En ce lieu, Asmodeus se berçait d’un confort tout à fait factuel pour lequel il remerciait sans peine son engeance favorite.
C’est avec une fierté silencieuse qu’il posait un regard respectueux sur le développement du réseau de Dante, ayant su implanter les racines de son arbre ondoyant à travers toute la ville en peu de temps - à l’échelle du Vesperis millénaire.
La présence des descendants de Nimzu, l’originelle, tapissait chaque recoin de ce club dans lequel la roublardise côtoie rumeurs et légendes.
Cela en faisait un repère, symbolique, pour cette famille constituée de ceux qui n’en avaient plus.
Et Asmodeus se plaisait à contempler le résultat de ses 3000 ans d’existence à travers les regards complices mais révérencieux que lui adressait la parade des monstres.

Le Death & Co était ainsi devenu l’endroit idéal pour recevoir les invités de marque, les éminents, ceux qu’on ne devait pas voir.
Ceux avec qui il ne devait pas être en contact.
Et sa présence entre ces murs se faisait fréquente, rarement annoncée, parce que cela avait commencé.
Asmodeus s’était mis en marche.

Sa table habituelle avait été libérée - ou plutôt pouvait-on simplement considérer qu’elle n’était jamais occupée.
Car Asmodeus était une créature prudente, un immortel précautionneux : il ne s’asseyait jamais dos à une porte ou à une autre créature, qu’il s’agisse de sa créatrice elle-même ou non.
Ses doigts pianotent à un rythme régulier sur la surface boisée de la table, traduisent d’une inhabituelle impatience quant à la venue de son invité.
De par la nature particulière de leurs affiliations, il n’était pas improbable que ce dernier refuse catégoriquement tout contact avec lui en dehors de la Cour.
Après tout, Asmodeus n’avait jamais été réputé pour son affection envers le clan auquel se dévoue ce dernier.
C’est pourtant avec une élégance singulière et qu’on pouvait facilement lui envier que l’objet de son invitation s’était présenté, comme un phrase qui perce les ténèbres.
Ophrys De Luca, Vanitas descendant de Solis - l’un des fondateurs - et principal joyau de la couronne du Prince d’Arkham.

Si les regards s’étaient invités - avares - pour contempler la silhouette de l’interdit, ils furent nombreux à se raviser lorsque les iris vicieux du Ministre Nosferatu se déposèrent lourdement sur eux.
Quiconque était attendu par Asmodeus, en ce lieu, n’existait pas.

Le Nosferatu s’amuse des remarques de son interlocuteur, qu’il devine taquin mais pas irrespectueux.

Croyez-moi, cher joyau, c’est bien pour nous éviter pareille débâcle que j’ai choisi ce lieu. Nous ne souhaiterions pas que quiconque soit amené à savoir pour notre entrevue, n’est-ce pas ? Les Vanitas et les Nosferatu ne sont pas connus pour s’épendre dans des conversations badines.

Et Asmodeus ne faisait pas exception à la règle : la futilité des Vanitas et l’impatience des Carnis éveillaient un profond mépris chez le Nosferatu.
Pourtant, Asmodeus ne détestait pas Ophrys, pas plus qu’il ne méprisait Solis.
En un sens, il parvenait même à comprendre et respecter la philosophie de vie du Vesperis pour qui même un Nosferatu aurait pu être considéré “beau”.
Même si sa disparition représentait toujours un mystère.
Alors, d’une certaine manière, Asmodeus considérait la beauté d’Ophrys avec plus d’égard que la simple vantardise des vains Vanitas.

Il ne fait aucun doute qu’une lettre de cet acabit attire plus votre œil que quelconque arche fleurie que j’eût été en mesure de vous transmettre. A celles-là, vous n’offrez certainement pas plus d’un regard. Toutefois, si cela vous sied, j’ajouterais une attention surprenante à la prochaine.

Pourtant, peut-être n’y aurait-il pas de prochaine.
Le Vesperis n’étant par ailleurs toujours pas assis, Asmodeus n’avait pas engagé la conversation plus en profondeur.
Si Ophrys n’avait toujours pas pris place, c’est alors qu’il n’avait pas encore répondu à l’invitation.
Alors, de ses mains déposées sur la table et de ses doigts entremêlés, Asmodeus avait conservé sa stature sereine et son sourire inanimé.
Silencieux.

