La musique lascive et reposante me fait doucement dodeliner de la tête, d'un côté puis de l'autre. Assis dans un recoin de la pièce sur une table haute, les jambes croisées, je laisse mon pied se balancer dans le vide au rythme des cymbales. Le son de la musique me transporte loin, loin de tout ce qui aurait put me soucier. Loin de la douleur encore vive d'une morsure pourtant marquant encore mon épaule, camouflée par quelques couches de tissu.

Un bar de Jazz, voilà la sortie de ce soir. Je l'ai décidée sur un coup de tête, sans vraiment y réfléchir. J'ai vu une adresse, un évènement et j'ai simplement envoyé un texto à Honoré sans réelle explication. Avec pour seule mention "Habille toi bien mais pas coincé mais bien quand même. A toute !". J'espère juste qu'il viendra. Au pire, je passe une soirée tout seul, ce ne serait pas la première fois. Et peut-être que je dormirais chez quelqu'un ce soir. Au moins j'aurais du chauffage qui ne sent pas le renfermé.

Repoussant une mèche de tignasse verte, je dépose mes lunettes sur la table et lève la main doucement pour faire une commande. Deux cocktails, au hasard, je lui ai demandé de servir sans l'annoncer. Après tout, le Jazz est chaos donc autant s'y mettre jusqu'au bout.

J'espère juste qu'il va venir. Pas de la même manière que quand j'espère qu'un date ne va pas me poser de lapin. J'espère juste qu'il sera là. J'ai fini par apprendre à l'apprécier. D'abord juste en tant que prof et maintenant en tant qu'ami. Depuis l'hôtel, j'ai l'impression de moins le voir, d'être plus distant. Et.. Même si je dois admettre que je n'aide à rien en le laissant dans le flou sur ce que je fais de ma vie, ne lui ayant même pas dit pour mon "récent" achat. Mais bon, en même temps, quoi lui dire.. Il voudrait forcément venir visiter et qu'est ce qu'il se passera si un Vespi débarque et pense voir en lui une nouveauté. Je ne pourrais pas le protéger et pour le coup, c'est l'une des personnes pour lesquelles je m'en voudrais le plus s'il lui arrivait quelque chose.
Et par dessus tout ça.. Je ne sais pas.. Honoré semble.. Eteint. Enfin non. Toujours là, toujours en vie et toujours obnubilé par tout sauf par son propre plaisir. J'aimerai le voir sourire. Sincèrement. Je crois que ça me ferais plaisir. C'est ça être empathique ? Appelez moi altruiste.

Une tête que je reconnais apparaît enfin. Et pas une tête qui donne envie de tourner la sienne vers le mur façon ex-femme qui arrive au bras d'un super beau mec. Non, là, c'est juste un beau mec que je connais et qui possède un prénom français qui doit dire un truc je crois.


- Hey ! Ecoutes, plutôt bien et toi ? J'espère que je ne t'ai pas prévenu trop tard.

Evidemment que je l'ai prévenu trop tard mais au fond, est-ce que j'en ai quelque chose à faire ? Non. Et sincèrement, je pense que lui aussi le sait. Ne cherchant même pas à cacher ce regard faussement désolé et ce sourire joueur.

Lorsqu'il s'installe, je m'apprête à prendre les rennes de cette discussion avant qu'il ne me double, laissant ma bouche entreouverte. Expression bientôt effacée par une autre lorsque mon sourcil s'arque et que mes yeux effectuent un allé retour de haut en bas sur sa tenue du soir. Style assez simple. Oui.. Evidemment Honoré, personne ne s'habille de manière aussi simple que toi.
Hochant doucement la tête avec une moue légèrement moqueuse, je lui réponds avec une petite voix impertinente.

- Oui, désolé.. J'avais oublié à quel point tu détestes les costumes qui te permettraient de rentrer au Ritz avec un service d'escorte.. Je parie que ta chemise coûte plus cher que ma tenue complète.

Un ricanement amusé suivant d'un clin d'oeil amical, je pousse le cocktail mystère devant lui avant de prendre le mien en main. Un petit toast résonne et mes lèvres se portent au liquide, comme cherchant à humidifier ma gorge avant de prendre la parole.

- En toute franchise, j'ai essayé de trouver une location de parachute pour sauter du haut d'un immeuble en centre ville, mais c'était un peu cher. Du coup, je me suis dis, petite sortie concert de jazz où on peut parler, ça pourrait être sympa aussi. Et tu n'as pas à paniquer en te demandant ce qui arrivera après..

