Maria l'a appelé. Alors il répond. Il ne cherche pas à comprendre, Léandre. Il y a des appels qu'on ne questionne pas, ceux du Mens, de l'Ange, et de la famille en font partie. Dans les rues, son pas lourd résonne. Il croise quelques membres de la communauté qu'il salut d'un bref hochement de tête. Il est pressé, il n'aime pas faire attendre. Léandre a eu son lot de retard et chacun d'eux a été porteur d'un drame. Alors désormais, Léandre s'arrange pour être à l'heure.

Son regard se lève sur la façade de l'orphelinat Sainte-Charite. Parfois, il se demande si c'est parce qu'autant de ses enfants sont morts que Maria a voulu prendre sous son aile tant d'orphelins. Il n'a jamais osé lui poser la question. Entre eux, il y a ce silence pudique et respectueux que Léandre chérie.

Ah, qu'il aime cet endroit. Quand il croise les enfants dans le couloir, il se rappelle ce pourquoi il se bat. Il connaît les lieux, il sait où la trouver. Devant sa porte, il toque une fois pour la politesse, puis entre.

Allons, Maria. Il ne sourit pas, mais l'on pourrait jurer que la commissure de sa lèvre lutte pour essayer de s'étirer. Pas de ça entre nous. Parce que quoi qu'il arrive, il aurait répondu.

Elle s'avance et il se fige. Son regard s'écarquille légèrement au contact de sa main. Les contacts sont rares et précieux. Léandre baisse les yeux, il fronce même les sourcils. Quelque chose dans ce contact lui procure un profond sentiment de malaise, comme à l'aube d'une mauvaise nouvelle. En la voyant saisir le papier, il comprend.

Maria...

Mais elle le fait taire. Elle n'a besoin que de parler pour ça. Un testament, voilà ce qu'elle lui tend. Léandre sait. Maria est sur la fin. C'est une vérité qu'ils n'ont jamais formulée à voix haute, mais qu'ils ne se sont jamais cachée pour autant. Et ce qu'elle lui offre est un bien précieux, cruel. Pour la première fois de la conversation, il ourle un sourire.

Je n'aime pas ce cadeau, Maria. Vous parlez comme-ci Mens allait vous appeler à elle dans les jours à venir. Vous n'avez pas le droit de nous quitter, pas maintenant. Il pose sa main contre la sienne pour la fermer sur la feuille de papier. Et quitte à porter votre nom, j'aimerais que ce soit de votre vivant.

Il fronce les sourcils, tente de masquer l’inquiétude, mais Léandre est un animal brutal et transparent. L'empereur est capricieux, mais honnête, même dans sa manipulation.

Dois-je me préparer à vous enterrer ?

Vraiment ?

Vous ne forcez en rien. Grand Léandre. Qui baissent les yeux. Qui cherchent ses mots. Grand Léandre, mais pas grand-chose face à Grande Maria. Immensément grande Maria. Vous avez toujours été une mère pour moi.

Bien que le concept de mère, dans leur monde, soit particulier. Une mère, c'est tout et c'est rien à la fois. Mais si Léandre devait retenir un visage et poser ce visage sur ce mot, alors ce serait le sien. Il saisit le papier, finit par soupirer et hocher la tête. À Maria, Léandre peine à refuser quoi que ce soit. Mais la mort, il ne veut pas en parler. L'Empereur fronce les sourcils.

Maria, c'est à votre mort que nous cesseront d'être uni.

Il hésite un moment. Les Souverains se doivent de montrer l'exemple, seulement Léandre n'est pas homme à fuir la réalité. Il dresse simplement un constat qu'il pense observable par tout le monde. Sans quitter l'Impératrice du regard, il poursuit.

Il y a des divergences d'opinions fortes au sein même des souverains. Je ne saurai pas travailler avec Rea en bonne intelligence sans votre sagesse. Même, nous avons besoin d'un guide, de quelqu'un pour canaliser l'impétuosité de l'Empereur et intransigeance de la Papesse. C'est l'impératrice qui est le ciment de notre assemblée. Sans elle... Sans toi, je ne peux pas te promettre que notre unité perdurera.

Il secoue la tête, joue franc jeu.

J'ai 30 ans. Mon sang bouillonne, j'ai déjà perdu trop de temps. Mon temps approche de sa fin et je ne veux pas partir sans avoir débarrassé cette ville des Vesperis qui y ont élu domicile. Je le dois à mon frère, à mes enfants, à elle. Je le dois à Colombe, je le dois à Gabriel et à chacun de mes jeunes subordonnés qui se sont engagés dans la voie des épées avec abnégation et courage.

Il attrape les mains de Maria pour les serrer dans les siennes. Ses grandes paumes qui enserrent les doigts fêlent de la seule femme qui a jamais eu l'envie d'appeler sincèrement "maman".

Maria tu ne peux pas partir. Je me fis à tes ordres depuis le début, comment est-ce que je suis censé faire ? Seul, sans bride, c'est à la guerre que je nous mènerais parce que, pour moi, la guerre est la seule solution que nous ayons. Tu es la seule raison pour laquelle je ne prends pas mon char pour nettoyer de moi-même toute la crasse d'Arkham.