C’était inhabituel pour Asmodeus de se sentir épier d’une manière aussi impudique sans pour autant s’éveiller de la moindre hostilité.
A travers les yeux de son interlocuteur, le Nosferatu ne percevait aucune insulte, aucune frayeur.
Une curiosité, peut-être ?
Mais le Vanitas était habile, pour sûr.
A poser des questions sans écarter les lèvres.

Ophrys s’assied finalement à sa table.
Pourtant, le regard du Nosferatu ne s’anime pas, poursuit du regard chacun de ses mouvements comme un infatigable prédateur.
La réclamation de son invité était tout à fait légitime et Asmodeus, en hôte prévoyant, avait déjà agit en ce sens.

Votre rafraîchissement ne devrait pas tarder à arriver, Ophrys De Luca.

Peut-être était-ce dû à l’oreille un peu trop baladeuse d’un Nosferatu ou bien était-ce simplement le fruit du hasard, mais une coupe de champagne fit rapidement son apparition sur la table.
Asmodeus, lui, s’était vu servir un café, parfumé d’une touche humaine.

Le Ministre ne s’était pas précipité pour répondre à ses questions, s’était attelé à mélanger le contenu de sa tasse en des mouvements circulaires et particulièrement lents.
Tirait une certaine fierté à être plus Nosferatu que Carnis.
Son regard, pourtant, n’avait cessé de s’accrocher au sien.
Pas une fois n’avait-il cligné des yeux.

Après quelques secondes de placidité, le Vesperis millénaire entame de poursuivre le dialogue.

N’espérons rien de l’autre, joyau. Nous nous connaissons si peu, après tout.

Dépose délicatement la cuillère sur le côté de sa tasse alors qu’il la porte d’une grâce factice jusqu’à ses lèvres.
Après une courte gorgée, Asmodeus dépose la tasse et reprend.

Ce n’est pas entièrement votre faute, à vrai dire. J’observe et partage bien peu, même auprès de mes descendants. Si j’ai requis votre présence à mes côtés ce soir, c’est effectivement dans le but de vous faire une proposition, mais pas seulement. Vous piquez mon intérêt depuis plusieurs siècles, en réalité. Cela pourrait certainement vous paraître étrange, Ophrys De Luca. Après tout, nos deux clans n’ont jamais tenté de masquer leur hostilité respective au-delà de la diplomatie de rigueur. J’entretiens moi-même bien peu de liens avec ceux de votre lignée. Pourtant, vous êtes différent.

Ses iris quittent finalement celles de son interlocuteur pour venir se perdre un instant dans la sombre opacité du liquide à l’intérieur de sa tasse.
Comme s’il se perdait à ressasser un souvenir lointain.
La mémoire du Vesperis représentait un terrain si vaste qu’il lui arrivait de temps à autre de s’y égarer complètement.
Son attention retourne à son interlocuteur, plus vivant que précédemment.

Ce n’est pas étonnant, en réalité. Solis lui-même était différent. Et pardonnez ma naïveté, Joyau, mais il m’arrive parfois de vous confondre tous les deux. Cela est, néanmoins, très embêtant.

Son sourire s’élargit, laisse apparaître jusqu’à ses gencives.

Car Solis vous n’êtes pas, Ophrys De Luca. Et si vous êtes aussi intelligent que votre attitude me laisse à penser, alors vous êtes en mesure de réfléchir par vous-même. Voilà la raison pour laquelle je souhaiterais vous demander ceci : que pensez-vous du massacre de la famille Byrd et de l’établissement des forces dans notre belle ville d’Arkham ? Que vous éveille la situation précaire dans laquelle se trouve l’existence des Vesperis ?

La réponse se voulait déplaisante.
Quand bien même Asmodeus eût accordé peu de crédit à celui qui feint l’ignorance et le désintérêt, ce qui avait été articulé par le Vanitas avait cela de preuve qu’il n’avait pas l’intention de s’ouvrir à lui, malgré l’évocation de Solis.
D’autant plus que, pas une seule fois, Asmodeus n’avait considéré la situation dans laquelle s’était plongée la société Vesperis comme un jeu.

Alors, la réponse lui vint tout naturellement.

Rien que je ne puis demander à un simple pion, j’en ai bien peur.