Marquant une courte pause, mes yeux se relèvent vers lui une nouvelle fois, quittant le petit parapluie en papier.

- Après, je peux organiser un truc rapidement si tu veux quelque chose de pus mouvementé. J'ai des connaissances qui font une rave dans des ruines d'un entrepôt, ça peut être pas mal aussi.

Mes épaules se haussent et je commence à le couver des yeux derrière ma boisson. Je m'inquiète souvent pour lui et ça m'amuse de jouer la personne complètement déjantée pour le sortir de son renfermement. Mais des fois, j'aimerai juste qu'il s'amuse. Qu'il se lâche un peu. Comme si je regardais un artiste à qui on a cassé l'instrument.

Et en plus, soyons honnête, il est quand même vachement beau. Pourquoi est-ce qu'il ne s'amuse pas plus que ça. C'est dingue comment tout mes amis sont super cannons mais sont soit très coincés soit ce sont des ratés comme moi.. Est-ce qu'il faut que je me pose des questions ?

- Si on reste ici.. Je suggère les sujets suivants : La musique et le jazz ; Le vol des hirondelles en mars ; Le sens de la vie ; Pour ou contre l'ASMR. Liste non exhaustive.

Je me contente de ricaner doucement à ses réactions. Parfois ouvertement, parfois caché derrière une mèche et parfois le nez dans mon cocktail. Je suis détendu avec lui malgré l'inquiétude. Comme une espèce de bulle où mon angoisse est présente mais maîtrisée, domptée.

Sa réponse concernant la rave me fait plisser les yeux. A d'autres va.. Genre il va y réfléchir. Je parie que sa chemise coûte plus cher que ma dignité et.. Mauvais exemple. Bref, elle coûte cher. Je le vois mal partir en soirée habillé comme ça. M'bref. Passons, faisons comme si.

Mon sourire s'étend et je l'écoute, le pied se balançant dans le vide au rythme des accords de jazz. Ce rictus reste mais perds en franchise au fur et à mesure que sa dernière prise de parole arrive. Cette soirée. Qu'est ce que je pourrais bien lui expliquer. Gagne du temps.

- La soirée.. Attends, faut que je me souviennes.

Quelques secondes pour trouver une façon de tourner les choses. Dire la vérité ? Oui, bien sûr. Parce qu'on sait tous que dire la vérité fait que des bonnes choses. Comme lui dire que je me suis fais accosté par un Vesperis lourd qui m'a embarqué dans un coin pour prélever sa pitance et m'a laissé dans un état tellement lamentable que j'ai perdu connaissance deux fois sur le trajet de retour ? Bah c'est simple. Je peux pas.

- Ah oui ! Désolé, quelqu'un que je connaissais étant en galère.. Je crois qu'il avait un peu trop consommé. Il a fallu que je l'aide et une fois que c'était fait.. Pas moyen de te retrouver.

Le mensonge est là, possiblement légèrement palpable pour Honoré mais pas assez gros pour qu'il me demande la vérité. Je l'espère. Je prie intérieurement pour que ce soit le cas. Je ne veux pas avoir à le gaslight.

- Tu as réussi à t'amuser un peu quand même ?

Clignant légèrement des yeux, je réalise seulement la seconde partie de ses paroles, ayant été focalisé précédemment sur l'anxiété du mensonge. Je l'observe, prenant une légère gorgée tandis que je plisse les yeux. Montrant ouvertement ma suspicion. S'il m'attaque sur mon mensonge, je l'attaque sur le sien.

- Dis pas trop ça, je vais finir par croire que tu vas me proposer une collocation.

Un petit clin d'oeil accompagnant ma stupidité. Je me félicite de ne pas avoir blaguer sur de la drague. Manquerait plus que je déclenche une vague dépressive chez lui.

- Mais ouai, en ce moment.. Les gens sont bizarres. Entre des amis dépravés qui deviennent sage comme des nonnes du jour au lendemain, ceux qui décident vivre que la nuit.. Bon ça je juge pas, je suis comme ça. Et maintenant toi qui veut aller en rave avec une tenue aussi classieuse. J'aurais jamais du te laisser seul à cette soirée. Tu as changé.

Je ricane de nouveau, rajoutant une dernière mention.

- Quoi de neuf de ton côté récemment ?

L'accord tacite sur l'absence de questions sur la soirée s'installe et je me détend légèrement. Mes lèvres replongent dans le cocktail que je descend un peu trop vite à mon goût, forçant ma main à se lever pour signaler mon envie d'un deuxième au barman.

