire n’importe quoi ! Je veux dire. Même si ça sort de nulle part, hésite pas. Je… c’est marrant de dire ça, mais « je suis pas aussi fragile que j’en ai l’air ». Je crois. Je crois ? »

Tiens. C’est vrai ça. Tu l’es ou tu l’es pas ? Parce que… parce que… tu as tes fragilités, tu as tes faiblesses. C’est vrai. Mais peut-être moins qu’avant ? Ou… faudra que tu vois avec ta psy. Que tu fasses un point avec son aide. Là, de suite, t’es un peu dans le flou.

Ca doit être l’alcool.

« Mais j’ai très envie de te serrer dans mes bras. »

Ah. Oh. Ca sort d’où, ça ? Sûrement de la journée complète, en fait.

« Pardon, oublie. C’est… eh. Je savais pas que j’avais l’alcool câlin. »

Tu ricanes, un peu bêtement. Ouais. Tu vas peut-être pas aller bosser, ce soir. Normalement, tu tiens mieux. Mais normalement, t’as pas aussi peu de sommeil dans les veines ET un déménagement. T'es pas bourré. T'es bien, là. Il fait bon. Tu te sens bien. Tu te sens en sécurité. Assez pour dire des choses.

« Est-ce que... y a un truc que tu aimais faire, à une époque, que tu as du arrêter pour une raison X ou Y et qui te manque...? »

 

Tu accueilles sa réponse avec un hochement de tête. Lui indiques simplement que tu ne changeras pas d’avis et que si besoin, il a juste à te demander. Mais tu ne rebondis pas vraiment dessus. Tu ne veux pas insister.

Tu rougis, quand il te « confirme » que tu es plus fort que tu ne le penses. Tu souris. Soupires. Peut-être. Sûrement ? Peut-être. Tu continues à en douter, malgré tout. Mais si tu étais si fragile… non, tu ne continues pas cette pensée. Secoue la tête, doucement, pour te sortir la pensée de là.

Ne reste qu’un blanc, un instant, à ta déclaration. Puis sa réaction. Et … alors, tu rougis plus encore. Gêné, tout à coup. Tu fais non du chef, viens te gratter la nuque.

« Vraiment, m’écoute pas… c’est pas… non, fin… C’est qu’une envie qui m’est passée en tête mais c’est rien vraiment, passons à autre chose, tu veux bien ? »

La suite, donc. Les fameux hobbies. Tu l’écoutes, attentivement, en hochant du chef. Tu ne juges pas – ce n’est pas le but, déjà, et puis… tu te sens incapable de juger Arnold, en vérité. Toutefois, tu ne « comprends pas » ce qui pourrait le pousser à collectionner du sable. Et ça t’intrigue. Pareil pour les cailloux.

« Le sable ? », tu demandes, pour commencer. « Qu’est-ce que tu trouvais d’attirant dans le sable pour le collectionner ? Et comment tu faisais ? Par bouteilles ? Flacons ? »

Peut-être que c’est qu’un prétexte pour mieux le comprendre lui. Pour apprendre à mieux le connaître. Pour l’écouter parler. Pour allonger votre temps passé ensemble.

Mais la question t’a été retournée. Toi ? Tes doigts viennent tapoter le bois de la table, avant de dessiner des arabesques invisibles.

« Moi je… »

On y arrive, hein ? La première fois que tu vas en parler, de toi-même, depuis… depuis ton arrivée à Arkham. Tu es venu ici dans l’espoir d’oublier le reste, de le laisser derrière toi. Mais au fond, comme l’a dit ta psy, on ne peux jamais entièrement faire table rase de son passé et celui-ci finit toujours par nous rattraper. Il vaut mieux l’embrasser plutôt que le fuir, c’est ça ? Soupire.

« Moi, je dansais… »

Tu susurres, dans un souffle. Tu ne le regardes plus. Tu n’oses pas. Tes ongles raclent le bois.

