AAAAAAAAAAAAAH.

De l'extérieur, bien sûr, Arnold ne montre qu'un visage neutre.
De l'extérieur, bien sûr, il ne dira pas que cela fait trente minutes qu'il attend en bas.

La première raison, c'est parce qu'il est parti avec un peu trop d'avance. C'est son anxiété qui s'exprime dans son quotidien, le besoin de contrôler chaque aspect de sa vie. Faire des listes de ses besoins et de ses devoirs, afin de ne pas oublier d'exister. S'en aller avec une belle avance, au cas où les transports feraient des pirouettes — un feu qui persiste, un embouteillage, une mamie qui monte dans le bus et empêche les portes de se fermer, tandis qu'elle parle au chauffeur. Trop de détails pour le cerveau, les lumières allumées de tous les côtés. Le cœur qui bat et les tripes qui se serrent, l'émoi adolescent de ses premiers rendez-vous retrouvé (et la mort qui approche).

Le stress le fait regarder les gens de tous les côtés. Le voilà qui tourne la tête à gauche et à droite et en haut et en bas. Et l'œil rivé sur son téléphone. Un sweat noué autour de la taille, Arnold a hésité à mettre une chemise ou même à acheter des chocolats. Toutefois, il ne l'a pas fait ; la raison est simple. Il a déjà passé deux semaines à penser à ce rendez-vous, son énergie s'est concentrée sur tous les scénarios possibles et imaginables pour ne pas se laisser surprendre.

Les mains qui sont moites, le cœur qui bat dans les tempes. Et les minutes s'écoulent, lentement, comme une dernière heure de cours un vendredi soir. Il ne se rend pas compte que ses doigts sont crispés sur le smartphone ni qu'il pourrait témoigner de sa présence. Pourtant, si Elain a donné un horaire, c'est bien pour qu'il soit respecté, non ? Arnold avale sa salive, attend toujours. Et s'il en profitait pour acheter des chocolats ? Mais voilà ! Il ne sait pas lesquels !!!

Et ça explose et ça l'épuise, tout ce stress accumulé, tous les scénarios imaginés et appris sur le bout des doigts pour ne pas se laisser surprendre. L'assurance d'une soirée calme — hahahaha le manger ??? —, profiter de l'instant pour oublier Mens et Hadrian.

L'heure arrive et Elain ne descend pas.

Arnold se tourne alors vers l'interphone. L'obstacle se résume à une suite de chiffres, un code, un cadenas fermé sur ses appréhensions. Il se mord la lèvre inférieure, il reste immobile et il hésite. Puis finalement, il l'annonce par SMS :

« Je suis là. En bas. »

Toujours avec des points, toujours dans une orthographe impeccable. Avec peu de smiley et d'émotions appliqués entre les lignes. C'est un leurre, Arnold est sensible et vulnérable sous les muscles et l'air détaché de tout.

AAAAAAAAAH.

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Aaaaaah.

Arnold inspire, il fait un pas, il recule. Il ouvre une main, puis il la ferme. Sa tête tourne dans toutes les directions, et avant même de s'en rendre compte, le voilà en train de faire les cent pas en comptant les secondes. Enfin plutôt ses pas. Un deux trois quatre cinq six sept huit neuf dix onze vingt-deux vingt-sept trente-tr...

Ah.

Elain, le voilà.

Arnold se tourne vers lui dans un mouvement bref. Plaque les bras le long du corps, en redressant un peu le menton. Son regard fixe le jeune homme face à lui, déjà en train de se confondre en excuse, tandis que lui-même essaye de ne pas trop paraître étrange. Son cœur bat un peu vite dans sa poitrine, et il se passe une main sur le visage, notamment le nez en inspirant. Il lâche un sourire de requin, sans réellement d'expressivité. Les mots ne viennent pas, trop occupés qu'ils sont à s'entremêler dans sa tête, afin de former une phrase cohérente.

Arnold ne se souvient pas que tu lui as donné le code, peut-être devrait-il vérifier sur les SMS. Il n'a pas non plus pensé à l'éventualité que tu l'attendais encore, cela ne fait pas partie de son script. Alors le voilà en train d'avaler sa salive, il hoche la tête pour monter à ta suite.

Arnold n'a toujours pas parlé, si bien qu'il s'occupe à remettre son bonnet correctement. Il en a depuis longtemps coupé l'étiquette, il peut seulement se concentrer sur le rebord qu'il replace, au cas où tu prendrais le risque de regarder son crâne chauve.

Dans l'ascenseur, l'ancien militaire s'adosse contre le mur. Les mains dans les poches, il bat la mesure avec son pied, tout en cherchant un moyen d'alimenter la conversation.

« Tu as bien emménagé ? »

Sa voix sonne trop rauque, trop masculine, et il n'aime pas trop cela. Arnold trouve que ça le rend trop agressif, toute cette testostérone, et que cela ne ressemble pas vraiment à qui i(e)l est vraiment. Sous la couche de muscles, sous les sweats et les joggings

(un chasseur de vampires)

D'ailleurs, il n'aura pas changé de tenue. Toujours aussi simple, aussi perdu, toujours avec cette personnalité aussi impactante qu'une brique balancée dans une vitre. Il n'aime pas le parfum, et même son déodorant ne sent pas grand-chose. Il respire le froid de la grisaille.

« Tu vas bien ? Il ne fait pas très beau en ce moment hahahhaha. »

Le rire mécanique, jamais sincère, là pour décorer les silences.


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