- En vrai, on peut tenir deux semaine si il y a un prix en jeu. Mais pas plus.

Je ricane puis soupire légèrement. Je serai le problème dans cette collocation. Et ce, même sans mettre l'élément "Hôtel à sang" dans l'équation. Je suis juste bordélique, j'aime le chaos et vivre ma vie comme elle arrive. Il est ordonné, réfléchis et organisé. Je serai un cauchemar à côtoyer au quotidien pour quelqu'un comme lui.

- Bah genre.. J'ai un ami.. Shae, je sais pas si je t'en ai parlé. Il était .. Luxurieux, pour être gentil. Maintenant, il a l'air de se refreiner tout le temps. C'est perturbant. Pas gênant hein. Juste.. Bizarre.

Petit haussement d'épaules.

- Je suis d'accord que c'est bien que tes cours de musique prennent du temps. Mais bon.. Je persiste à dire que tu devrais aussi te focaliser sur ton art à toi aussi. Tu es super talentueux. Si j'avais mon diplôme, je t'aurais sûrement engagé pour faire des sample pour des bandes-son. Tu as pensé à rejoindre l'Opéra d'Arkham ? ... On a un opéra ici ?

Mes sourcils se froncent légèrement, pensif avant de me rappeler de sa dernière question. Je grince un peu des dents, me refusant de lui dire des choses trop précises. Je sais qu'il se montrerait doux et attentionné mais objectivement.. Il est aussi pété de thune et je me vois mal lui dire non s'il propose d'engager un détective pour une disparition alors que je sais précisément ce qu'il s'est passé. Ce serait un peu dommage que je déclare mes propres crimes à mon meilleur ami et fasse ma pleureuse derrière.

- M'oui.. Pas forcément très proches non plus. Plus des visages que j'ai vu en soirée qui disparaissent après avoir suivi des gens. Tu sais, je suis vigilant, je vois les choses autour de moi. Je sais juste pas si je suis devenu plus alerte ou si il y a de plus en plus de trucs louches.

Petit haussement d'épaules suivit d'une tentative de détournement verbal.

- Sinon, tu connais d'autres musiciens ? On pourrait peut-être faire des morceaux ensemble ? Ça pourrait être sympa.

Le deuxième cocktail en main, je suis déjà plus capable d'écouter ce qu'il me dit sans devoir jeter des coups d'œil constant vers le bar en espérant ne pas voir le barman rajouter l'ingrédient de Cosby dans mon verre.
Poser la question à Shae.. C'est sûr que ce serait plus direct mais, d'une certaine manière, je me vois assez mal lui demander pourquoi il n'est plus un nymphomane. Je pense pas qu'il le prendrait mal mais je ne veux pas miser mon amitié dessus. En plus, il m'a dit être attiré par quelqu'un.. C'est peut-être ça.

- Le fils d'une de ses collègue lui a tapé dans l'oeil, c'est peut-être pour ça qu'il veut se ranger..

Nouveau haussement d'épaules. Mes mains se resserrent autour du verre, menant mes doigts à s'entrelacer en douceur. Je ne suis pas très à l'aise avec cette discussion. Les demi-vérités me gênent, surtout avec Honoré. Et puis bon, parler du bonheur des gens alors que lui a perdu le sien et que moi.. Je le cherche toujours.. M'bref.

- Si tu comptes raconter de la m-.. Des inepties, je peux aussi m'y mettre. "Pas assez talentueux".. Bien sûr. Chaton, si tu n'es pas assez talentueux, je vais me jeter sous une voiture maintenant parce que ça veut dire qu'on est foutus.

Mes yeux se plissent doucement, l'observant avec une envie de le secouer violement pour le réveiller. Vis ta vie Honoré. Qui sait ce qu'il se passera demain. Tu méri-.. Comment ça si je sais jouer d'un instrument.. Oublie, tu mérites rien. P'tit con.

- Je te zute. J'ai appris le piano pour mes études je te rappelle.. ... .... Bon après objectivement, je comptais endosser le rôle de la composition ou du mixage..

Un ricanement me prends alors que je balaie ses craintes avec désinvolture et volonté de ne pas m'étendre sur le sujet.

- T'inquiètes, je gère. Ma survie avant tout. Tu sais que j'ai pas peur de me salir les mains si c'est pour rester en vie. Je compte juste sur toi pour me payer un bon avocat quand tu me verra sous les barreaux pour un cambriolage.

