Deux semaines.

Deux semaines pour se préparer au rendez-vous.

Arnold n'avait pas souhaité qu'ils se rencontrent chez lui. Son appartement est son dernier refuge, son petit jardin secret comme on dit. Si tout est parfaitement rangé, si tout est à une place bien définie, la venue d'une autre personne serait comme franchir ses limites. À l'intérieur de lui.

Bref, Arnold se justifiait dans sa tête de ne pas t'accueillir dans son chez lui. Au lieu de ça, il te donna rendez-vous dans l'un des parcs où il a l'habitude de s'entraîner. C'est très bien. Terrain connu en fin de journée, car il sait que tes nuits sont longues et qui tu passeras une partie du temps à te reposer. Le soleil décline derrière les arbres, les feuilles ne repoussent pas encore. Il fait froid et il sent le vent transpercer son pantalon. Assit sur un banc, les genoux serrés l'un contre l'autre, les mains sur la boîte en cookie, il attend.

Des cookies qui n'en ont que le nom.

Andrea ne s'est pas pris le risque de les manger, quelques années auparavant - alors que dans ce même parc, Arnold lui courait après pour savoir comment ça allait. Maintenant, c'est toi qu'il attend. Un hoodie gris sur le dos, son bonnet noir sur le crâne, on dirait qu'Arnold attend son client pour lui vendre son cannabis. Mais les cookies - encore une fois - qui n'en ont que le nom sont parfaitement rangé dans la boîte en fer. Il y en a une dizaine, à la farine d'épeautre, avec du lait végétal et de l'huile de coco. Ils ne goûteront rien, car il n'y a pas de sucre, mais surtout soixante grammes de protéine sans saveur.

Cette fois-ci, il a des mitaines aux mains. Ses doigts tapotent sur la boîte en métal, tandis qu'Arnold contemple le parc perdu dans l'hiver. Les arbres déplumés, l'herbe recouverte d'une fine couche de givre, ou encore le soleil en loin qui soupire ses derniers éclats de chaleur. Ce genre de panorama lui rappelle Salt Lake City.

Une vie presque normale.

Les lampadaires qui encadrent chaque chemin du parc ne tarderont pas à s'allumer, ils répandront des auréoles de lumières, comme des oursins colorés et brillants - c'est ainsi que lui voit la lumière dans la nuit, de son œil fatigué qui l'oblige à se tourner et se retourner à chaque fois qu'on approche. Arnold relève le menton vers le ciel, il grimace, avant de reprendre son smartphone.

Salut Lee, comment ça va ? Tu as deux minutes de retard, mais ce n'est pas grave. Moi ça va.

Arnold soupire, il espère que tu aimeras quand même les cookies. Si ce n'est pas le cas, ce n'est pas trop grave ; il les gardera pour lui.


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Tu le surprends.

Arnold se tend, ses muscles gonflent, et il a un léger mouvement de recul. Il en oublie de te dire simplement bonjour. Méfiant, il finit pourtant par se détendre quand tu débites. Il est vrai que tu parles beaucoup Lee, plus que lui. Enfin, ce n'est pas non plus difficile. Au moins, tu as toujours des trucs à raconter, et ce n'est pas déplaisant de t'entendre. Parfois, il doit simplement se concentrer plus que d'habitude pour s'assurer qu'il suit correctement ce que tu racontes. Mais aussi pour vérifier qu'il n'y a pas de sous-entendus, de jeu de mots, d'expression bizarre, ou des remarques juicy - comme disent les gens.

« Non. J'ai bon. »

Sa température corporelle est correcte, estime-t-il. En fait, Arnold n'aime pas avoir trop chaud, c'est inconfortable. Avec son hooddie et son jogging, c'est juste ce qu'il faut pour sentir l'air sur sa peau. Le bout de ses doigts est glacé, mais le reste est chaud. Il se décale pour te laisser la place, le corps tourné de trois quarts vers toi. Là, c'est bon. Il peut voir ton visage, tes cheveux colorés, ce qu'il se passerait derrière toi si jamais il y avait une urgence. Il se racle la gorge, puis tu mentionnes les cookies. Il ouvre la boîte.

