Le doute l’avait assailli depuis que son père lui avait offert plus d’interrogations que de réponses à celles qu’il se posait déjà.
Quelle devait être la conclusion de toute cette histoire ?
Était-il désormais vraisemblable de se considérer en non-humain ? Pourtant, il n’imaginait pas un seul instant s’être dérobé aux conditions de son espèce.
Son existence était donc un mystère, tout autant que l’était celle de cette ville.
Une seule certitude, cependant : son père ne s’était manifestement pas joué de lui et il n’était pas complètement idiot de considérer comme véridique l’ensemble de ses dires.
Il était changé, Solphim, Gabriel en avait conscience.
En désespoir de cause, un message avait été envoyé à Colombe.
Celui-ci n’avait rien d’innocent, bien entendu.
Pour cause : Gabriel s’était montré très clair sur la nature de ses intentions, ou plutôt de ses sentiments.
Perdu dans toute cette mélasse, le chevalier ressentait le besoin de se raccrocher à quelque chose.

La pluie battait l’asphalte et les habituelles odeurs de tabac ou de café avaient été avalées par celle de la terre humide.
Peut-être un étrange présage, puisque la ville elle-même semblait habitée par l’envie de reprendre ses droits sur le commun des mortels.
Un éveil dans un mois qui précédait une chute.
Restait encore l’option de s’en aller avant cette destruction.

Gabriel était revenu dans son appartement trempé - puisqu’il n’avait évidemment pas pris la peine de regarder la météo afin de se munir d’un parapluie ; les reliquats d’une puissante averse perlaient encore à la pointe de ses cheveux.
A peine avait-il eu le temps de se sécher d’un rapide passage de serviette que Colombe faisait déjà son apparition à sa porte.
Elle ne s’était pas invitée d’elle-même, quand bien même la porte eût été entrouverte.
Gabriel devine facilement qu’il s’agissait moins d’une histoire de pudeur que d’intention.
Le temps d’enfiler un t-shirt de couleur noir, marqué d’aucun motif, le jeune homme s’était présenté à la porte pour l’accueillir.

Le temps se fige en un regard silencieux, instant suspendu.
Ce qui le traverse est difficile à exprimer.
Mais son visage reste fermé, comme à son habitude.
Un rictus creuse néanmoins sa joue lorsqu’en quelques mots elle met en évidence le ridicule de la situation.

Oui, bien sûr. Excuse-moi. Rentre, s’il te plait.

L’atmosphère en sa compagnie ne lui avait pas toujours semblé aussi lourde, aussi maladroite.
Peut-être était-ce parce que leur histoire était désormais différente ?

Donne moi ta veste, je te laisse t’installer.

Pose ainsi la veste sur un cintre, accroché sur une poignée de porte.
Sa main s’invite à l’arrière de sa tête, frictionne ses cheveux dans un moment de gêne.

Je peux t’offrir quelque chose à boire ?

Indéniablement, Gabriel s’était montré malhabile envers Colombe dans la manière dont il l’avait accueilli.
Il ne pouvait pas toujours prétendre à la singularité de ses sentiments envers elle, quand bien même eût-il été incapable de lui transmettre pleinement l’intensité de ceux-ci, rien ne justifiait le manque d’enthousiasme qu’il avait affiché à son égard.
Car si Gabriel avait décidé de poursuivre dans cette voie (celle de l’extinction de ses émotions) alors pourquoi avait-il fait venir Colombe jusqu’à chez lui ?

Le regard caresse sa silhouette et même si le sourire qu’elle affiche est froid, Gabriel y reste sensible.
S’en veut, sincèrement, d’avoir fait preuve d’aussi peu d’initiative.
Pourquoi s’était-il de nouveau privé de toute forme de douceur ?
De candeur ?
Et pourquoi l’en privait-elle, par la même occasion ?
La question le frappe avec une certaine justesse.
Gabriel s’était soustrait à un véritable sommeil réparateur depuis plusieurs jours déjà.
Et passait de fait dans divers états, variant du manque de sensibilité à tout l’inverse.

Je ne pense pas qu’il s’agisse uniquement du sommeil, Colombe. C’est juste nouveau pour moi. D’être aussi perturbé par la simple présence de quelqu’un.

Tout en Colombe l’appelait jusqu’à elle.
De son odeur à sa démarche, de l’éclat de ses yeux au timbre de sa voix.
Il suffit de quelques pas pour dévorer la distance entre eux, Gabriel prit d’une certaine avidité.
Plus entreprenant, donc.

Je ne cherche pas à t’échapper. Au contraire, je suis un peu trop conquis.

Le bout de ses doigts viennent frôler le dos de sa main pour finalement se déposer contre l’épiderme.
Son sourire était cette fois-ci beaucoup plus doux, semblait débarrassé de toute forme de malaise.

Je suis épuisé mais heureux que tu sois là, Colombe. J’avais très envie de te voir.

Lentement lui est commandé.
Sous la prise de ses doigts, Gabriel se laisse faire.
Se laisse guider.
Et le jeune homme était parfaitement en mesure de comprendre ce qu’elle lui demandait.
Lui aussi avait envie d’être apprivoisé, d’exister en une unique entité et pas à travers un étrangement automatisme.
Il voulait être dompté.
Colombe paraissait pleinement en mesure de le faire, d’ailleurs.
Alors le sourire qui grimpe à ses lèvres s’imprègne d’une tendresse visible.
Il n’aurait jamais voulu qu’elle s’en aille, n’aurait jamais imposé sa manière de faire.

Docilement se laisse attirer, la proximité entre les corps se dissipe peu à peu, mais pas tout à fait.
A sa question, il n’existe qu’une seule réponse.

Je ferais comme tu dis.

Plus encore, je ferais comme tu veux, qu’il abandonne ce contrôle qui ne lui avait jusqu’alors rien apporté si ce n’est de multiples tourments.
Gabriel lâche prise.

Si tu restes, je ferais tout ce que tu veux.

Un aveux qui fait s’élever les chaleurs.

Son regard reste sur elle, n’est plus timide.
Plus réservé.
L’observe en présence, avec envie.
Ses doigts entre les siens, Gabriel s’offre aux sensations et à Colombe.
Dans l’attente de faire ce dont elle pourrait bien avoir envie.