Les étudiants piaillaient à côté d’elle, emplissait son monde d’un refrain familier autant que réconfortant. Faye ne les chassait pas mais n’écoutait pas non plus, gravitant autour d’elle, offrant parfois une réflexion ou une réaction qu’on estimait convenable.


Le nom Byrd attirait l'intérêt; et Faye savait que ses moindres réactions donnaient lieu à des commentaires, des analyses pertinentes de qui elle était, jusqu’à conclure bien doctement que Faye était une gamine pourrie gâtée mais sait-on jamais.

Le groupe se scinda et les au revoir prononcés furent bien vite oubliés quand Faye accélérait le pas pour rejoindre son cours de biologie animale. Peut-être que d’ici trois ans, elle demandera à rejoindre les rangs des étudiants en médecine; elle sait qu’elle ne sera pas refusée.


La moitié des bancs ici ont été payés sur les derniers de sa famille.

Mais tant qu’elle marchait, laissaient ses cheveux rebondir sur son épaule, ressentant la paix des instant d’un hiver adouci par le réchauffement de la terre,
Elle vit quelqu’un joindre ses pas aux siens.

-Oh.

La fraîcheur glaciale s’abattit sur eux.

-Monsieur Lake, quelle curiosité.

Elle savait combien il était puéril d’aborder ces sentiments, cette haine froide qu’elle ne contrôlait pas, il n’était que le messager. Mais lui, représentait ceux qui aurait dû sauver les siens.
Ceux qui avaient promis à leur dieu d’aimer et de protéger l’humanité;

-Je vais bien merci, dur dur d’aller mieux quand personne ne m’attend à la maison.

Ça fusait dans son esprit, ces répliques mauvaises et cruelles mais elle tenait sa langue, ne souhaitait pas attirer les ragots déjà que trop présents sur elle.

-Ah, la dernière fois, j’ai nommé la fois où votre petite organisation m’a annoncé que ma famille était morte et que vous n’êtes pas venu mh? Vous m’avez toujours l’air en pleine forme vous, vous mangez bien?

Le ton faussement bienveillant purulait de ce mépris.

Les fantômes…

Ces êtres ingrats, infâmes, indisciplinés, se bousculant à la frontière de son être, dans les méandres de ses souvenirs. Elle sentait la pointe de peine dans son pancréas; la bile qui étourdissait ses sens et anesthésiait sa bouche. Elle fit l’effort de respirer plus profondément, de bloquer les émotions d'affluxer. Honoré n’était rien, un autre être vide, fait de papier mâché sur lequel il ne valait guère projeter.

Pourtant, son regard était mauvais quand il se posa sur lui.

-J’ai mon oncle, merci beaucoup pour votre sollicitude. C’est le dernier de ma famille, savez vous ?

Elle ne peut pas empêcher sa voix de dérailler un peu, elle était si jeune quand elle était seule. Mais craquer maintenant ne lui apportera rien. Alors elle se força à sourire, affichant une bienveillance creuse pour qu’il ne soucie pas.

-Il n'y a pas grand chose à dire sur moi, je vous assure. Je vis, je mange, je dors, je survis somme toute. Re…Votre organisation n’a pas à se soucier de moi. Nous avons bien terminé le plan d’assistance convenu pour votre installation non?

Faye avait lu les papiers; les traces de l’aide meurtrière des Byrd pour les Regeneratio. Elle ralentissait le pas, s’adaptant à son rythme pour ne pas lui donner la juste impression qu’elle le fuit.

-Qu’avez vous à gagner qu’on s’entende ? Vous avez un poids sur la conscience que mon pardon et mon amitié sont censés lever ? Qu’attendez vous de moi et de ma “clémence” ? Je ne comprends pas pourquoi vous êtes là. Les pertes que j’ai vécu…sont les pertes de tous ceux ayant opposé les Vesperis. Voulez vous voir tout les enfants de cette ville pour vous excuser ?

Le ton était acerbe mais pourtant… Honoré Lake, penses tu que Regen est assez face à toute la misère du monde?

Elle ne le comprenait pas.
Comprenait pas sa tendresse.
Comprenait pas la violence de sa gentillesse.
Comprenait pas pourquoi il s’abaissait à venir la voir, à venir la consoler alors qu’il n’y était pour rien.

