Sous ma gorge brûle une forge
Qui me damne à t'aimer jusqu'en enfer

Si certains voient leur vie comme un long scénario dont le script s’appelle destin, Aster ne vit que par impulsion et au gré des battements de son cœur un peu trop fou. Il ne ne souhaite pas y penser pas aux regrets, ignore les “et si” qui pouvaient retourner la planète toute entière. Il ne veut pas y songer à ces autres vies qui l’auraient empêché de mourir sans avoir réussi à défricher la terre. Car si sa vie sera peut-être vaine  il s’en convaincra : que pour rien au monde il n’en changerait la tournure. Il serait resté fidèle à lui-même et à ce qui animait son for intérieur. Pourtant depuis quelques semaines, le doute est insoluble dans ses pigments d’azur, il tâche et dénature la fondation de ce qui faisait son leitmotiv d’autrefois.

Ses pas sont légers, presque silencieux pour ne pas déranger l’atmosphère du lieu, il cherche quiétude et repos; et peut-être par curiosité vérifier si celui des damnés était bien éternel. “non je viens choisir le meilleur emplacement pour ma tombe.” il se fige non loin de lui, préférant se tenir loin de l’individu qui semblait pieds nus avant de faire la longueur d’une rangée de tombes qu'il inspecte minutieusement.

“c’est tout un art tu vois. Je ne dois pas être premier d’une rangée et encore moins une colonne impaire. Ce n’est pas très fengshui.” Amusé par son interlocuteur mystérieux dont l'envie pressante naissante cherche à le déconcerter, une lueur scintille dans ses yeux et les paroles fusent bien que son interlocuteur demeure silencieux et concentré à ses propres affaires. Il pointe une tombe qu’il s’efforce de lui faire regarder.

“imagine. S’il y a un déséquilibre de feu sur la fondation Est, ça veut dire qu’il y aurait trop de Yin, et ça, si je m’en rend compte une fois six pieds sous terre mon âme ne pourra jamais reposer en paix. La trasmission d'énergie doit respecter le cycle d'harmonie des cinq pilliers.” ses épaules se haussent tandis que l’odeur émanant des alentours lui monte à la tête. L'odeur est capiteuse. “en tout cas c’est ce que j’ai lu dans un magazine.”

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Si c’est l’odeur des tombes ou de la terre défrichée, il ne saurait dire d’où venait ces embruns de coquelicots fanés. “ce n’est pas grave si tu piges rien” Il inspire “moi non plus.” Il s’en voit amusé qu’on ne l’ignore pas. Aster détonne, rayonne en lumière stroboscopes entre les épitaphes abimés. “C’est une philosophie qui vient de chine, un truc du genre. Ils pensent que notre univers est dicté par les forces cosmiques, un truc de dingue.” un doigt posé contre son menton, il cherche les détails mais il ne les avait jamais vraiment retenu “oh tu sais tu cherches sur wikipédia tu devrais trouver des trucs si ça t’intéresse.”

Aster s’installe en tailleurs, le syncrétisme du lieu est presque déroutant. Pour lui le cimetière n’est rien de plus qu’une énième zone de jeu. Assis sur le gravier d’une tombe, il observe un nom qui pourtant ne lui dit rien : Un instant, il imagine le sien. Combien pleureront son trépas ? Sa place ne semble pas ici, et pourtant, lorsque ses pigments perdront de leur beauté au fil des mois restants, une fois terne et dérobé de son azur saturé, il s’y trouvera si bien dans ce gris figé dans le temps.

La question de l’inconnu est une douloureuse piqûre de retour à sa réalité mais son expression demeure un sourire contrôlé. “non je ne compte pas.” Ce drame entre ses mains il s’est était déjà habitué à son poids : c’était léger désormais, drapé contre sa peau comme une parure intangible que personne ne remarquerait.

C’était injuste pourtant. Il voudrait qu’on le lui clame qu’il manquera, qu’il sera manqué et douloureux de combler le vide de son absence. Il voulait la gloire et les larmes, le drame et la peine; il voulait disparaître dans une détonation, bang final si violent qu’il en retournait la terre. Qu’on ne l’oublie jamais, qu’on raconte encore à son lendemain les grandes choses qu’il aurait réalisé; mais qu’avait-il seulement fait ? Avait-il valu la peine de sacrifier son existence pour réaliser une œuvre qui le dépassait ? Il s’en convaincra que s’il devait le refaire, il n'aurait jamais changé son choix. “c’est simple, je n’ai pas envie de mourir.” Il s’allonge dos contre la terre légèrement humide. “mais parfois notre simple volonté ne suffit pas.”