Le Ministre ne cherchait pas à dominer son interlocuteur, pas plus qu’il n’essayait de le soumettre à sa cause en échange d’un privilège quelconque.
Quand bien même la transaction faisait-elle évidemment partie de la proposition, elle n’était pas une finalité en soi.
Peut-être était-ce là le fruit d’une projection naïve, la résultante d’une connaissance bien superficielle du Vesperis lui faisant face, mais Asmodeus ne gobait pas le numéro du Joyau qui ne comblait sa faim qu’entre les doigts d’un autre.

Penche sa tête sur le côté dans un mouvement désarticulé, scrute le langage du corps - lui qui en était l’architecte - à la recherche d’une trahison succincte.

Vous semblez cependant vous méprendre à mon sujet. Je ne m’adonne à aucun jeu, pas plus que je n’ai la prétention de m’imaginer dramaturge d’une pièce à ciel ouvert. Si vous ne voyez en moi qu’un manipulateur parmi tant d’autres, alors vous manquez à saisir l’intérêt que je vous porte avec sincérité.

Porte une nouvelle fois la tasse à ses lèvres.
Poursuit.

Je suis à la recherche des acteurs d’un changement nécessaire, pas des prétendants à une farce absurde. Je vous accorde pourtant que si vos lèvres ne se sont entachées d’aucun mensonge lors de votre dernière déclaration, je n’avais effectivement pas perçu la simplicité dont vous vous targuez. J’admettrai, en ce cas, vous avoir accordé plus de crédit que vous ne vous en accordez à vous-même.

Peut-être était-ce plus par égo que par conscience propre, mais Asmodeus ne parvenait pas à envisager qu’un Vesperis autant impliqué avec un être aussi complexe que Solis puisse se contenter de n’être que l'apparat d’une couronne vacillante et vouée à la ruine.
Néanmoins, le Ministre Nosferatu n’avait pas l’intention de forcer l’implication du Joyau dans son projet si celui-ci ne se sentait pas d’être autre chose que le doux parfum gravitant autour du Prince.

Alors, puisque notre coopération ne semble pas pouvoir aboutir, que diriez-vous de simplement profiter d’un échange plus cordial et moins intéressé ? Sûrement serons-nous en mesure de trouver un sujet de conversation capable de nous occuper. Je ne voudrais pas vous avoir fait déplacer pour rien.

Le râle qui fut projeté était emprunt d’une rafraîchissante sincérité.
S’il était désormais considéré comme agaçant, Asmodeus pouvait désormais se vanter d’avoir été entendu par Ophrys.
L’attitude quant à elle se faisait plus indélicate, plus piquée, sans pour autant se défaire de l’élégance qui devait - bien malgré lui - lui coller à la peau.
Pourtant, d’outrage, Asmodeus ne consentait pas à en avoir commis et la complainte du Vanitas sonnait plus comme une amusante représentation qu’un véritable rejet.

Le sourire disparaît derrière une main à laquelle se confronte le souffle froid d’un rire aigu, Asmodeus dorénavant convaincu de ne pas s’être fourvoyé quant à la singularité de son invité.

Vous ménager ? En auriez-vous eût besoin, Ophrys De Luca, ou bien est-ce un dû ?

Les jambes du Nosferatu prennent la même position que celles du Vanitas, singe plus par réflexe que provocation.
Un haussement d’épaule candide accompagne sa nouvelle déclaration.

Vous n’étiez de toute façon pas venu ici pour boire, pas plus que vous n’étiez venu dans l’espoir d’être utilisé.

Un silence s’installe, peut-être pesant, mais nécessaire.
Asmodeus le jauge du regard, avec un intérêt renouvelé.
S’accorde finalement à poursuivre.

Vous maniez à la perfection le langage de la Cour, joyau. Et si j’ai pu vous offenser, alors ce n’est pas une boisson que je vous offre, mais mes excuses. Comprenez bien que ma volonté n’eût pas été de vous repousser, bien au contraire, je n’aime simplement pas faire valoir la naïveté pour de la patience. Quelle était votre question, déjà ?

Ses doigts se remettent à pianoter en rythme contre le bois.
Le sourire du Nosferatu s'étend un peu plus, jusqu’à prendre des proportions inhumaines.

Ce que je veux, c’est éviter à la société Vesperienne son inéluctable effondrement. Mais pour m’assurer d’être compris, il m’est nécessaire de vous comprendre vous. Peut-être le massacre de la famille Byrd ne vous évoque-t-il effectivement rien, j’en conviens. Mais en est-il de même pour l’influence grandissante de Regeneratio ? L’opposition entre les Carnis et les Patricius ?