Elle avait envie d’exploser, de recouvrir la ville de sa haine, de sa vengeance, de faire souffrir chaque être qu’elle a le malheur de regarder. Elle sentait la noirceur l’avaler et la recracher et elle pila. S’arrêta devant lui, le regarda droit dans les yeux avant de lui dire.

-Pourquoi ?

Pourquoi voulait-il sa survie, son bonheur ? Sa mort lui apporterai bien plus, la conscience serait plus légère si elle était morte. Hadrian ne détestait pas autant les Byrd qu’elle, il saurait leur donner une place dans la ville, dans ce qui restait de la famille. Alors pourquoi la regardait-il avec de tels yeux. Elle ne voulait plus qu’il ne respire, plus qu’il ne la regarde ainsi avec des yeux aussi doux.

-Honoré, très bien. Tes vœux m’honorent, je sais pas quoi dire. Ça me soûle parce que ça serai tellement plus simple pour tout le monde si tu étais un gros idiot qui me répéterait que tout a eu lieu pour la mission. Ça serait mieux si tu me détestais, qu’on en reste là tu vois. J’ai pas grand chose à dire de plus, j’ai la sensation que tu me pardonneras même si je crache sur la tombe de ton père mort. Je prends pas goût à la vie parce que je sais très bien que si un jour, ils veulent me tuer, je serai morte. Je me couche chaque soir en étant persuadée que demain, je serai peut-être une vampire ou une morte. Comment vous voulez vivre comme ça ? votre organisation est bien heureuse de compter sur vous; vous savez vous battre. Moi; je sais juste comment cette ville crève.

Et elle enflait, sentait les larmes monter dans ses yeux avant qu’elle ne respire un grand coup, laisse ses cheveux pendre sur le devant de son visage.

-Cela est tout.

C’est sans joie qu’elle le contemplait lui et ses grandes paroles; émotions refoulées, poings fermés en une arme dépourvue de violence mais pleine de colère. Elle voulut lui hurler qu’il ne savait rien, connaissait rien de ses peurs, de ses horreurs qu’elle sentait battre en son crâne; savait rien des vérités crues, savait rien de ce sang qu’elle sentait hurler en elle.

Alors, elle se tut, baissa la tête et siffla.

-Parce que je le sais. Je te demande pas d’intervenir, je te demande même pas de t’en soucier. Je te demande juste d’arrêter de croire que tu peux sauver le monde entier parce que tu crois que t’en as le devoir.

Sa voix défaillante, hurlante en ces chuchotis écrasés.

-Ça fait quoi- 40 ans que vous êtes à Arkham ? Est ce que ça va mieux ? Est-ce que les cancers ont arrêté de priver les familles de leurs aînés ? La ville se meurt! Et vous prétendez vouloir la guérir mais en quel nom vous agissez, en quels dieux pouvez-vous croire ? Il n'y a plus aucun miracle ici, plus aucun voeux à exaucer ici bas. La ville meurt.

Et ses larmes, cette frustration indigne inonda ses joues, suffoquant ses pensées. Faye paniquait, Faye crevait. Sans douceur, sans délicatesse. Elle l’entendait parler, lui assurant qu’il allait les entraîner, les protéger et elle voulut crier de se taire. En son coeur, l’étau de la panique, du désespoir le plus profond. Personne ne pourrait l’entraîner, personne ne pouvait la défendre.

Elle ne voulait plus ces vœux creux.

-Ça suffit. Professe de tes mensonges à qui tu veux mais pas à moi. JAMAIS à moi. Tu ne peux pas m’entraîner, j’ai 18 ans! Je ne peux même pas ouvrir un bocal toute seule!

Elle reculait d’un pas, s’arrêtait, voulait se replier en son plus petit point.

-Tu veux me protéger ? Protège mon oncle! Fais le partir d’ici! Pars toi aussi! Accomplis ton devoir! Mais plus jamais, je veux t’entendre. Plus jamais, je veux que tu me sortes ces conneries.

À vif, blessée, détruite.
Elle se tenait le ventre, l’envie de vomir sur ses lèvres.
Son destin était déjà engagé, elle le savait.
Elle allait mourir.