Cela t’a pris du temps. Du temps, pour trouver un visage. Mais tu n’as pas de nom. Tu sais juste qu’il serait probablement le meurtrier de tes parents – ce n’est même pas sûr à 100%. Mais il y a une forte probabilité. Et ce simple fait suffit à te motiver à passer à l’action. À le traquer. Le chercher. Et le rencontrer.

Tu t’es donc mis en route, après t’être habillé de la tenue la plus confortable possible, avoir mis ta prothèse la plus résistante possible si tu dois prendre la fuite et mis ton corset le plus souple mais avec le plus de maintient possible pour les mêmes raisons. Ta canne à la main, de quoi faire à la cuisse et à la taille si besoin. Tu t’es mis en route.

Un peu au hasard, en vérité. Pas certain de le trouver à cet endroit, à cette heure. Le soleil est couché ; pas toi. Toi, tu guètes, cigarette aux lèvres, à l’abri de l’ombre d’un arbre. Tu fumes, comme un pompier.

Est-ce que tu stresses ? Surement.

T’es pas un homme de terrain. Mais t’as sur toi les armes recommandées par différents collègues… Si ça tourne mal, tu frapperas vite pour surprendre et prendre la fuite.

Tu observes. Tu ne sais pas ce que tu fous là. Les cheveux bleus. Tu cherches les cheveux bleus. Et quand tu les auras trouvé – si tu les trouves –, après, quoi ? Tu cogites. Réfléchis. Viennent parasiter tes pensées les balles sur lesquelles tu travailles, actuellement. Dommage qu’elles ne soient pas prêtes. Tu tires sur ta cigarette.

Une voix. Tu sursautes. Tu ne t’y attendais pas. Ton dos non plus. Rappelle à l’ordre par une décharge de douleur que tu forces à taire. Tu te tournes. Observes l’impudent qui t’a pris par surprise.

Les cheveux bleus.

Un frissons te parcourt l’échine. Tu restes silencieux, un instant. Perdu ? Aider ? Perdu, tu l’as aidé. Longuement. Aider ? Sûrement pas. Toi, en revanche, tu pourrais peut-être l’aider à mourir. La colère parle. Mais… ce ne sont que des cheveux bleus. Et si ce n’est pas lui ? Cela ne peut pas être lui, n’est-ce pas ? Est-ce le fait que ce type fasse une tête de plus que toi au bas mot ? Tu déglutis. Ramène ta cigarette entre tes lèvres. Enfonce tes mains dans tes poches.

« Je… bonsoir. Perdu ? Non. Pas tout à fait. J’observais les lieux. Je ne suis jamais venu ici. Comme quoi cette ville peut encore me surprendre, hein ? »

Tu réponds. Essaie d’être naturel. Ne te trahis pas. Appuyé sur ta canne, tu inspires ta nicotine. La souffle, lentement. Tu n’aimes pas sa voix. Ou bien est-ce sa façon de parler ? Non. C’est lui tout entier.

Les cheveux bleus.

Et maintenant, quoi ?

Tu essaies de paraître décontracté. Mais ce n’est pas si évident. Son sourire te tend. Sa voix te tend. Son regard te tend.

Tu inspires profondément, te raccroches à ta cigarette pour ne pas te retrouver décontenancé. Effrayé… Tu ne l’es pas vraiment. Et en même temps… si ? Tu n’es pas un chasseur. Tu n’es pas un combattant. Tu n’es pas une épée.

Un temps. Une question. Ta réponse est simple.

« Oui. »

Tu es ici depuis la naissance. Tu es un enfant d’Arkham. Tu aurais voulu lui renvoyer la balle mais il te prend de court. Tu te passes une main sur la nuque. Est-ce qu’elle trahit un malaise ou est-ce qu’elle rentre dans un jeu que tu essaies de mettre en place ?

« C’est une couleur originale. On n’en voit pas souvent. »

Tu réponds, faisant mine de rien.

« Vous travaillez ici ? Vous avez l’air de connaître l’endroit. »

Tu questionnes, en retour. Tes doigts se serrent sur le pommeau de ta canne. Elle-même dissimule une arme. Mais peu nombreux sont ceux qui le savent. Tu es un homme plein de mystère, après tout, Agape.