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Il rit, d’un éclat singulier qui fend le silence de la nuit étoilée. “t’es vraiment drôle tu le sais ça ?” s’il était souvent le clown, l’idiot qui faisait d’un rien une hilarité, ce soir-là il réalisait à quel point il était grisant d’être au yeux du monde un simple martyr et de se laisser divertir.

“C’est ainsi.” Il n’y avait jamais eu de sens à se confier sur son malheur dont il était le seul artificier. Pourtant, éloigné d’une tombe entre lui et l’inconnu, il était d’une effroyable aisance de se confier à lui. Peut-être était-ce sa presque indifférence mélangée à sa candide ignorance, sa prétention de se soucier de son sort alors qu’entre ses lèvres il n’y avait qu’une vive curiosité indisciplinée. “un mal qu’on appelle l’injustice.” Son rictus est amer car il n’y avait rien de plus vrai. Lui qui avait vécu champion de cette vertue, la simple injure moqueuse envers sa sacro-sainte divinité lui provoque un rappel à l’ordre immédiat. Migraine assourdissante qui tâchent les rayons de la lune dans une clarté éblouissante.

Mais il demeure immobile. La terre est froide, humide et peu accueillante, mais, par ses sens embrumé par la senteur d'orange, il ne trouve la force de se relever. “Tu ne le penses pas toi, que c’est important de vouloir choisir quand et comment on peut mourir ?”  Mais s’il en avait le pouvoir peut-être qu’il n’aurait même pas eu la force de faire un choix. Après tout c’était un lâche. “mourir seul ça doit vraiment être nul.” Son visage se tourne vers l’inconnu et ses yeux d’azur percutent les leurs rouges comme une lune de sang. La peine s’efface face à l’alchimie dangereuse de sa curiosité piquée et son manque de tact flagrant. Il s’impose narquois. “t’as pas une meilleure phrase pour me réconforter ?”

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C’était étrange l’aisance avec laquelle il l’avait laissé s’introduire dans l'intimité de ses pensées. Aster était docile, presque vulnérable et sans s’en douter il en était arrivé au point d’offrir son coeur tout entier. Là, posé, à même le sol et ses catacombes, il demeurait silencieux à l’écouter sans oser le contredire. Le parfum et l’odeur de la terre lui montait à la tête. Il n’était même pas d’accord, écoutant la forme de ses douces syllabes sans se soucier de leur fond, fasciné par son imperméabilité face à la mort. Il n’en connaissait pas la crainte.

D’abord il ne lui répond pas. Il avait tantôt regardé sa nuque, les cicatrices qui dépassent de ses bandages usés et s’en était ennuyé. Les arbres grincent des branches avec le vent et les rayons de la lune, et ses yeux d’azur le regardent sans un bruit, bercé par la mélodie des dernières feuilles qui se décrochent. Ce soir, Mens et sa lumière ne l'intéressaient pas. Il préférait l’obscurité de la nuit et ses jeux d’ombres, la silhouette de l’autre qui s'interposait entre lui et les rayons de l’astre. Il en devenait lumineux et presque —  brillant. Comme une iconographie.

"Tu as sans doute raison". La fausseté est grotesque, il ne fait pas l’effort de cacher qu’il ne l’avait pas écouté. Ses yeux ne quittent pas les siens avec lesquels il cherche une réciprocité. Il se relève dans un silence presque parfait où seuls les bruissements de l’herbe sont entendus. Son dos est relevé, son regard ne l’a toujours pas quitté. "Je ne sais pas." L’odeur des agrumes lui monte lentement à la tête. "Veux-tu me réconforter ?"

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Il s'amuse de l’interaction, se fascine à chaque seconde passé dans le semblant de magie qui s'échange entre leurs paroles presque trop paisible pour s’imaginer qu’en face de lui se trouve un Vesperis. La forêt sous la lumière de la lune était magnifique. Moi non plus. Il capitule. j’ignore comment ne plus être triste. La lourdeur des mots ravivent pourtant un sourire à ses commissures qui s’étirent. donc je ne t’en veux pas. Aster s’approche, mais toujours délicat, laissant le bruissement des feuilles ponctuer son corps qui s’avançait vers lui.

Aster, comme les marguerites. Il lui répond, sa main, curieuse et effrontée frôle les quelques mèches de cheveux qui caressent le bout de son visage. Je n’ai plus de dieu. Comme un juron, les mots le tétanisent à peine prononcés, presque terrifié par la violence de ses mots qui dépassent ses pensées.