Ils sont là, parfaitement alignés. Dix cookies d'une couleur sableuse, sans noisette et éclat de chocolat. Parfaitement rond, sans trace de ses doigts. On dirait qu'ils viennent d'une image trouvée sur internet, pire, on dirait qu'ils ont été généré par IA tellement leur forme est parfaite et maîtrisée.

Ils ne sont beaux qu'en apparence.

« Oui, je viens souvent. Répète-t-il en désignant une partie du parc, grossièrement caché par les arbres. Je fais souvent du street work-out ou de la callisthénie. Très tôt le matin, comme ça il y a personne et je ne suis pas obligé de partager le terrain avec les autres. Il fronce les sourcils, peut-être que ça sonne égoïste. Mais Lee, tu comprendras. Comment peut-on être déter avec deux cafés ? Si je me laisse faire, je pourrais en boire toute la journée, ça ne me fait pas grand-chose. »

Arnold est le genre de personne qui peut boire du café pour s'endormir. On n'est pas tous égaux.

« Tu vas bien, constat, un sourire dans sa tête. C'est chouette. »




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« Callisthénie, répète patiemment Arnold sans jugement. Puis il t'épèle lentement, consciencieusement le mot. C'est une discipline de street work-out, c'est ça, ma chaîne Tik Tok. En fait, le but est de faire des figures, et c'est qu'au poids du corps. Pratique. »

Une discipline qui lui permet de mettre son cerveau sur OFF, ou encore de pouvoir se défouler. Même avant l'aube, on peut le voir parfois dans le parc. En hiver, les journées sont courtes ; elles démarrent tard et se terminent tôt. Il te laisse prendre les deux cookies, soucieux. Son œil fixe ta réaction, tu es la première personne à les goûter depuis un moment. Alors bien évidemment qu'Arnold ne capte pas que tu trouves que c'est du ciment - la pierre a sans doute un goût, elle -, et il croit totalement que c'est ça enjolive tes papilles. Il te liste les ingrédients :

« Protéine en poudre, beurre de coco, deux bananes, un œuf, de la farine d'épeautre. »

Pas de sucre et de chocolat, pas de noisette ou d'amande. Pourtant, la texture est assez proche de ce qu'on pourrait appeler un vrai cookie. C'est juste fade. Lui pourtant, il aime bien. Ça n'envahit pas sa bouche de saveurs agressives, chaque bouchée est pareille aux précédentes.

« Oui, le Yoga. Je n'aime pas le Yoga, c'est trop lent. Tu vas au cours de Pilate avec les grands-mères du coin ? »

Il te taquine dans un sourire qui ne se dessine pas au coin de ses lèvres. Arnold bat des cils, il t'écoute et il te tend un troisième cookie. Bon, c'est peut-être trop protéiné pour un petit gabarit comme toi. Arnold fronce les sourcils face aux questions, puis il répond passivement :

« Oui, ça va, la routine. Enfin, si on peut appeler ça comme ça. Ce n'est pas mieux que les autres jours, ce n'est pas pire non plus. Une collègue m'a demandé de l'entraîner. Il ne sait pas qu'il ne faut pas obligatoirement donner des détails ; Arnold ne maintient jamais l'équilibre dans ses interactions. Quand il parle, c'est soit trop peu, soit pas assez. Une autre est persuadée que je la déteste, mais je ne sais pas si elle attend un truc de moi, ou si elle est juste parano. »

Colombe, maniaque du contrôle. Qui vient se pencher à son oreille pour le surprendre par-derrière, qui adore envahir son espace.

« Et toi, quoi de nouveau ? Tout va bien à l'hôtel ? Le chat va bien ? »

Arnold a bien conscience que des choses peuvent lui échapper. Comme les petites manipulations de Colombe, comme sa vulnérabilité cachée sous son besoin de contrôle. Quand tu parles, il passe en revue tout ce qu'il aurait pu mal faire. Le souci, c'est que la liste s'allonge et lui-même se juge trop durement. Colombe est comme ça avec lui, car il y a quelque chose qui coince. Il appuie son dos sur le banc, il lève le nez vers le ciel. La Golden Hour va s'évaporer, laissant un voile grisâtre à sa place, une couche abandonnée aux pieds des photographes qui arriveront trop tard.