Qu’attendait-il ?
La question n’avait pas réellement de réponse.
Ophrys parlait d’une fougue qui n’avait plus habité Asmodeus depuis bien longtemps, si bien que les reproches qu’on lui avait adressés quant à son inaction faisaient plus sens que jamais.
Cela ne faisait aucun doute : le Vanitas qui lui faisait face était infiniment plus vivant que lui.
Le sentiment de peur est évoqué et à cette idée, le Ministre y adresse quelques pensées.
Car si éternel il était, s’il était mort depuis si longtemps, il en était venu à craindre une évolution incontrôlée.
C’était peut-être ça, la véritable source de sa peur, de son inaction.
De ne plus être en contrôle de ce qui se dérobait sous ses yeux.

Le geste qui lui est adressé est tout simplement ignoré, car il ne lui apparaissait pas comme une réelle invitation.
Parce qu’il n’avait, de toute façon, pas la moindre envie dévorante à son sujet.
Ophrys n’était vraisemblablement pas un candidat viable pour diriger la société qu’il désirait bâtir pour lui et ses ouailles.
Le doute avait-il eu sa place ?
Pourtant, la discussion n’était pas dénuée d’intérêt, loin de là, car elle lui permettait de percevoir son objectif avec plus de clarté.
Peut-être était-il le symbole d’une époque révolue, mais Asmodeus refusait de s’éteindre.
Et pour cela, il était nécessaire d’exercer un contrôle strict sur la Cour d’Arkham.
Il avait encore tant des siens à sauver.

Je comprends maintenant pourquoi le Prince a fait de vous son favori.

Asmodeus n’était pas désireux de se lancer dans un échange d’idées sur la valeur de la vie d’un Vesperis et combien une éternité lui paraissait bien désuète si elle n’était pas vécu pour protéger et construire.
Même les premiers enfants de Matéria, éveillés depuis le commencement du monde, avaient fini par bâtir.

Pourquoi voudrais-je me débarrasser de cette crainte ? Pourquoi craindre les éphémères devrait signifier la fin de la société Vesperienne ?

Selon lui, la crainte qu’il ressentait était justement le signe qu’il existait encore quelque chose à sauver, chez eux.
Au milieu de toute cette débauche.

Peut-être avez-vous raison, Joyau. Peut-être serez-vous toujours là, après avoir survécu à la nuit la plus longue. Vous serez alors, j’en suis sûr, le plus beau du tas de cendre.

Écarte définitivement la tasse.
Le regard se durcit.

Voilà où je souhaite en venir, Ophrys De Luca. La société Vesperienne ne survivra pas en se vautrant dans la vacuité et l'ingérence. Je désire préserver un équilibre et pour ce faire, j’ai l’intention de bouleverser l’ordre établi. Serez-vous un acteur de ce bouleversement ou l’individualité prime-t-elle sur le bien commun ?

La conversation n’avançait plus.
A ses dernières déclarations, le Ministre se fige et le regard divague.
Etait-ce là l’impression qu’il lui laisserait ?
Celui d’un Vesperis millénaire, étouffé dans les palabres et la suffisance s’étant offert une compagnie prestigieuse par attrait du mystère ?
Le sourire se fend dans une ouverture qui laisse s’échapper un soupir.
Il ne faisait aucun doute que la solitude le traversait plus que de raison - pourquoi se serait-il échiné à fabriquer une descendance à travers les âges, sinon ?
Mais Asmodeus ne parvenait pas à établir un contact satisfaisant avec son interlocuteur.

Ses doigts se lient entre eux.
Asmodeus avait gardé le silence suffisamment longtemps pour effectivement ressentir une sorte de libération à dévoiler son avis qu’il jugeait parfois trop peu écouté par le Prince et ses pairs.
Peut-être qu’il était aussi plus facile de converser avec ceux qu’il avait déjà conquis par la simple trace de son existence.
Mais la conversation s’était poursuivie suffisamment longtemps pour qu’il y perçoive, désormais, bien peu de sens.

Est-ce l’impression que je vous donne ? Si c’est le cas, je le déplore.

S’enfonce lui aussi dans son siège, d’une attitude moins rigide.

Mon idée est ainsi faite, ainsi transmise. Et j’ai bien peur de n’avoir rien de plus à vous apprendre au sujet du thème de mon invitation. Si vous souhaitez rebondir au sujet de cette dernière, je suis à votre écoute et prêt à converser comme vous l’entendez.

