Sous le pendant moqueur des arbres, lointaine fontaine en son dos chantonnante, Faye s’adonnait à un art.
Celui de dessiner, celui de tracer au fusain des silhouettes
sans lendemain.

Elle n’en était pas tellement satisfaite, tirant et ordonnant continuellement la graisse noircie pour refléter un beau n’existant que dans ses yeux. Ses doigts devenaient brûlés et la frustration s’accumulait, en ses yeux gonflés de fatigue, sur ses bras lassés. Le jour avait déjà bien avancé, son téléphone ornait la rubrique funéraire.

Frankenstein des temps modernes, smartphone qu’il suffisait de nourrir à l’électricité pour le ramener à la vie; mais Faye n’avait même pas pensé à se nourrir.

Elle en devenait frustrée; agacée; désastreuse.
D’un autre geste, elle déchirait le papier et contemplait enfin la traînée du soleil. Bien plus bas que prévu, elle avait manqué sa journée de productivité.
D’un râle bas et désaxé, ses affaires furent jetés sans nul attention dans son sac et elle voulut hurler.

Frapper sa tête contre le banc, frapper ses talons contre la terre.
Ouvrir ses veines et répandre le sang sur le fer.

Mais elle ne fit rien, elle tua son désespoir sanglant derrière ses inspirations profondes; Elle avait l’âme d’une artiste mais nullement le talent - chuchotait l’esprit méchant enfoui derrière ses tempes.

Une ombre sur sa main, une ombre du coin de l’oeil et elle grognait, irritée, vexée, incapable de prétendre.

-Tu me veux quoi, Po.. De Manincor.

Le joyau de ses envie, le reflet de ce qu’elle ne sera jamais. Elle petite, maigre, difforme Faye face à la grandeur lunaire de Selene.

Son palais avait le goût du fer, le goût du sang, le goût sans appel de la rage contenue, étiolée, massacrée.
Elle voulait la briser, elle voulait jeter sa carcasse élancée vers les cieux auxquels ses os sanglants prenaient racines. Faye se repliait, fermait bras et jambes pour paraître menaçante, elle n’était que pathétique, infante en proie aux jeux cruels de ces ainés.
Puis un hoquet, un cri crevé dans son œsophage quand le doigt vient à son visage, d’un geste qu’elle aurait désiré avoir mais vomissait désormais chaque velléité de son être.

Sa main attrapait celle de Sélène en vol, capturant l’insupportable abeille
Picorant ses joues, se moquant de sa tendresse diminuée.
Elle pressa, faiblement.

Assez pour lui dire l’intention, insuffisant pour lui dire la forme.
Brûlée par l’humiliation, ses joues flamboyaient avant qu’elle ne crache

-Tu sais très bien que t’en as rien à faire de mes permissions.

Pouvaient-elles se rappeler d’autres choses que des mots piquants, des regards hasardeux, des termes vacants, de cette miasme que la lune appelait Sienne.

Relâcha la main, détourna le regard, remonta ses genoux à son menton pour ne pas la confronter.

La viande sanglante ne peut qu’attirer les prédateurs et stupidement, naïvement, Faye retenait ses plaies de saigner. Voulait-elle lui arracher ses lèvres pour en décorer les murs des lamentations, pour dire aux croyants que c’était de ces lèvres dont il fallait honnir le nom.

-Ça t’intéresse ? Tu vas te moquer de moi.

À vif. Plus de pudeur, jamais plus.

-Tu vas prétendre le trouver beau, pour le détruire, pour dire que mon trait n’est pas droit, que ma perspective est foirée, que tu ne ferais pas de telles erreurs. Je ne veux pas de ta pitié. Je ne veux pas de ta miséricorde.

Et pourtant, sa main, fourbe, traîtresse. Tirait les dessins. Les éparpillait sur le sol. Vouloir être détruite était un besoin.

-Fais ce que tu veux.

Comme tout le monde dans cette ville, faites ce que vous voulez du cadavre de Faye Byrd. Nourrissez vos chiens de ses viscères, cela lui est égal.

Faiblesse haie, dont l’action lui faisait remonter les yeux, regarder ce corps moqueur fredonner à l’air.
Oréades venimeuses, à guetter la faiblesse, la pourriture grimpante le long de ses bras, à se nourrir de sa haine.

Espoir dont elle n’arrivait pas à nier la source, à être admirée, aimée, un peu pour elle, moins pour son rôle. Faye ne poussa qu’un bruit mesquin, raclement de sa gorge pour ironiser ses bêtises. Selene n’avait pas besoin de Faye, Faye se crevait dans son silence et souffrait dans ses mots.

Toxique admiration dont aucune subtilité ne lui sera épargnée.

-Tais-toi.

Pour ne pas lui faire la faveur d’entendre les supplications, elle en devenait brûlante. Sotte, Sotte, Saute dans les miasmes, pour ce brin d’Elle dans lequel s’idôlatrer.

Et Faye attendait, suspendue.
La sentence tombait et la rage, amicale némésis bondissait.
La Hargne ? La Hargne ? Les sentiments ? Coquille vide, vidée par la vie.
Vide ?
Vide ahahah.
VIDE!

