Reverberation

Comment Zwei vit-il ? La question ne lui avait jamais passé par l'esprit auparavant. Peut-être que Loren était trop pris dans ses idées fixes : l'être multi-centenaire devait vivre dans le passé, entouré de ces choses décrépites mais précieuses pour le cœur. À la porte de l'appartement, la dissonance commence.

Et lorsque l'antre s'ouvre, ce n'est pas la noirceur qui l'accueille. Bien le contraire. C'est quelque chose de doux, de nostalgique pour qui ne côtoie plus que la lune. Et moderne, surtout. C'est le mot qui lui fait hausser les sourcils, agrandir les yeux.

« Woah, c'est très beau. »

Une expression plate qui ne peut pas traduire tout l'étonnement qui le·a chamboule. Zwei peut bien avoir de la difficulté à utiliser son téléphone, mais il ne donne certainement pas l'impression d'être en retard sur son époque niveau décoration intérieure. Loren a capté le projecteur. Iel doit le convaincre de le·a laisser squatter chez lui pour une soirée cinéma. Ça ne peut être que dix fois mieux sans le public de 21h10.

Mais chaque chose en son temps. Loren retire sa veste de cuir puis ses chaussures avant de faire quelques pas réservés dans la pièce. Ses yeux continuent à parcourir la pièce avec gourmandise et curiosité. Un sourire aux lèvres, il se retourne pour complimenter encore une fois son hôte quand l'aliment entre ses doigts attire son attention.

Ah, voilà le sentiment étrange que cela tiraille en ellui.
Le souvenir d'être humain, simplement humain.

« Oh, c'est… pour quoi ? »

Un signe de tête pour pointer le concombre. Pourquoi en effet.

« Tu n'es quand même pas sorti au soleil seulement pour une cucurbitacée et un vinyle ? »  

Il n'a pas certainement pas à en faire autant, doux ciel.

Reverberation

Un pas après l'autre, Loren suit Zwei dans son antre – non, un mot si primitif ne peut pas s'accorder à toute la familiarité et la chaleur qui se dégage entre les murs. Rectification : son chez-soi, his home, dans toutes ses nuances. C'est à la fois doux et dérangeant. Les yeux du musicien tentent de se divertir, d'apprécier les détails qui leur ont échappé, mais inévitablement ils reviennent à la tranche de concombre jusqu'à ce qu'elle soit avalée. Délectée, presque, il faut croire. Et la même question revient : pourquoi ? Pourquoi faire semblant ? Pourquoi mimer apprécier ce qui ne procure plus aucune joie ? Pourquoi jouer à l'humain ? Peut-être est-ce parce qu'iel a perdu cette vie il y a peu de temps, en comparaison à son vis-à-vis, mais iel se sent troublé. Peut-être sont-ce des deuils encore trop frais qu'il s'était précipité d'enfouir et qui reviennent à la surface soudainement.

Mais Loren n'est pas prêt·e d'affronter ses démons ce soir. Il n'est pas là pour ça.

Alors iel ravale le malaise qui croît dans sa gorge et se concentre sur les trésors dans la bibliothèque. Qu'est-ce que Zwei a acquis ? Il imagine déjà les vinyles rarissimes, les enregistrements de studio légendaires de pionniers de la musique. Que s'ouvrent devant lui les archives et les traditions oubliées, les découvertes majeures. Voilà de quoi lui changer les esprits.

Sauf que le trésor de Zwei n'est certainement pas le trésor de Loren. Ça lui prend deux battements de cils pour bien comprendre ce à quoi il a affaire. Céline. La légendaire. La contemporaine. La star pop et conventionnelle. Et même pas son meilleur album. Le Vanitas sent son visage fondre.

« Oh… C'est gentil. »

Iel suppose – du mal à comprendre exactement comment Zwei a pu penser à ellui en la voyant elle. Il s'efforce de sourire, poli. On l'a invité. On lui montre quelque chose de précieux. Sous le ciel il le jure il ne sera pas celui qui brisera la joie et la naïveté de Zwei.

« C'est une star incroyable, c'est sûr. Je ne suis pas certain·e de pouvoir connaitre son succès un jour. »

Parce que sa musique est moins mainstream ? Parce que Crescent ne s'adresse pas aux matantes ? Parce que qu'il ne joue absolument pas dans les mêmes catégories ? Parce que son rêve ne se termine pas avec une résidence à Las Vegas ? Qui sait.

Et qui pourra expliquer tout ça à Zwei ?

Un sourire, un peu similaire à celui qu'on offre à un enfant qui montre son dessin moche.

« Tu as de quoi être fier de ta trouvaille. Je suis sûr que plusieurs doivent être jaloux ! »

Iel ne brisera pas les joies de Zwei même s'iel ne les comprend pas.

Reverberation

Combien de temps Loren peut-il garder un faux sourire au visage avant qu'il ne devienne crispé ? Iel écoute l'histoire, le voisin qui souhaitait se débarrasser de ses vieilleries – tout s'éclaircit tout à coup. Au fond de son cœur, un soulagement que Zwei n'ait pas payé une fortune pour se procurer cette chose. Surtout si c'était pour lui faire plaisir. Ses épaules se détendent quand le sénéchal range le vinyle. Ils ne l'écouteront pas ensemble. Bien. Et surtout Zwei n'a aucune idée de quoi il parle. C'est rassurant.

Son choix s'arrête sur un meilleur terrain d'entente. Oui, Maneskin c'est beaucoup plus dans les cordes de Loren. Le sourire est beaucoup plus naturel.

« Avec plaisir. »

Tandis que Zwei met en place le vinyle, iel recommence son exploration du logement, ses pas lents guidant ses sens. Ses doigts se promènent sur les surfaces à sa portée, distraits. Est-ce que ça lui manque, cette lumière et cette légèreté ? Est-ce qu'un jour iel souhaitera se rappeler ce que c'était, être vivant ?

Mais c'est d'une autre perte dont Zwei veut parler. Un instant Loren se fige, ne s'attendant pas à cette question. Certainement pas formulée aussi directement.

« Elle me manque… »

Inutile de mentir. Sa vie depuis l'opprobre n'est plus la même. Il se demande s'il a atteint le soleil trop tôt, trop près. Peut-être que ce n'est que pente descendante à partir de maintenant.

« J'ai eu une gig récemment. Ça m'a permis de m'y remettre, mais ce n'est pas du tout la même chose. »

Son ami Ansel lui a peut-être déjà tout raconté. Loren évite de croiser son regard, de peur de deviner sa connaissance de ce fiasco. Non, la question venant de Zwei ne peut être que posée en toute innocence.

Et Zwei ne mérite pas sa mauvaise humeur. Alors Loren force un nouveau sourire et prétend le détachement.

« Dès que je recommencerai, je t'inviterai à un événement ! Ce n'est qu'un temps mort, ne t'inquiète pas. »

Dit-iel pour se rassurer en fait.