« Je dansais depuis que j’ai appris à marcher. Danse classique. Matin, midi, soir. Je pensais danse, je rêvais danse, je vivais danse. »

Un sourire triste étire tes lèvres. Les larmes perlent. C’est un abcès bien sale que tu es sur le point de percer. Tu ne l’as même encore jamais fait, avec ta psy, toujours sur la défensive dès qu’elle essayait de t’emmener sur ce terrain. Sur ce sujet. Tu inspires profondément. Tu ne veux pas pleurer.

« J’ai dû arrêter. »

Pas de détail.

« C’est fini, c’est derrière moi. »

Mais ça te manque. À en crever. Et tu n’avoueras pas que tu crèves de jalousie quand tu vois tes collègues sur scène, au cabaret.

 

Tu as trouvé le courage de faire quelques pas. Tu n’arrives toutefois pas à aller plus loin, te sens sur le point de tomber. Tomber. Encore ? Non. Tu sens… quelque chose qui te retient. Une force. La tienne ? Arnold. Son sourire. Ses paroles. Ton cœur se gonfle. Te remonte dans la gorge. Ou bien est-ce un sanglot. Tu oublies comment respirer, un instant, tellement tu veux lutter pour le garder pour toi. Mais tu craques.

Un éclat t’échappe. De rire. De toi. Un souffle. Des larmes. Un sanglot. Mais tu n’as pas l’air… non, tu n’as plus l’air si triste. Tu souris, à travers tes larmes. Toutefois, tu baisses le visage. Viens le cacher dans tes mains. Essaies d’essuyer au fur et à mesure, en vain. Alors tu abandonnes. Tant pis, si on te voit pleurer. Tant pis, pour les serveurs. Tu as besoin que ça sorte. Alors, tu laisses sortir.

Tu aurais bien besoin d’un câlin, en fait.

Tu attends que ça passe. Tu attends de pouvoir reprendre le contrôle. Et quand ça vient, tu prends le temps d’inspirer profondément et expirer. Puis, boire une gorgée. Un serveur vient, silencieusement, déposer quelques serviettes. Tu n’oses pas vraiment lever le regard vers lui, non plus. Il semblait pourtant vouloir savoir si c’était la faute de ton compagnon ou non, si tu pleurais. Tu ne lui donneras aucune miette d’information. C’est ton moment, à toi, et à Arnold. Mais tu le remercies, pour les serviettes. En prends une pour venir t’essuyer le visage, essuyer tes larmes.

Une nouvelle inspiration.

Un sourire.

Tu te sens… un peu plus léger. Et ce n’est pas que l’alcool.

Tu ne reviendras pas tout de suite sur le sujet, parce que tu te sens encore un peu fébrile. Mais ça te fait du bien d’avoir pu vider un petit peu ton sac.

« Tu as… dit que tu venais de Salt Lake City, c’est ça ? C’est comment ? Je n’ai jamais eu l’occasion de visiter. Je suis né à Boston, moi. J’ai pas vraiment eu l’occasion de voyager, ma troupe commençait seulement à bien marcher en local… »

Tu aimerais voyager. Un peu. Avoir quelqu’un avec qui changer d’air. Avec qui te sentir libre. Avec qui… vivre, peut-être. Être toi-même.

 

Il te parle d’un film. Tu n’as pas la référence. Mais tu essaies d’imaginer d’après tes mots. Ça a l’air plutôt beau. Tu aimerais bien visiter. Peut-être. Ca. Et d’autres villes. New York. San Francisco. Peut-être. Tu souris.

« Je connais pas ce film. »

Tu finis par dire, doucement. Jouer avec ton verre, de nouveau. Boire une gorgée. L’alcool monte. Te rend un peu plus bold.