« Je crois que ça vient d'un truc : c'est une meuf. Arnold soupire. Plus jeune, je pensais sérieusement que leurs cerveaux étaient tellement différents des autres, que c'était normal de ne pas parler la même langue qu'elles. Mais c'est juste leur éducation. Pause. Je ne pense pas avoir fait quelque chose, c'est juste qu'elle se comporte bizarrement. L'autre jour, elle est venue dans mon dos pour se pencher vers moi, en prononçant mon prénom en mode : Arnooooold. Il n'y a pas toute l'émotion que Colombe a mise dans sa voix, juste une note plate qui s'étire, un peu comme le goût des cookies. En me disant qu'elle me cherchait, et c'est là qu'elle m'a balancé qu'elle pensait que je le détestais. »

Tu manges le troisième cookie, tant mieux. Arnold hésite à te donner la boîte, mais il ne sait pas si l'équivalent de cent grammes de protéine est bon pour toi. Et puis, il a envie d'en manger un. Forcément. Toutefois, il ne sait pas si c'est impoli ou non. Alors il reste figé sur la conversation, il a l'impression que tu aimes écouter plus que parler.

« Tant mieux pour le petit chat, le sourire est discret, apaisé et doux. Vrai. Tu devrais engager des agents de sécurité si tu as trop de bizarres, il faut éviter de se mettre en danger quand on n'est pas formé pour. Désolé Lee, c'est le boulot qui parle. Arnold prend un cookie finalement, qu'il coupe en deux. Il grimace en sentant les miettes coller contre ses doigts. Pour Loren, il n'y a rien à dire. C'était la première personne euh... comment dire ça ? Qui n'est pas cis et qui n'est pas une fille avec qui je suis sorti, je crois que c'était un peu pareil de son côté. Il hausse les épaules. J'ai fait le voyage jusqu'à Boston quand je l'ai revu, après son concert, je suis allé lea voir. Puis ça ne s'est pas passé comme prévu. Peut-être qu'iel m'a réellement oublié, ce serait plus simple, n'est-ce pas ? Mais iel n'avait pas l'air bien pour autant. Iel a disparu du jour au lendemain, et maintenant, je vois sa tronche partout. »

Tu ne cherches plus avec les femmes, mh ?

Arnold fronce les sourcils. S'il comprend la blague, il ne saisit pas ce qu'elle vient faire là. Deviner les intentions relève du parcours du combattant, et mettre le doigt sur quelque chose de bien réel l'effraie plus que ses rêveries. Arnold laisse un soupir en réponse, il t'envie ton insouciance. Qu'elle soit feinte, programmée, ou sincère.

« Je crois que je devrais lui offrir un café à l'occasion. Enfin, si elle boit du café. Il marque une autre de ces longues pauses : je ne sais pas, les mecs gays c'est quelque chose. Je me suis déjà fait larguer parce que je suis bi ou pan'. »

La biphobie est bien réelle. À l'entendre l'accuser qu'il n'était qu'un hétéro-curieux, ou pire qu'il n'assumait pas d'être homosexuel, ou qu'il voulait pimenter sa vie, ou qu'il était trop coincé. Arnold y repense encore, trop bizarre qu'il est pour ces milieux-là. Trop anxieux pour sortir en boîte, ou encore pour assumer ce qu'il ne voulait pas auprès de son compagnon.

« Ouais. Ça a du sens. D'expérience, la rue, c'est pas aussi violent que ça en a l'air. Il faut trouver les bonnes personnes. Et ne pas se lancer avec des types trop chelous. Il se tourne vers toi, il se désigne en gardant un air sérieux. Ou tu apprends à tirer à la carabine pour te défendre. C'est légal, on est aux USA. »

Le mensonge n'aura pas fait de différence à son oreille. En est-ce seulement un, Lee ? Devoir protéger cet endroit, engager des gens fiables pour éviter de te mettre dans la mouise n'est-ce pas une réalité ?

Arnold coupe en deux sa moitié de cookie, avant de retourner son attention sur le paysage. Tes questions sur Loren fusent, il ne sait pas pourquoi, mais il croit percevoir de l'inquiétude dans ton attitude. Loren était encore maquillé sur scène, iel n'avait pas la peau froide, ou alors Arnold est dans le déni. Il n'y a pas d'indices pouvant lui indiquer la vérité.