C’était la fatigue et l’agacement qui parlait. Il s’en convaincra que ce n’était pas réellement ses convictions. Il avait vécu ces derniers jours comme une trahison, soudainement privé de sa lumière divine et de son regard protecteur. Il avait pourtant dédié son existence pour mener la justice. leur justice, celle qui défendrait les faibles et les plus démunis. Celle qui mettrait fin aux luttes sans massacrer d’innocentes vies; son leitmotiv : que chaque vie avait sa valeur et le massacre d’une espèce semblait bien trop cruel : existait-il seulement une vertu si on laissait de telles choses se produire ? Il refuse d’y prendre part. Et il abhorre cette punition que lui offrait son arcane.

Son coeur est lourd. J’aimerai que mon existence apporte un sens. Il ajoute. Mais semblerait-il que j’ai échoué.

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Aster était effronté, toujours si insolent qu’il n’aurait jamais pensé que de son arrogance pourrait jaillir un tumulte aussi terrifiant. ça venait de ses entrailles, d’entre ses flancs, au travers de sa psyché naissait un ouragan. Sous forme d’une décharge électrique il fût réduit en soumission, incapable de prononcer le moindre mot et simplement de lutter; c’était un rappel à l’ordre de sa réelle place et que ses ambitions n’étaient que de vaines idées : il n’avait jamais eu son mot à dire. Il n’avait jamais eu d' autre choix que de leur appartenir.

La douleur le rend tremblant, de la tête aux pieds, du bout de ses articulations à la moindre de ses pensées : il est frêle et fragile. Il ne réalise pas que l’inconnu s’était éloigné, il s’aggripe en vain à une présence qui n’était plus à ses côtés.

Alors il s'affaisse, comme une feuille qui avait perdu son rameau, abandonné par sa confiance et son pilier de de stabilité. Il souffrait. Le sol gelé était étrangement triste, l’odeur de la terre, humide désormais s’était nourrie du sel de ses larmes désespérées.

Ses yeux sont clos, comme s’il attendait qu’on vienne le cueillir. Le silence est long, il pleure sans un bruit, soudainement il espère presque que la fin de son agonie signe la fin de sa vie. S’il mourait maintenant, il ne serait pas seul, même à deux pas de lui, sa présence était réconfortante.

Mais il ne meurt pas. Son cœur bat, son souffle repart. Mais il n’avait toujours pas trouvé une raison de s’accrocher jusqu’au bout du fil. Tu ne m’as pas donné ton prénom. Sa voix n’a plus la même gaieté. Il s’est fait trahir deux fois cette nuit.

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Il avait toujours pensé que sa simple résolution lui suffirait pour prouver qu’il méritait tout cette gloire. Au bout de son épée, s’il demeurait vrai à ses convictions, champion de justice, puis, garde de sa volonté sous l’égide de Mens, il serait toujours béni de leur sainte lumière.

Mais si sa volonté et les braises de ses ambitions ne suffisaient plus, que fallait-il seulement ? De l’amour ? Est-ce seulement un amour qui vivra ou qui prendra fin dès lors qu’il se perdra à nouveau du droit chemin ? Aster se pensait être élu, incarnation d’une volonté suprême et inaliénable : en réalité il n’était qu’un pion, assujetti à obéir à la volonté de son dieu qu’on lui avait imposé. Il n’avait jamais eu cette foi. Arrivé déjà adulte et bien bâti par la vie, il était difficile pour lui de remettre soudainement en question sa réalité (déjà s'ériger comme une divinité était beaucoup.) Il avait été naïf et immature, acceptant les plaisirs du pouvoir sans réaliser qu’il serait perdant en fin de compte. Qu’il serait seul et qu’il mourrait seul.

Si sa colère avait fleuri, elle ne prenait pourtant pas racine sur sa haine. Il ne pouvait pas haïr son berger, seulement ne pas le comprendre et se sentir terriblement perdu.

Les mots sont difficiles à formuler, il s’adresse au vesperis. Yael. yael. D’accord. Il le répète deux fois audiblement, deux fois mentalement pour l’ancrer définitivement dans sa mémoire, il a peur de perdre conscience et de croire que tout ceci n’aurait été qu’un songe. Alors il le répète à nouveau. yael. mon coeur s’en rappellera. le sol ne semble plus si froid, sa distance n’est plus si insoutenable. Les yeux désormais clos, il a l’impression qu’il se trouve juste à côté de lui. lorsque je serai mort. l’aveu n’est pas aussi difficile qu’il ne l’aurait pensé. Son cœur se serre, mais sa langue se délie. j’aimerai que tu viennes me voir au moins une fois. Il n’avait jamais cru à l’après vie, mais cette nuit, il cessait de réfléchir. Il y croirait juste le temps d'un répit.