Dans les affres d’une nuit sans lune, Gabriel arpente le centre historique d’Arkham comme une proie esseulée.
Essaye d’en donner l’impression, en tout cas, puisqu’il imaginait cela comme l’unique solution afin de tenter un Vesperis.
Il avait fait l’effort, cette fois-ci, de dissimuler son épée à travers l’étui d’un instrument à musique.
Cela ne rendait pas son utilisation immédiate plus facile, mais cela pouvait néanmoins permettre d’induire un potentiel prédateur en erreur.
Car le prédateur, ce soir, c’était lui.

La marche était longue, vagabonde et se ponctuait de temps à autre par un arrêt soudain au profit d’une inhalation lente et mesurée d’une bonne dose de nicotine.
Fumée qui grimpe au ciel jusqu’à se désagréger, le regard du chevalier se prend d’une fièvre nostalgique lorsqu’il croise l’enseigne de ce qui semble être un club de sport.
Depuis quand l’enfant qui avait commencé le sport pour attirer l’attention de son père était-il devenu soldat ?
Dernièrement, Gabriel était interféré.
Par cette vision, par son père.
Par son propre nom, en réalité.
Pourquoi ?

La torpeur s’étiole alors qu’une voix - plus familière que menaçante - le ramène à son propre corps.
S’il ne l’eût pas reconnu d’un simple coup d'œil, son discours faussement protecteur lui aurait sans mal indiqué à qui il avait affaire.
Haoran Tse.
Gabriel ne détestait pas Haoran - ce qui en faisait une personne particulière, dans la finalité, puisqu’en général il se contente de ne pas avoir d’avis.
Mais il lui savait la fâcheuse tendance de mettre son nez là où on ne lui avait pas demandé.

Le chevalier le toise d’un regard inanimé, suite à sa première question.
Porte ses doigts à ses lèvres pour se défaire de sa cigarette.
L’écrase dans une boîte en fer qu’il avait précédemment extrait de la poche intérieure de sa veste, finalement la referme.

Je ne comprends pas, Seigneur. Est-ce un interrogatoire ou une simple question ?

Se tourne dans sa direction, afin de lui faire face.

Dans le premier cas, n’étant actuellement plus en service, j’ai bien peur que vous ne deviez patienter jusqu’à demain.

Hausse les épaules, faussement décontracté.

S’il s’agit du second, considérons simplement que je suis en route pour louer un film. Ça vous suffit ?

Est-ce qu’on louait encore des films, maintenant ?

Un sourcil se lève.

Les “jeunes” ?

Cela avait toujours échappé à Gabriel, le terme était-il utilisé pour marquer le mépris envers ceux qu’il jugeait sans expérience ou bien nourrissait-il une certaine fierté à être en marge des nouveaux courants ?
Le Chevalier ne jugeait en tout cas pas très utile d’appuyer la différence d’âge entre eux, elle avait peu de signification puisqu’il n’avait de toute façon pas l’intention de s'enquérir des richesses que pouvait apporter l’expérience.
Gabriel n’avait pas l’intention d’aller jusqu’à l’âge d’Haoran, alors il se considérait lui-même déjà comme un “vieux”, au vu du temps qu’il lui restait.

La remarque du représentant d’Arcane était, en revanche, parfaitement censée.
Il était plutôt évident que Haoran connaissait l'agencement des rues d’Arkham et cela laissait à penser qu’il était soit trop investi dans son travail, soit qu’il avait trop de temps libre.
Le terme de sénilité est à nouveau utilisé pour marquer la différence d’âge et Gabriel peste un instant.

Ce qu’il déclare, finalement, l'interpelle.
Ça s’est fini il y a genre 3 minutes.
Faisait-il référence aux Vesperis ?

Si cela pouvait se “finir”, alors vous comme moi ne serions plus que des inconnus.

Gabriel n’imaginait pas un seul instant que les agressions Vesperiennes puissent s’arrêter.
En un sens, il ne croyait pas tant que ça à la possibilité que Regen puisse vaincre la menace en question, du moins pas de son vivant.
Ce qui ne l’empêcherait pas de mourir pour faire avancer la cause.

Une pointe d’agacement se fait sentir dans la voix du Chevalier, quand bien même il n’irait pas jusqu’à manquer ouvertement de respect à une personne de l’importance d’Haoran, il n’aimait pas que l’on vienne le questionner de la sorte.

J’ai du mal à comprendre, Seigneur, en quoi la manière dont je souhaite occuper mon temps libre vous concerne.

Relève la tête dans une posture droite.
Serait-ce du défi ?

Est-ce que j’enfreins un quelconque mode de conduite ? Ou bien le temps se fait-il long pour vous ?

Gabriel, lui, n’avait pas cette chance.

Le comportement de l’Arcane se clarifiait lentement dans l’esprit du Chevalier.
Quand bien même Haoran semblait avoir du mal à contenir la distribution de leçons, il n’apparaissait vraisemblablement pas comme quelqu’un avec l’intention de le réprimander, bien au contraire.
Et s’il avait été en mesure de supporter l’attitude acide du Chevalier, au premier abord, alors Gabriel n’avait plus la nécessité de le repousser davantage.
Soudain, le tempérament du jeune représentant des Epées s’était détendu.

C’est gentil, mais ne vous inquiétez pas. Vous avez eu raison de vous en débarrasser rapidement.

Gabriel n’affectionnait pas la souffrance - lui qui en avait été suffisamment victime - et ne prenait aucun plaisir à l’infliger lui-même quand bien même la cible de celle-ci eût été une créature sanguinaire.
Ferait néanmoins une exception pour le cas de Darcy et Yael Crestia.

Haoran n’avait pas tort, la manière qu’avait le Chevalier d’entreprendre ses recherches était chaotique et ne le mènerait certainement à rien.
Il en savait si peu sur la Bergerie en elle-même ((en dehors de ce que Darcy avait bien voulu lui transmettre)) et il aurait été invraisemblable qu’un Regeneratio soit en mesure de les débusquer en oeuvrant au coeur de la nuit comme il le faisait, jusqu’à épuisement.
Parfois il se demandait s’il n’agissait pas de cette manière simplement pour combattre ses insomnies ou accélérer son processus d'Éreintement.

Donc, en réponse à ses questions, Gabriel commence par hausser les épaules.
Son langage corporel traduisait de moins d’opposition que de résignation concrète face à la vacuité de ses actions.
Ce qu’il entreprenait était stupide et bien malheureusement pour lui, Gabriel en avait conscience.

Ça devrait être quelque chose comme “par manque d’organisation” ou bien “pour cause d'entêtement aveugle à livrer une bataille solitaire” ? J’ai oublié mon livre de développement personnel à la maison, désolé.

La remarque n’était pas insultante et relevait simplement d’une tentative d’humour.
Pour s’assurer d’être compris, le Chevalier poursuit sans attendre.

Je pense comprendre ce que vous essayez de faire, Haoran. Et je vous remercie pour l’attention que vous me portez, sincèrement. C’est simplement que… Je n’ai pas besoin de conseils, vous voyez ? Je sais que ma démarche a peu de sens… Mais j’en ai besoin.

Un soupir de lassitude.

Je suis fatigué, voilà tout.

Agite son paquet de cigarettes de haut en bas, en direction de l’Arcane.
Une invitation à poursuivre la conversation, malgré tout.

Et vous, qu’est-ce que vous faites encore ici si vous en avez terminé avec votre Vesperis ?