« Non, iel m'a dit qu'iel ne le connaissait pas, et de partir. Je n'ai pas écouté, à croire que c'est une habitude. Sa voix est absente, indifférente pour se protéger. Il ne voudra pas s'avancer plus sur ce sujet, c'est douloureux et personnel. Je suis finalement parti, parce que je me suis dit que je m'étais trompé. Et parce que je ne supportais pas le bruit. »

Arnold renifle, il essuie le bout de son nez froid avec la paume de sa main.

« T'aimes bien écouter les histoires des autres. Je pensais que tu avais ton petit succès, mh ? »

« Légitime défense, si tu peux le prouver, ça ira. »

Arnold ne sait pas à quel point tu es embourbé dans de sales histoires, et c'est avec détachement qu'il t'encourage à prendre une arme. Peut-être est-ce du cynisme, ou bien de l'inconscience. Une part de lui ne croit pas assez en la police, et une autre part trouve que c'est dangereux. Manier une arme à feu, ça s'apprend. Se défendre aussi. Et si c'est des monstres qui décident de gravir les marches de ton foyer, Arnold ne pariera pas sur toi.

Revenons aux futilités de l'amour et de la passion. Des déchaînements, des envies, des sauteries et des choses qui le font se crisper. Arnold ne peut pas te conseiller - celui qui est doué dans les relations sociales ici, ce n'est pas lui. C'est toi, Lee.

« Mh. Oui “mh”, il tapote son index sur le rebord de la boîte en métal. C'est parce que notre société est bâtie autour de l'importance du couple, on te fait miroiter des choses que tu es censé traverser. Tomber amoureux, par exemple. Mais c'est absurde, c'est juste chimique. C'est hormonal avant de venir du cœur. Arnold se passe la main dans la nuque et il reprend : je ne tombe pas amoureux, pas au premier regard. Je m'attache à la personne, ça va juste plus lentement pour moi. Des “je t'aime” balancé par ses partenaires qu'il laisse en vue, ou avec des crises de panique. Des réponses qui ne viennent pas. Ne te force pas, c'est peut-être eux qui en attendent trop. »

Arnold renverse la balance, à lui de te rassurer et de te conseiller.

Mais voilà, le sujet de Loren revient. Cela le laisse songeur et fatigué. Un autre haussement d'épaules, il ne sait pas. Quand il réfléchit, il songe juste que c'est une mauvaise idée.

« Non, ne t'embête pas. Il soupire. J'y ai juste pensé dernièrement, mais c'est moi qui dois passer à autre chose. Je l'ai entendu à la radio et ça m'a fait bader, c'est tout. Au fond, je ne crois pas que ça aurait marché. Arnold se racle la gorge. On est trop différent, iel aimait les soirées, moi je me levais à cinq heures du mat' pour aller faire mon sport. Arnold soupire. C'était juste mon premier... enfin la première personne avec qui je suis sorti qui n'était pas une femme, c'est tout. »

« La delulu ? »

Encore un terme de jeunes, ça. Arnold est trop vieux pour saisir tout le message caché. Vivre dans la delulu. Vivre dans la désillusion ? Mais c'était ce qu'il faisait. Parce que c'est plus simple. Le cynisme est une armure comme une autre, tout en métal froissé et à faire beaucoup trop de bruit pour rien. Paradoxalement, il ne t'imaginait pas tomber si facilement amoureux. C'est peut-être ce qu'il dit de vrai alors ; il s'agit d'une réaction chimique. Un appel des hormones. Et une fois l'explosion passée, tu peux retourner à la vie, la vraie. Ou bien, c'est sa part de cynisme qui s'exprime dans toute son aigreur. Voilà, il est aigri et vieux.

Tu fouilles loin, Lee. Tu retournes le couteau dans la plaie — c'est une métaphore qui lui plait, car elle est vraie, c'est ce qu'il ressent dans le fond de ses tripes —, mais le voilà à ne rien exprimer. Son regard se repose sur la boîte de cookies, tandis que ses mains se réchauffent sur le métal.