« Mais ça pourrait faire une idée d’activité à faire ensembles, la prochaine fois qu’on se verra. S’il fait moche. J’ai un canapé à l’appartement, y a une télé. Je préviendrais les colocs, histoire qu’ils viennent pas faire chier. Et sinon, j’ai un ordinateur portable et un lit deux places – assez large pour pas que je te touche, hein. »

Tu marques une pause. Un temps. Rougit. Est-ce qu’il va penser que tu lui fais du rentre dedans ouvertement ? C’était pas le cas ! Ce n’est pas le cas ? Oh. Là, tout de suite, tu ne sais plus. Un peu perdu.

Concentre toi. Des trucs que tu veux savoir ? Ben…

« Qu’est-ce que tu viens foutre à Arkham ? Enfin, p’t’être plutôt… Comment t’as atterri ici ? Salt Lake City c’est… »

Ca te demande un temps de réflexion pour repenser à ta géographie, tiens.

« … c’est à l’autre bout du pays, quoi. »

Tu achèves ta phrase, enfin, après avoir trouvé la solution. Enfin. Tu crois. Imagine tu te plantes ? Non. Quand même pas ?

« T’as déjà mis les pieds à Boston ? Tu voudrais visiter ? Je pourrais t’emmener visiter, si tu veux ! »

Ah, voilà. L’alcool tape. Ah. Faudrait peut-être que tu penses à envoyer un message pour prévenir que tu viendras pas. Ou alors, si, tu y vas ? Mais en l’état, vraiment… Non. Pas bonne idée. Téléphone. Message Whatsapp à Jun.

Pardon patron, je me sens pas bien. Je serais absent ce soir.

Rien de plus. Tu t’expliqueras plus tard. Peut-être. Si il te pose la question… ? T’aurais pu être mettre plus de formes, quand même. Mais tu te sens pas en capacité d’être plus explicite. Moins concis. Moins direct. Moins… familier, aussi, peut-être. Ah. Jun…

Arnold. C’est Arnold qui est là avec toi. Et tu commences à être bien pompette.

Ca ne t’empêche pas de finir ton verre. Et d’attendre ses réponses.

 

Il accepte. Il accepte l’invitation. Et peut-être qu’il n’y a pas vu un sous-entendu. Bon. Parfait. Et puis… l’idée, concrètement, de le revoir, dans un cadre tranquille, intimiste… oui. Ca te fait plaisir. Très plaisir. Mais le reste, vraiment, te remonte le moral encore plus. Toi aussi, tu vas te faire un devoir de devoir organiser une journée entre vous, à Boston. Tu hoches du chef, doucement, tout en tapotant ton message. Avant de relever le visage.

« Ah, pardon ! Non ! Euh. Ça va ! C’est juste. Je… bon. J’viens de prévenir mon patron que je serais pas là, quoi. Je vais pas aller bosser, ce soir. »

Tu fronces les sourcils, un peu désolé.

« Je voulais pas que tu penses qu’y a quoi que ce soit. Juste… tu sais. Être polit avec le type grâce à qui je paie mes factures. »

Tu soupires, doucement. Bon. Hein. C’est pas que ça. Mais faut pas y penser. Vraiment pas y penser.

« Te presse pas, du coup. J’ai toute ma soirée, du coup. »

Du coup, du coup. Tu te répètes. Disque rayé. Tu te sens con, alors que tu t’en rends compte. Nouveau soupire. Petit sourire. Léger rire.

« Je vais m’arrêter à ce deuxième verre. J’ai… pas assez dormi pour plus, ni trop mangé au préalable. Eeeh. Par contre je prendrais bien l’air. Enfin. Je marcherai bien quoi. Enfin. Genre. Pas forcément tout de suite hein. C’est… »

Une inspiration. Ah.

« Ca y est… j’en arrive au point où je deviens bancale… »

Tu soupires. Ricanes. Te gratte la nuque. Te passes la main dans les cheveux.

« Tu connaitrais un parc dans le coin – ou pas – où on… je ? pourrait aller ? »

Tu finis par demander, doucement. Si non, tu regarderas sur ton téléphone. Mais t’as envie de te poser dans un coin de verdure, un peu calme. Tranquille. À l’abri des regards. À l’abri des gens.