Ou des accusations de massacre. Au choix. Je ris doucement même si le sujet réel ne s'y prête pas. Honoré ne me pardonnerait probablement pas s'il apprenait ce que je fais.. Qui le ferait après tout. J'espère juste qu'il comprendra que c'est la survie qui m'a mit sur ce chemin, pas le gain.

- Je sais que c'est dangereux dehors. Crois moi, je sais.. Mais je considère qu'à vivre comme si la mort était demain.. Bah on vit pas, on attends juste la fin. Et je veux pas mourir un jour en me rendant compte que j'aurais put vivre hier. ... .... C'est profond ce que je dis. Je suis poétique naturellement ou est-ce que ce déliiicieux cocktail me rend intelligent ?

Ma tête hoche doucement lorsqu'il parle d'amour. Je ne sais pas si j'y crois ou non et je ne sais pas si j'ai envie d'y croire le cas échant. Y croire, ce serait admettre qu'un ex sexfriend a vu le bonheur ailleurs que dans mes draps. Suffisamment pour qu'il décide de changer de mode de vie. Ou alors je l'ai dégoûté.. Je suis si mauvais que ça au pieu ? Je peux difficilement demander à Honoré.

Sa remarque me fait plisser les yeux, mauvais. Des éclairs presque sérieux se jetant de mes pupilles jusqu'aux siennes tandis que je noie mon venin dans un énième gorgée. Faudrait que je me calme d'ailleurs, il va finir par croire que je me descend des tonnes d'alcool. Manquerait plus qu'on parle sur mes consommations.

- En toute honnêteté, j'ai pas joué depuis quelques temps.. Ça me manque un peu mais je connais pas grand monde qui joue aussi. Et j'aime pas jouer seul..

Petite pause, songeur.

- Quand tu veux pour ça. J'ai commencé à travaillé sur une petite compo.. Jamais terminée cela dit. Elle est un peu mélancolique donc bosser dessus me met pas toujours dans une bonne humeur.

Avec un sourire et un hochement de tête, je réponds à son inquiétude.

- Je suis un grand garçon mais, si ça peut te rassurer. Comme j'ai dis à mon pote, si à un moment, je suis vraiment acculé. J'enverrai un SOS. A la limite, je ferai un tir groupé de sms entre lui et toi. Ça te va ?

Je lui souris avec toute la sérénité du monde. Mes yeux auraient put, cela dit, trahir mes sentiments s'ils n'était pas tant plissés par la hauteur de mes joues.
Un doigt jouant avec la surface liquide de ma boisson, je laisse mes yeux vagabonder sur la scène où se produit toujours le groupe de jazz. Ma tête dodelinant légèrement, feignant la désinvolture pour ne pas parler de l'angoisse interne.

- Si tu me promets d'accorder de ton temps à ta passion, je te promet de faire plus attention. Tu en penses quoi ?

Mon sourire est doux, sincère, essayant de cacher une légère forme d'anxiété. Je suis bien avec lui, comme d'habitude, mais la sensation de marcher sur des œufs ne me quitte pas. Pas assez désagréable pour m'inciter à partir, pas assez discrète pour l'oublier. Pinçant légèrement la peau de mes doigts, je l'écoute.
Son ton me rassure cela dit, m'encourage. Ses mots sont correctement choisi, comme d'habitude, comme sa chemise. Il est parfait sur plein de poids et, alors que j'aurais put m'en énerver, cela m'apaise. Je me trouve bien trop chaotique la plupart du temps, avoir quelqu'un pour me recentrer ne me fait pas de mal, bien au contraire.

- Ne t'attends pas à grand chose, mais ce serait avec plaisir..

Un sourire triste passe sur mon visage avant que je ne le chasse d'un plus enjoué. La composition est une Ode à la nuit. Pas terminée mais chargée de ma mélancolie et rancœur sur ce que j'étais et ce que je suis devenu. Elle exprime tellement de choses avec douceur, mélancolie et dysharmonie. Mais elle reste mon secret, même partagée, personne ne pourra réellement la traduire. Honoré pourrait en comprendre le sentiment mais pas la raison. S'il y fait attention.

Ma tête hoche doucement, confirmant sa prise de parole bien qu'une part de moi ne peut s'empêcher de rire intérieurement. Bien entouré.. Le bien pouvant autant parler de qualité comme de quantité et, dans ma situation, la réalité se trouve dans le second choix. Mes contacts avec les Vesperis sont.. Ce quelles sont. Certains sont extrêmement positifs dont sont particulièrement négatifs. Tous sont dangereux. Sauf peut-être Mim's. Elle est dangereuse par sa nature mais je sais que je peux compter sur elle. Peut-être que je pourrais la protéger si les "Regen" lui tombe dessus. C'est quelqu'un de bien au final.