« Meghan ? C'est un beau prénom. »

Que découvrir sur Loren ? Sa musique peut déjà tant dévoiler d'ellui. Arnold pensait lea connaître. Mais en plus de dix ans, les gens changent. Ils évoluent. Iel aura pris un train, en avance sur lui, et le voilà maintenant séparé. Le gouffre est trop vaste, trop profond. Il ne pourra pas le traverser. Pas comme ça. L'idéalisation d'une relation passée, c'est peut-être ça, la delulu ? Arnold soupire.

« Si tu veux, si ça te dit. Tant que tu ne te mets pas dans la merde. »

Il capitule. Tu as gagné Lee.

« Mais je ne vais pas recontacter Loren. Je n'en ai pas envie. »

Ajoute-t-il dans un énième soupir à fendre l'âme. Moins Arnold en saura sur son ex, mieux ce sera. Parce que s'il finit par découvrir la vérité, Loren deviendra un nouvel adversaire. Un nom sur une liste, une douleur qu'il ne faut pas nommer pour ne pas la rendre trop réelle. Parce qu'il ne s'imagine pas encore qu'un jour, il devra peut-être braquer une arme sur son ex. Sur ce monstre. Arnold tourne la tête vers toi, et il propose simplement :

« On parle d'autre chose ? »

Que raconteras-tu, Lee ? Si ton enquête se termine, si tu découvres les secrets de Loren ? Ou bien, iel sera trop loin pour que tu arrives à lea cerner.

« Ah. Je vois. »

Non, Arnold ne voit pas. Peut-être que s'il plissait suffisamment les yeux, il parviendrait à saisir. Pourtant, lui aussi interprète et digère tous les signaux qu'on lui envoie. La vérité, c'est que la plupart du temps, il essaye d'évaluer à quel point les gens le jugent ou le détestent. C'est tout l'opposé de ce que tu veux traverser, Lee, ou de tes rêveries. Même s'il admet que parfois, ça peut avoir du bon de se laisser porter par l'imagination.

Si c'est la merde qui te trouve, alors cesse de marcher dans les crottes des chiens. Arnold se garde de cette phrase, elle n'est pas utile. Et il ne pense pas que cette petite plaisanterie serait à ton goût. Il ne sait pas. Peut-être que ce n'est pas le bon moment. Loren est un sujet trop sérieux et douloureux, ou bien il n'en est plus amoureux. L'a-t-il seulement été ? Voilà, c'est écarté. De tes inquiétudes, et maintenant, toi, tu pourras enquêter à ta guise. Arnold espère seulement que cela ne te portera pas préjudice.

« Carli... quoi ? lâche-t-il quand les mots se mélangent dans ta bouche. Arnold bat des cils, avant que les choses ne se relient. Callisthénie, c'est simple. Non, le mot est compliqué à prononcer, moins à orthographier. Si tu veux, on peut aller dans la partie street. Il espère qu'il n'y aura pas trop de monde. Mais le voilà qui se redresse, après avoir refermé le couvercle. Non, je ne suis pas du genre à chasser les licornes, tu imagines ? Ce ne serait pas role play avec le reste. »

À moins que ce soit une licorne en train de chevaucher une Harley-Davidson, auréolée d'une crête. Arnold semble avoir réfléchi à la question avant de te répondre.

« Je ne sais plus si je te l'ai demandé, tu as des tatouages ? »

Sa mémoire a des trous, si bien qu'il aura oublié une partie des détails. Il cale la boîte sous son bras, puis il commence à marcher. C'est marrant, cette relation, songe-t-il. Arnold n'aurait jamais cru qu'elle serait possible. Pas avec ses bizarreries, ton anxiété qu'il découvre la vérité. Est-ce que c'est pas plutôt cela, ta delulu, Lee ? Croire que cette amitié pourra en rester là, sans être détruite par vos actions respectives ? Celles dont vous ne devez pas parler.

« Bah ça dépend des zones, sur le genou, ça m'a fait mal. »

Le cynisme militaire, le code-barre et le numéro de son matricule. Une zone un peu étrange, où tatouer son devoir. Le symbole de l'Épée est situé sur l'autre jambe, juste dans le creux du genou ; une zone qu'on ne verra pas au premier coup d'œil. Et comme Arnold reste tout le temps en jogging, il ne le dévoilera jamais à la face du monde ; il n'aime pas les shorts. Ce tatouage, loin de son œil, loin du cœur, pourra-t-on dire, lui permet de ne pas penser à sa vie condamnée.