Solis les aurait laissés s’éteindre.
A cette déclaration, le Vesperis millénaire garde le silence.
Ophrys connaissait mieux Solis que n’importe qui et il ne faisait aucun doute que la disparition de ce dernier n’était pas étrangère à son désintérêt pour les Vesperis en tant qu’espèce.
S’en était dramatique car, de toutes les créatures issues des engeances originelles, Solis était de ceux avec lesquels Asmodeus regrettait sincèrement de ne pouvoir discuter de nouveau.
Et s’il s’était accroché au reliquat de Solis pour s’approcher du Joyau de la couronne, c’est bien en Ophrys qu’il croyait pour prendre ce qu’il jugeait être la seule et unique décision.

Si le Vanitas n’avait pas clairement exposé son intérêt pour les projets du Nosferatu, il affirmait toutefois être à l’écoute de sa proposition.
Un sourire désarticulé s’empare du visage d’Asmodeus, prédateur, alors que ses lèvres s’agitent devant les crocs acérés.

Je propose la fin du règne des Patricius et la disparition du clan Carnis.

Le Vesperis se redresse avec grâce, abandonnant son siège pour adopter une nouvelle posture altière.
Ses doigts se rejoignent entre eux, se confondent.
Asmodeus n’était pas inquiet d’avoir ainsi révélé ses intentions.
En ce lieu, il profitait d’une immunité totale.
Ophrys était parfaitement ignorant de la manière dont il comptait s’y prendre ne pouvait d’ailleurs pas lui nuire, quand bien même fut-il écouté par le Prince lui-même.
Paraissait impensable de faire disparaître un Vesperis aussi ancien que lui sans de solides preuves.

La disparition du clan Carnis paraît peut-être un peu rude, en réalité. Considérons plutôt qu’il est nécessaire de les déposséder de toute forme d’influence. Le bas de tableau sera parfait pour des animaux comme eux.

Hausse les épaules avec désinvolture, espièglerie.

En ce qui vous concerne, Joyau, le rôle que je vous réserve est plutôt simple. Je n’ai pas pour intention d’éliminer le Prince de la Cour. Il me serait préférable qu’il… S’efface au profit de quelqu’un d’autre. Et vos lèvres portent directement à ses oreilles, n’est-ce pas ? Il doit comprendre qu’il n’est qu’un pantin et que son rôle doit désormais prendre fin. Faites le abdiquer, tout simplement. Il ne fait aucun doute que vous êtes le parfait diplomate pour ceci.

Lève les yeux au ciel un court instant avant d’abattre une nouvelle fois son regard sur Ophrys.
Laisse poindre un gloussement inquiétant.

Je ne vous demande évidemment pas d’abandonner votre “position”, même si votre implication dans notre Cour se limite à la couche du Prince. Si vous le souhaitez, vous pourrez demeurer le Joyau de notre nouvelle direction. Ou bien vous pourrez prendre la position de Ministre des Vanitas. Ce clan aura lui aussi besoin d’un remaniement.

Mais il était improbable de s’en prendre de manière aussi brutale à trois clans majeurs.

Le calme dont le Vanitas avait su s’entourer méritait bien tous les hommages qu’il pouvait lui attribuer.
Ophrys n’était pas un poussin, il était habile dans les jeux de la Cour et n’était par conséquent pas à sous-estimer.
Raison pour laquelle le Ministre Nosferatu s’était assuré de le recevoir dans un contexte qui le favorisait lui, sans quoi il risquait d’être dépassé par lui-même et la ruse du Vanitas.
Ophrys était un beau Vesperis, mais pas seulement.
Parce qu’il n’était pas le seul Vanitas d’Arkham, mais il était le seul à occuper une place suffisante pour attirer l’attention d’Asmodeus.
Ce dernier prenait donc, tout naturellement, le soin de préparer sa réponse.

Son analyse était fine.
En réalité, remplacer le Prince n’était pas véritablement nécessaire.
Il s’agissait plus là d’un mouvement d’orgueil, Asmodeus n’échappait malheureusement pas à l’égo inhérent à son espèce.
Peut-être même qu’il était question d’effacer un échec qu’il avait connu il y a de cela bien avant le crépuscule de leur actuelle civilisation.
Insistait, en revanche, que l’extinction des Carnis était une nécessité : leur clan ne pouvait pas exister en l’état sans représenter un risque pour les Vesperis dans leur entièreté.

