I dreamt a dream tonight.

Lorsque son bipeur s’affole, Andrea arrête tout ce qu’il était en train de faire. Iel donne des instructions pour la suite en sortant de la salle ; presse le pas pour entrer dans ta chambre.
Iel te voit telle que tu es : vivante.
Iel ne répondra à aucun de tes mots. Iel se rapproche à la place, saisit cette main parasite qui ne doit pas venir traumatiser les tissus plus qu’ils ne sont déjà. La blessure est sous gaze. Tu ne peux pas la toucher. Tu ne dois pas la toucher. Il faut qu’elle guérisse. Iel la laissera à l’air libre, plus tard, quand tu aura l’esprit dans le bon sens. Ou alors, iel te mettra une collerette préventive.
Ses doigts glissent naturellement sur ton poignet encore dans la main. Iel voit bien l’électrocardiogramme devant ellui, mais c’est un réflexe, une chose que l’on fait aux corps dont on doute encore de l’état. C’est ce qu’il a fait en premier en arrivant chez toi. Il avait déjà appelé les secours. Il enfile des gants, cherche le point de compression carotidien, appui sur le creux sur le côté du larynx. Iel compte les secondes pour juger de l’hypoxie lorsque les secours arriveront. Cinq minutes. C’est ce qu’iel a au maximum avant la mort des cellules cérébrales.
Iel cligne des yeux et efface le souvenir comme si de rien n’était. La mort n’a plus grand chose de choquant pour quelqu’un qui la voit au quotidien. L’urgence est un état à gérer, et ce jour-là, iel l’a bien fait. Rien de plus, rien de moins.
Je vais tester tes réflexes. Ton cerveau a manqué d’oxygène pendant une minute et huit secondes. Iel sait déjà que tu respires sans avoir besoin d’aide. Ta peau n’est pas bleutée. Le rythme cardiaque est habituel. Iel sait que des mesures ont été prises pour contenir les complications dès l’arrivée des secours. Le coma de courte durée est un bon signe. Ce n’est pas assez, cependant. Il allume sa lampe, la passe d’un œil à un autre. Quel jour était-il lorsque tu m’as appelé ? La date complète. Test de la mémoire à court terme.
Iel prie Mens pour que ton serment suffise à te protéger, sans savoir qu’il était désormais bien plus que cela.

I dreamt a dream tonight.

Non, tu n'étais pas morte.
C'était plutôt comme -comme si tu avais été sous l'eau, et qu'il n'y avait plus d'oxygène nouveau dans tes poumons. Tu ne meurs pas de suite. Il faut attendre. Il faut que toutes les molécules soient consommées, que l'énergie ne suffise plus, que la pompe du cœur n'ait plus rien à apporter au reste du corps. Ce n'est pas une mort immédiate. C'est une mort à rebondissement, c'est une course qu'on fait le plus doucement possible, c'est un contre-la-montre qu'on veut le plus court possible.
Le réflexe photomoteur est bon, la dilatation des pupilles était correcte. Iel éteint la lampe, ne lutte pas contre tes bras. Oui, le vendredi premier mars. Très bien. Le cerveau semblait fonctionnel. Les failles plus fines se verraient avec le temps. Iel prescrira une IRM.
Pour le moment, il fallait te garder ici. Maintenant consciente, il fallait te faire manger, et faire des bilans sanguins de suivi. Et, évidemment, te faire dire ce qu'il s'était passé. Nous sommes dans l'aile Regeneratio de l'hôpital. L'endroit n'est accessible qu'aux nôtres et il grouille d'Epées. Iel supposait que tu avais peur -iel laisse la guérison psychique à l'Etoile, qui viendra plus tard, mais imagine l'état de choc. Andrea n'a pas peur de la mort ; iel ne comprend pas l'angoisse face à elle. Iel a trop confiance en Mens pour cela.
Où souhaites-tu aller ? Simple curiosité, puisque tu ne sortira pas de cette salle. La présence d'épées était un réconfort et une menace latente. Ici, c'était Andrea lae chef-fe. Il me semble que la meilleure option pour toi soit de rester dans ce lit. Ton corps doit se remettre. Cela fait deux jours. Les voyants ne sont pas tous au vert. Iel prend le dossier en bas de ton lit, lit à nouveau les chiffres comme s'iel ne les connaissait pas déjà par coeur. Iel te fait confiance pour ne pas arracher la perfusion sur le dos de ta main. La perfusion parentérale n'était pas terminée.

I dreamt a dream tonight.