Honoré se redresse et se met à me fixer dans les yeux, comme un réflexe naturel, je ne peux m'empêcher de l'imiter. Me sentant même un peu con pendant les premières secondes. Ayant l'impression d'être un mauvais cosplayer à côté de son idole. Paraître sérieux, droit et classe c'est le domaine d'Honoré. Je fais pâle figure à côté. Si on était dans mon domaine, les rôles seraient inversés. Mais bon, on se retrouve rarement dans le domaine de la Delulu, du chaos et du mauvais regard de soit.

- Je sais comment la nuit peut-être dangereuse. Crois moi, j'ai vu des choses qui te ferait froid dans le dos je pense. Donc de base, je fais attention.

Lui souriant je viens tapoter mon torse avant de déloger un petit manche de sous le tissu de ma surchemise. Dévoilant l'embout de la dague, je lui offre un sourire aimable et complice. La lame d'argent se reflétant brièvement dans la lumière tamisée du club avant que je ne la range dans son étui. Poétique ignorance que de montrer une arme béni à la personne qu'elle pourrait blesser sans savoir aucune de ces informations. Blissfully unaware.

- Je l'ai trouvée. C'est pas grand chose, je sais, mais ça permet de maintenir certaines personnes à distance en cas de pépin. Mais oui, je te promet, si je ne le sens pas, je ne sors pas. Mais toi aussi okay ? Ça compte pour toi aussi au final. La ville est pas plus sûre pour toi.

Tapotant mon verre avant de le porter à mes lèvres, je prends une courte gorgée comme pour ponctuer et appuyer mon avis sur le sujet. Au final, Honoré est un humain comme moi, alors pas foncièrement mieux en terme de survie. ... Bon si d'accord, il fréquente pas autant de meurtriers que moi. Mais c'est jouer sur les mots ça.

- J'y pense d'ailleurs. Mais tu comptes faire quoi si je suis dans le pétrin. Tu vas venir en trombe avec un violon comme massue et tu vas réciter les notes d'Ave Maria en clef de Fa ?

Mon coeur rate un battement, puis un autre. Mes gestes se figent temporairement et ma respiration cesse. L'impression qu'un vide s'est soudainement créé dans ma poitrine s'installe et un étourdissement me prend. Merde. Merde. Qu'est ce que j'ai dis. Qu'est ce que je viens de faire. Il me pose beaucoup de questions. Il va savoir. Il sait. Il sait ?

Ce qui me semble être des heures n'est qu'en fait qu'une ou deux secondes à tout casser. La panique est visible dans mes yeux durant ces brefs cycles. L'angoisse ne se cesse de monter, incapable de savoir si ses yeux ont repérés la détresse de mes gestes, si son empathie a suffit pour détecter l'étranglement de ma gorge étouffant le premier octave de ma prise de parole. Ai-je menti assez rapidement, ai-je retrouvé face à temps.

- Meh rien d'incroyable en vrai. Tu sais, ce qu'on voit à la télévision. Et je l'ai trouvé quelque part. Je ne sais plus où. Pourquoi ? Tu veux essayer d'en trouver une aussi ? Ahah

Je me laisse aller à l'humour, mon rire moins assuré qu'à mon habitude. Merde. Merde. Merde. Vite. Trouver quelque chose à dire. N'importe quoi. Il ne faut plus noyer le poisson mais l'écraser sous un rocher.

- Mais sinon, j'y repense, je me suis acheté un deuxième hamster pour tenir compagnie à Rupert. Il s'appelle Mammon. Tu devrais venir le voir un jour, j'suis sûr que vous vous entendriez bien.

Mon sourire retrouve de l'assurance, le masque n'est plus fissuré, la mascarade est relancée. Je pianote doucement sur mon téléphone et l'oriente vers Honoré sans le lui donner montrant une photo des deux hamsters se câlinant en dormant. Je fixe le portable et mes manches longues. Soudainement, l'angoisse de montrer mes cicatrices remonte, comme excitée par la précédente terreur. Pourtant, le tissu les cache, je n'ai rien à craindre s'il ne se décide pas à me déshabiller alors pourquoi mon cœur ne se calme pas.

