La nuit est douce ; l’air plus encore. Tito aurait voulu jouer pour son père, mais la Cour l’étouffe — alors c’est dans un parc, et pour Stolas, qu’il s’est saisi de son violon et qu’il en a effleuré les cordes, sans oser le regarder complètement.
Maintenant qu’il est assis, amoureux des fleurs et les pieds dodelinant dans le vide, petit prince se réjouit de sa décision. Sans doute qu’il n’y a rien de plus tendre que l’obscurité aux côtés du garde, la tension électrisante de quelques secrets faisant tressauter ses doigts d’une impatience princière.

Lorsque Stolas l’appelle, Tito sursaute ; non pas par peur mais parce qu’il était trop occupé à repenser, les yeux plongés dans la rosée naissante sur les pétales, à ce qui suppure entre eux depuis quelques jours. A la fraîcheur des lèvres contre les siennes ; à la piqûre des crocs et la pression des doigts à ses hanches. S’il pouvait encore rêver, sans doute qu’il n’y aurait que Stolas pour venir le hanter.
Il ronge sa lippe — il est redevenu Tito, n’est plus son petit prince. « Pas encore. Supplique qui se veut ordre — il rassemble les lambeaux épars de son courage, sans pour autant lever la tête. Dis, Stolas.. La pause est effrayante, mais Tito s’effrite sous la pression de l’inconnu. Tu le pensais vraiment ? »

Bizarrement nébuleux, les yeux-soleil se heurtent au chien, luisent d’une poignée d’étoiles tatouées dans les iris.

Et quelque part Tito se persuade que tout s’est arrêté — que le soleil ne suit plus sa course mais se fixe à un point du ciel, juste en-dessous de l’horizon pour leur laisser le temps de murmurer quelques secrets à la mort de la nuit.
Petit prince immobile, épinglé sur son trône de marbre sous le regard du chien ; et finalement la sentence s’effondre sur ses épaules, les vestiges de son cœur presque palpitants derrière ses côtes.

Il inspire, inutilement.
« Ca me dérange pas. Candide dans son assentiment ; parce qu’il laisserait Stolas le dévorer, si ça pouvait l’apaiser. Qu’il se donnerait jusqu’à la moelle pour adoucir ses traits, rien qu’un instant. Mais pas tout de suite. » Sa propre main guidée jusqu’à celle du garde, les doigts presque chauffés par l’intensité de ce qui fait tressaillir son petit corps. Il les guide à sa joue, qu’il love dans la paume du géant.

Lèvres pourléchées, déconcerté mais chargé d’audace. « J’aimerais pouvoir t’aimer, d’abord. Assailli par un courage inhabituel, il continue. Et que tu m’aimes en retour, même si c’est un peu difforme. Le carillon, ingénu, d’un rire timide — si tu veux de moi, Stolas, tu peux m’avoir. Tout entier. Jusqu’aux os. »
Parce qu’il y croit sincèrement ; pense qu’il pourra tempérer la fébrilité de la bête, s’y risquerait les yeux clos et le coeur diablement ouvert. « D’accord ? » Et les prémices lointains du jour paraissent danser dans les cheveux du chien — Tito s’en émerveille. L’étau de ses doigts se resserre.

Savoir comment il allait s’éteindre à quelque chose de rassurant — placer sa petite vie entre les mains gigantesques de Stolas est aussi facile qu’il l’était alors de respirer, non pas parce que Stolas s’attache à le réconforter mais parce que Tito, ébloui par la force de ses propres sentiments. « Mh-hm en assentiment si aisé qu’il se surprend lui-même, tant que tu le voudras, je continuerai. »

Ce que Stolas ignore, peut-être, c’est que le petit prince déborde d’un amour sans fond ; si étouffant qu’il a fait fuir tous ses amants, trop intense lorsqu’il se love dans leurs bras et quête l’affection comme un chaton tout en ronrons.
Ce que Stolas ignore, peut-être, c’est que la faim qui le happe est jumelée par celle de Tito ; elle se manifeste dans les murmures pressés contre la peau et les doigts froids enroulés tout autour de lui, n’est rassasiée qu’une fois assurée qu’il est aimé. « Toi non plus, ne t’arrête pas. Je crois que je n’y survivrais pas. »

Et c’est pour ça, que tout est si facile. Les bras derrière la nuque du géant, celle du fils de prince tordue pour encore se galvaniser de la vision — là où d’autres voient un monstre, lui distingue la tendresse par-delà la dureté, se nourrit sans peine de tout ce qui fait de Stolas ce qu’il est.
Tito cueille ses lèvres comme une fleur, les siennes encore déformées d’un sourire qu’il peine à contenir. Il l’embrasse — encore, et encore, et encore, chaste non pas par candeur mais parce qu’il ne sait jusqu’où l’audace peut s’étendre. Baisers pressés aux commissures, nez frotté contre celui du titan comme celui de Toast, lorsqu’elle se glisse autour de son cou et quémande quelques caresses.
« J’ai jamais eu peur de toi, tu sais ? »

Et même si le temps semble se suspendre à leurs lèvres, le soleil ne cesse sa course — la pensée macabre que s’éteindre ici et maintenant éclot un court instant dans son esprit, mais Tito l’étouffe au profit de celle, plus tendre, d’une éternité aux côtés de son gigantesque garde. Petit prince presse des baisers papillons sur son visage, glousse sous la pression de ses mains dans son dos.

Terriblement puéril jusque dans son affection, il ronge la pointe de son nez et s’enfuit soupirer contre son cou ; y fait fleurir la marque jumelle de la possession qui avait rougi sur la sienne, non pas affamé mais bien apaisé d’enfin pouvoir se pelotonner sans crainte contre le géant.
Mains liées, le murmure crédule d’un bonheur éternel — il en oublie la jalousie des jours passés, et refusera de s’en souvenir jusqu’au lendemain.

« D’accord. » Il acquiesce tant pour l’offre que pour la pérennité qu’ils se promettent ; convaincu en cette heure que l’univers leur appartient et que les étoiles elles-mêmes se réjouissent de ce qui fait tressauter le bout de ses doigts entre ceux de Stolas, Tito se sent plus grand que jamais.