La peur était ennemie -elle empêchait de bien faire, elle emmenait les nuages, les faisait pleurer, et la boue ne pouvait qu'empêcher d'avancer losque l'on ne la maîtrisait pas. Andrea transformait les peurs en défis, en problème à résoudre, en choses cartésiennes. C'est ce qu'iel allait faire ici aussi. Saoirse. Regarde. Iel sort de sa poche son téléphone, son Arme, allume le flash, le dirige contre sa peau. La démonstration n'était pas complète -iel la dirige contre toi, laisse quelques secondes de flottement. La lumière s'éteint alors qu'iel pose le téléphone sur la table de nuit. Un instant plus tard, l'objet est à nouveau dans sa main. Iel vient de te prouver son identité avec les reliques de Mens. Il n'y a rien de Vesperis dans cette salle.
Iel sait aussi que la logique ne suffit pas à celleux trop loin dans les cauchemars.
Les draps bruissent lorsqu'iel s'assoit sur le bord du lit. Ses mains sont liées, sur le bas de sa blouse blanche. De qui parles-tu ? Peut-être n'était-ce pas la chose la plus indiquée, que de lui faire revivre son trauma encore frais -mais Andrea n'était pas l'Etoile, et iel croyait qu'affronter ses démons était la chose à faire, toujours. Aussi -ah, aussi ! Il fallait prendre les informations tant qu'elles étaient encore fraîches. Ce Vesperis ne fera pas long feu -iel ne le promet pas, mais c'est tout comme.

I dreamt a dream tonight.

Face à la peur, Andrea ne bouge pas. Iel laisse l’instant, l’évidence se montrer par elle-même : la preuve. Il n’y a rien de changé en toi, si ce n’est la peur, et une autre chose qu’iel ne sait pas encore -qu’iel saura, plus tard, n’est-ce pas ? Avant le reste du monde, n’est-ce pas ?
La lumière s’éteint et il laisse aussi le silence à la nature retrouvée de la scène. Le soleil est chaud, fend l’air frais du mois de mars. Le printemps revient. Les journées seront longues à nouveau. La chasse est à votre avantage. Il comprend le repli sur soi, mais le temps n’est pas à cela -il faut fleurir. Tu le sais déjà, n’est-ce pas ?
Andrea était prêt-e à abandonner lorsque tu dis que tu ne connais pas ce vampire-là -iel aurait demandé a d’autres de faire un portrait robot, et le dessin aurait été transmis à Soren et Léandre sans plus tarder-, mais plus tu parles plus iel croit savoir quel visage tu as en tête. Plus tu parles, plus cela lui semble clair, jusqu’aux comportements possessifs jusqu’à la moelle. Soudainement, Andrea se trouvait bien imprudent-e d’être revenu-e maintes fois à ses côtés -à moins que ce ne soit ça qui l’ait sauvé-e de la bête ?
Il se lève pou récupérer un stylo et une feuille de résultats, qu’il retourne du côté blanc. Sans attendre, il dessine du mieux qu’iel se rappelle les traits de Caenis. Cela prend quelques minutes -il faut cela au réalisme sommaire de ses traits, justes et bien placés. Lorsqu’iel est relativement (mais pas complètement) satisfait-e, iel retourne la feuille vers toi. Iel ne dit rien, n’y pense pas. Ses doigts sont blancs contre le bloc notes tant iel le serre fort.

I dreamt a dream tonight.

Andrea attend -l'instant n'est pas suspendu longtemps.
Le portrait chute. Le claquement de l'impact avec le sol étouffe l'espace. Ce n'est qu'un dessin sur papier -tu sais qu'il ne te fera rien, et Andrea le sait très bien aussi. Iel notre, alors, le traumastisme. Iel pensait que, faisant partie d'une brigade en contact avec les Vesperis, cela te serait moins choquant. Plus commun. Presque prévu, en quelques sortes. Andrea avait cette distance aux choses qui arrivent -qui lui arrivent- qu'iel ne sait pas s'iel serait traumatisé-e d'une telle chose.
Ce n'est pas le sujet. Iel regarde le rectangle à terre. Il est tombé du bon côté : on ne voit plus le visage dessiné.
Je le connais. Il s'appelle Caenis Solheim. Il vient de Norvège, du très nord, probablement il y a environ 500 ans. De nos jours il est analyste financier. Nous nous sommes rencontré-es à une exposition d'art. Il aime ce genre de choses -les choses qui sont chères, que les autres aiment, qu'il peut posséder ensuite. Comme toi, peut-être. Il me semblait utile comme informateur inconscient. Mais il n'est pas très intelligent, en réalité. J'imagine qu'il doit s'imposer par la puissance. Si pas d'intelligence, alors cela au moins -Andrea avait l'inverse. Iel s'était dit, plusieurs fois, que si Caenis voulait le tuer, il aurait pu le faire. Maintenant, face à toi, iel savait que non : Caenis n'aurait pas résisté à l'idée de lae mordre, et cela aurait signé la survie d'Andrea.
Il se voulait raffiné. Qu'importe. Iel garde entre ses dents le secret de Madeleine Rosenberg. Ce n'est pas à ton niveau d'accréditation. Cela s'arrête aujourd'hui. Nous irons le tuer. Je sais comment le trouver. La face reste froide. Andrea a arraché tout ce qui pouvait lae faire douter ; iel s'en remet à Mens, comprend l'écart idiot qu'iel a failli faire. Le referait quand même si tout recommençait. Nous en discuterons avec les Arcanes Souverains lorsque ta déposition sera terminée. Cela veut dire : tu ne décidera rien.
Iel n'est pas désolé-e. On décide moins bien lorsqu'il y a trop d'émotions.