L’hiver éternel avait déchiré la tendresse, ta tendresse ne fut jamais née, coincée dans le ventre de ta génitrice,
elle était morte avec elle.

Alors être ainsi rendu glorieux, rendu immortel, rendu splendide par des doigts que tu ne saisissais pas, une existence volatile et destinée à l’éclatante misère de la mort. Enfant des De Manincor, elle t’avait considéré objet et tu t’amusais à lui rendre grâce.

À plier ton corps à ses us et ses désirs.

-À quoi cela sert-il d’être beau, Sélène ? À être désirable ? À ce qu’on veuille de moi ? Je n’ai nul besoin d’être beau.

Sifflement amusé; tu ondulais dans l’air moite de ce lieu saint. Ce lieu où l’odeur n’était faite que de la sueur et de la matière de cette famille teintée par la folie. Et tu t’avançais vers elle, soigneusement, prédateur n’ayant plus le moindre besoin de traquer.

-Je suis donc un accident de voiture et mes mains sont des cadavres éventrés par les roues ? Tu me vexerais presque, ma toute petite. Admire ma grandeur et ma laideur, fais-en de la beauté si tu ne désires que cela.

Te penche vers elle, la noie de ton corps avant de soupeser cette envie dans ta gorge. Ses yeux sans impatience la laissaient finir, venir s’étioler sur les rivages d’une indifférence marquée.

-Si je suis sage, tu dis ? Tu es audacieux pour une poupée de son.

Ta main, araignée de sang et muscles, se mit sur sa cuisse. Appréciant le tissu, pressant tendrement cette possibilité.


-Cette jambe t’irait? Si je te la réclamais ici et maintenant, tu pourras me la refuser ? Il suffirait que je me baisse et que je dévore, que tu me contemples entre tes cuisses, fouiller mon chemin jusqu’à l’os, faire de toi une extension de moi.

Ses gestes lents, descendaient jusqu’à son genou, effleuraient son mollet avant qu’il ne se recule, satisfait.

-Tu es folle d’être toi, tout simplement. Mais ça te rend charmante, comme ces bâteaux au bat brisé et à l’équipage hanté.

Et il rit.
Il rit avec la violence de cette neige suffocante.

Tu ris avec une tendresse délicate; une tendresse presque ingrate, une tendresse qui ne se savait pas tendre, une tendresse creuse, dévorante, mesquine.

-Je n’ai jamais eu le loisir de me considérer désirable, je m’impose plus que je demande permission d’être désiré, comprends-tu ? Trouve moi beau si cela te convient, je suis tien le temps que j’oublie cette lubie.

Si elle ne te comprenait pas, cela ne te concernait pas, cela te rendrait presque fébrile, destructeur dans ton tout puissant désir d’être voulu, d’être attendu, qu’on se confie à toi les âmes et les envies insupportables d’un coeur destiné à s’étioler.

Myocarde distendue, déjà morte, tu la regardais s’amuser de ces mots, comme si de sa langue perfide, elle pouvait définir ce que tu étais, dessiner les contours d’un être inconnu à ton esprit!

Quel déplaisir certain d’être ainsi exorcisé,découpé, découvert en tes chairs fraîches, de son regard grossier sur tes entrailles ennuyées. Son audace te fit sourire, fraîcheur brûlante d’un pouvoir qu’elle ne détenait pas et dont le bien cruel savoir dansait dans ses orbites lassées. Tu n’en fis rien, la laisser venir à toi pour s’en refuser.

-Je te trouve bien excitée pour une femme destinée à être dévorée, n’as tu pas peur que je réclame mon dû, quand tu seras assoupie, quand tu seras désespérée d’être aimée, quand tu seras heureuse d’être loin de moi ?

Visage baissé vers elle, affichant de ses traits de fausse providence toute la sollicitation hypocrite des saints taillés à la pierre. Et ta main, prit sa cheville, la tirait à toi légèrement, lui rappelle l’inexorable gravité qu’elle s’était imposée en te choissisant.

-Tu fais peur, d’une façon tout à fait différente. Tu fais peur comme les visages fantomatiques dans les vagues, comme cette promesse d’un jour meilleur qui n’arrivera jamais.

Satisfait, tu étirais doucement son pied avant de le relâcher, te mettre hors de sa portée avant de tapoter les replis de ton costard.

- Mais tu fais moins peur que moi, car si on venait à me couper la langue, je saurai tuer des rois. Toi, tu ne pourrais que pleurer. Dessine moi dévorant ta langue, ou ta jambe, ou devant une de mes proies, nourris toi autant que tu peux de moi, tu dois découvrir la faim. La vraie. Celle qui donne au rouge sa gloire.

Sa patience était creusée, grande absente de tes pensées dont tu laissais le manque dévorer tes gestes vifs. Tu n’étais pas patient, tu étais un homme fait pour dévorer mèrer et fils, lune et soleil. Gueule plus grande que l’abysse, tu n’aurais jamais un regard pour ces vertues futiles. Sourire fin avant de t’asseoir; Sagement, comme si tu n’étais qu’un brave monstre domestiqué dont la promesse d’un membre suffisait à rendre sage. Tes yeux glissaient sur la main de selene.

-Quel angle as-tu besoin? Dois-je avoir l’air pensif et mélancolique pour m’attirer tes grâces, ouvrir ma main sur mon visage? Guide moi en tes désirs, Selene, amuse-moi.

Que tu ris. Plus fort que le deuil que tu porteras à son enterrement!