Sa remarque le soulage et me crispe à la fois, faisant une courte fixation sur la dague. Je ne le savais pas féru d'arme et si je pensais que sa curiosité pourrait potentiellement l'amener à savoir à propos de l'hôtel, je n'aurais probablement pas fait l'erreur de lui montrer la chose. C'était idiot et sur le coup, j'ai vraiment crû pouvoir partager ma trouvaille avec un ami. Est-ce qu'il serait vraiment mon ami s'il savait ?

Mon sourire reste sincère lorsqu'il se pose la question de l'amour animal. Je soupire, presque soulagé de le voir mordre à l'hameçon.

- Mais si, ils sont parfait. Ils t'adoreront.

Hochant la tête comme un parent fier de ses enfants, je me contente de lui sourire, les joues plissant mes yeux. Lorsqu'il parle de l'évidence de leur beauté, je secoue ma tête un peu plus fort encore pour accentuer mon approbation. Ils sont magnifiques. Rien à redire. Ils sont parfaits, eux.

Est-ce que je vais bien ? Je le fixe, le sourire un peu figé, l'expression craquelée mais toujours joyeuse.
Est-ce que je vais bien ? Est-ce qu'il sait ? Est-ce qu'il a vu quelque chose sous mes manches ?
Je n'ose pas les regarder pour ne pas amener ses yeux dessus. Je retire doucement mes bras, emmenant mon téléphone vers mon torse jusqu'à toucher celui-ci. Mon geste est lent, cherchant à ne pas attirer son attention.

- Oui ..? Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?

Je suis bon menteur. Je suis un dieu du mensonge. Ça fait maintenant plusieurs années que je fais ce manège, plusieurs années que la ville pense que je suis juste un bon à rien un peu drôle. Pourquoi aujourd'hui, ai-je l'impression de balbutier devant quelqu'un me demandant de jeter mon chewing-gum.

- J'ai.. J'avais juste des photos compromettantes sur mon téléphone, j'avais peur que tu swippes..

Je ris doucement, peut-être un peu faussement. Comptant principalement par la gêne de poser trop de questions sur ce sujet pour détourner Honoré du sujet. Je pourrais simplement partir ou juste lui mentir sur toute la ligne comme je l'ai fais pour d'autres mais ça me fait de la peine avec lui. Alors que je l'incite à vivre sa vie, je ne lui dirais que des mensonges sur la mienne ? Je veux bien être hypocrite très souvent mais je le suis pas gratuitement. Mais en même temps.. Je ne peux décemment pas lui expliquer. J'ai juste une dernière carte à jouer s'il pose trop de questions sinon.. Va falloir prétexter la pause toilette pour m'enfuir.

Mon corps est tendu (hehe) mais mon esprit s'apaise petit à petit. La situation n'est pas vraiment parfaite mais elle s'éloigne peu à peu du dramatique. Mon sourire retrouve lentement de sa sincérité et je me permet d'observer Honoré avec soulagement.
Ma tête dodeline doucement, acquiesçant ses phrases comme j'approuverais le message d'un messie. Si j'étais croyant. Et si j'avais que ça à foutre. Et s'il était beau. Si Jesus était canon, je serai croyant je crois. Je crois. Donc je suis cr-.. Ta gueule.

- Désolé, d'avoir eu l'air tendu.

Un petit rire s'échappe de mes lèvres, peut-être un peu nerveux mais sans once de mensonge. Je range mon téléphone et joue doucement avec la paille métallique présente dans mon verre. Mon pied reprend doucement ses petits mouvements au rythme de la musique.
La commissure de mes lèvres se pincent légèrement, mon esprit bataillant sur le sujet que nous devrions aborder pour soulager la conversation. Et puis, je me dis que la sincérité pourrait être une bonne façon de désamorcer les choses. Alors, je tente.

- J'ai pas trop l'habitude qu'on "s'inquiète" un peu pour moi donc je vais facilement sur la défensive. J'espère que tu ne le prends pas mal. Ça me touche quand même que tu montres de l'intérêt.

Un sourire france s'installe momentanément sur mes lèvres avant d'être effacé par un rictus un peu stupide, le masque reprenant le dessus. Ma voix change alors vers un ton surjoué, taquin.

- Après bon, si tu veux me draguer, faut le faire plus clairement, je suis une bille pour comprendre les sous entendus.

C'est absolument faux. Il le sait même probablement. Après tout, je suis tellement doué pour les comprendre que des fois, je les repère alors qu'ils n'existent même pas. C'est même très souvent le cas maintenant que j'y pense.