Comme une sentence, un diagnostic, une punition.
Vide ! Comme ce mot qu’elle sentait écrit entre ses sourcils, comme cette idée qu’elle ne sera jamais parfaite, jamais l’héritière!
VIDE!
Quatre lettres, un milliers d’autres qui dansait méchamment entre ses murmures d’elle à elle.
La boue était absorbée par le papier et la perfection superficielle du fusain crevait au contact de la génitrice de sa vie.

Ennuyeux ?
Ses membres repliés sur eux-même s’étiraient brusquement, prenant l’espace complet, la mettant debout.
Affaires dans son sac éparpillés en tâche de vomi, comme si Faye gerbait enfin ce trop plein. Cette gentillesse qu’on lui avait inculqué comme féminine, cette mélancolie comme seule façon de porter ses peines.

-TAIS TOI, TAIS TOI, TAIS TOI. TU VEUX MA HARGNE? ALORS BOUFFE LA.

Et jetée sur Sélène, pêle-mêle, au lointain leurs quatres bras blancs appartenaient à la même divinité. Au dessus, Faye, son poids sur son torse, jupe retroussée et genoux blessés, ses yeux luisant de peine et de douleur. Et ses mains, inconscientes, animées que par le désir de blesser, que par le désir de détruire, se mettaient sur son cou. Sans pression, sans colère, tremblantes appendices de chair.

Ô cela était si amusant de tenir la vie d’une artiste, un être destiné à la création.

-Pourquoi tu me fais ça, Sélène ? Pourquoi ne peux- tu pas te taire et te moquer de moi quand je ne suis pas là? Pourquoi ne pas tu être contente que je suis qu'une coquille morte ?

Comme tous les autres.
Comme tous les fantômes dans son crâne.
Comme quand elles étaient enfants et que Faye se fatiguait à courir après l'ombre de la Lune.

Aucune pensées
Délitées
L’audace brûlait tes gestes, la haine rendait les principaux moraux confus, une flaque de gris et de noir dont la nuance s’étiolait à chaque inspiration de sa proie.

La colère comme nouvel absolu, nouvelles élégies à lesquelles Faye vouait une foi démente, à désirer brûler des églises et martyriser des impies pour satisfaire sa soif. Contre son torse, contre le centre de sa vie, elle ne pensait plus à l’horreur qu’était d’être une meurtrière.

Ni à la conséquence de faire cession de son âme.
Elle ne pensait qu’à la forme gracile de ses lèvres quand elle crachait les horreurs de son invention.
Elle ne pensait qu’à l’ironie latente de sa chevelure brumeuse par la terre humide quand elle riait de son désarroi.

Elle ne voyait qu’une femme sûre de vaincre face à un chaton sûre de perdre, qu’importe si le chaton pouvait briser sa nuque et nourrir son cadavre aux pourceaux de l’arrière cour! Et l’ire rendait ses yeux luisants, ses yeux faits pour contempler les vacuités d’une vie vaporeuse.

Sélène lui interdisait ce luxe.

-Tu ne sais rien! Tu prétends que tu sais tout, parce que toute ta vie, on l’a passé à bouffer dans ta main. Tu ne sais rien de moi! Tu ne sais rien de ce que je pense de toi ! Tu ne sais rien de ma frustration, tu connais juste ce que tu m’attribues.


Sa main appuyée contre sa gorge encore un peu plus, penchée vers elle, à vouloir voir les affres de sa souffrance.
Il n’y a rien.
Juste des injures, des rires, un sourire dément.

Un sourire à hanter les songes, à brûler les raisons.
Un sourire inspirant les croyances à craindre les démons.
Un sourire que seul Sélène pouvait offrir.

-JE T’AI DIS DE TE LA FERMER.

Et ce cri, ce dernier cri à faire bruisser les mésanges
vint sceller le destin.

Et Faye serra, serra, écrasa la tranchée de sa force, entendit ses couinements jaillir de derrière ses lèvres si rouges, vit ses yeux se révulser dans leur orbites.

Elle serra!
Encore!
Encore!
Libre!
Enfin libre!
Sa haine!
Sa colère!
Elle deviendrai bourreau!
Enfin!
Elle pourrait se punir après, comprendre qu’elle possède enfin une vraie souillure!

Et son visage de poupée fut distordu, un masque de la haine la plus pure, la violence la plus bestiale. Sa peau violacée par l’effort de tuer fut contre la sienne bleutée par la mort à venir.

Libre!
Le désir!

Et sa main se fit légère.
Faye ne comprit pas
Pourquoi les yeux embrumés de Sélène lui parurent si beaux
Pourquoi la forme de son cou marqué par sa main lui paraisait si délicat.
Pourquoi elle se penchait vers elle, volait ce souffle qu’elle lui autorisait à prendre.
Pourquoi elle souhaitait la découvrir ainsi.

Et ses lèvres pleines de la curiosité morbide, pleines de cette fascination brûlante effleuraient les siennes.
Et cette colère la fit rageuse, pleinement.

Et elle prit Sélène de son amour contrarié, de cette violence adolescente.

Elle embrassait sa victime, les yeux emplis des larmes d’avoir attenté à la vie et d’avoir échoué à la voler.

Pathétique Faye.