Pourtant, les lèvres d’Asmodeus restèrent figées dans un rictus silencieux pendant de nombreuses secondes.
Le regard fixe, obsessionnellement rivé sur son interlocuteur.

Ah-ah-ah ! Ne m’en faites pas trop dire, Joyau. Vous saurez, en temps et en heure. Qui plus est, je ne trouve la situation actuelle précaire que dans le cadre de notre ligne de conduite présente. Un remaniement s’avère nécessaire et les Patricius d’Arkham ont déjà prouvé leur incapacité à maintenir l’Ordre.

Les yeux se plissent.

Ne jugez pas de la prestance de mes “protégés”, Vanitas.

Quand bien même avait-il raison sur un point : un Nosferatu s’avérait plus compétent lorsqu’il n’était pas directement exposé.
Raison pour laquelle Asmodeus n’avait pas l’intention d’occuper lui-même la place du Prince.
Il avait déjà une personne en tête pour cela, plus désignée.
Du reste, être un sans-visage avait cela d’avantageux que le Prince pouvait de fait être n’importe qui.
Quoi de mieux qu’une personne qui n’existe pas pour prétendre à l’immortalité ?
Pouvait-on trancher la tête de celui qui n’en avait pas ?
Asmodeus n’avait pas besoin de trouver la personne qui dirigerait la société Vesperienne d’Arkham : il avait simplement besoin de faire croire que la place était occupée.

Votre présence ici n’est-elle pas une preuve suffisante du sérieux de mon projet ? N’ai-je pas l’air “sûr” de moi ?

Le regard s’intensifie.
Il lui fallait désormais une réponse sans détour.

Je suis celui qui vous écoute, à présent.

Nous vous écoutons était peut-être plus approprié.

L’entretien arrivait finalement à sa conclusion.
Jusqu’au terme, Ophrys n’avait fait preuve d’aucune animosité et cela avait quelque chose de satisfaisant pour le Ministre Nosferatu.
Peut-être avait-il réellement perçu l’intérêt vraisemblable à intégrer l’alliance du comploteur ?
Ophrys s'était, en tout cas, illustré par une incroyable capacité d'adaptation.
S'aurait été mentir de dire qu'il n'avait pas su s'approprier le respect du Vesperis millénaire, ce dernier le considérant d'ailleurs comme un allié précieux et non pas un simple pion dans sa machinerie.

La dernière question du Joyau amuse la créature polymorphe.
Le timbre de sa voix change du tout au tout, brusquement.
C’était une voix entièrement différente à celle qu’il avait utilisé tout le long de leur discussion.
Moins caverneuse, plus suave.

Ne vous inquiétez pas pour cet aspect, Ophrys De Luca. Nous suivrons l’avancée de notre projet commun de très près.

Pour illustrer son propos, Asmodeus avait quitté sa chaise.
Dans le même mouvement, la nature et la couleur de ses vêtements avaient changé.
Le Nosferatu apparaissait désormais comme un homme à la chevelure brune, le nez surmonté d’une paire de lunettes.
Vêtu d’une simple chemise blanche et d’un pantalon noir.
Son visage n’avait plus rien de monstrueux, même son sourire avait su reprendre des proportions humaines.
Contourne la table pour déposer une main sur l’épaule du Vanitas.

Je dois bien admettre vous avoir en quelque sorte forcé la main. A cela, je vous demande de bien vouloir m’excuser. J’aimerais néanmoins que vous puissiez me considérer comme un allié, car la réussite de mon projet est désormais aussi nécessaire pour vous que pour moi. Comprenez bien que je n’ai que la survie des Vesperis en tête.

Pourtant, la lueur démente au fond de son regard traduisait d’une ambition tout à fait différente.
Avait-il réellement à cœur la survie des Vesperis ou bien nourrissait-il un désir de vengeance capable d’engloutir le monde entier ?
Un ricanement mièvre s’échappe de ses lèvres alors que sa peau commence de nouveau à changer de teinte.
Rejette la lumière, homochromie sordide qui fait s’étioler la présence du Vesperis jusqu’à ce qu’il disparaisse à sa vue et celle des rats.
La main, invisible, quitte son l’épaule.
Ce soir, personne ne verra Asmodeus quitter le Death & Co.
L’avait-il fait, d’ailleurs ?