A-t-il eu le choix ?

Il y a la simplicité de la vie et des rencontres, le quotidien doucereux auquel il commence à trop s'accrocher. L'atmosphère moite et oppressante de la ville oubliée, et qui peut lui redonner le goût du tout, du calme. Arnold t'apprécie Lee, et il espère que jamais ta route ne croisera celle des Vesperis. C'est son rôle d'éliminer les monstres dans le noir, alors tiens-toi loin des inquiétudes. Ton défi est relevé.

Une fois arrivé aux installations, aux barres de tractions, à tout ce qu'il faut pour se suspendre ou sauter, il enlève son sweat. En dessous, il ne porte qu'un pull en col rond, usé et pas bien épais. Toutefois, le froid ne le glace pas ; Arnold se contente de chauffer ses mains en les frottant.

« Pour le gainage, oui, le record du monde c'est dix heures, dix minutes, et dix secondes. Je me demande toujours comment le gars ne s'est pas ennuyé. »

La boîte de cookie en métal est déposée sur son sweat, qu'il soit au sol ne le dérange pas. Arnold s'avance alors, la structure est en métal et humide à cause du temps. On dirait que cela forme un genre de cage, mais il enroule ses doigts autour d'une des barres verticales. Son corps s'élance, un bras au-dessus de sa tête, l'autre en dessous. Ses jambes tendues, le corps à l'horizontale. C'est ça le drapeau. Et malgré le vent qui s'enfouit dans sa nuque, il serre les abdominaux. On dirait alors que sa silhouette s'est suspendue dans le temps. Ses doigts rougissent au bout d'un moment, et il tient environ deux minutes. Pas besoin de plus pour impressionner la galerie. Il se laisse retomber souplement.

« C'est ce genre de trucs. »

Ouais. Dix heures.

Arnold ne cache pas qu'il aimerait un jour parvenir à une telle maîtrise de son corps. Qu'il voudrait doubler ce record, mais cela serait prendre le risque d'attirer l'attention sur Regeneratio. Il a conscience qu'une grosse partie de sa force vient alors de Mens. Il se racle la gorge, il frotte ses mains l'une contre l'autre pour se défaire de la raideur dans ses doigts. Il est content au fond de t'impressionner, Lee, même s'il ne l'admettra pas à voix haute. S'il s'éloigne de la Chair autant qu'il le peut, cela ne signifie pas pour autant qu'il n'est pas arrogant.

« Hahahahah, rire mécanique encore une fois, c'est Mens ou l'entraînement ? Qui le saura alors ? Arnold hausse les épaules. Non, je n'ai rien de particulier. Je voulais rentrer dans les forces spéciales, alors c'est le minimum. Parfois je fais aussi des tractions lestées ou des muscles up. C'est juste que la callisthénie, ça demande... enfin, tu vois les gymnastes ? Imagine des gymnastes qui savent faire en plus de la musculation. »

Arnold sourit encore bizarrement. Il doit se contrôler pour ne pas lâcher toutes les informations acquises au fil des années. Il y a le catch, les chats, la callisthénie. Il n'est pas le cliché de la personne neuroatypique qui collectionne tout à propos des trains, non. Son domaine de prédilection, c'est le sport. C'est naturel pour lui d'être bon dedans - c'est aussi l'une de ses rares forces, considère-t-il.

Arnold saute pour attraper la barre de traction juste au-dessus de sa tête, il se gaine pour se redresser au-dessus. Il sent ses articulations craquer, le froid du métal s'enraciner dans ses paumes. Puis souplement, il se contente de se hisser entièrement et de se tenir debout sur la barre. Il ouvre les bras, peut-être qu'il te cherche encore un peu, Lee. Puis il se laisse tomber en bas en sautant. Ses genoux flanchent à peine sous son poids.

« Voilà voilà... et je suis cent pour cent naturel, ajoute-t-il aussitôt en sortant son téléphone. Je préfère le dire, parce qu'on m'a déjà demandé sur les réseaux si je prenais des trucs. Non, ses stéroïdes, ça s'appelle l'Ange et Mens, nourri au biberon à la malédiction pour en faire un surhomme. Voilà voilà. »