Fracas, sa présence se faisait caprice d’une pluie estivale. On entendait qu’elle et ses talons enfantins par leurs provocations. Voulait-elle paraître plus grande qu’elle paraissait plus petite, toute écrasée par la colère et ce flux d’émotions qu’elle ne maîtrisait pas.

Hanches balancées sans outrage au milieu de la maison du Divin, Faye voulait lui faire un doigt à cette statue gracieuse par sa tranquillité mais ses dents s’enfonçaient sans cérémonie dans ses lèvres. L’audace allait bien à son teint de minette, toute encore auréolée de l’idée fugace d’être inarrêtable.

-Maria!

Hostilité agréable, le sacré n’est nulle limite.
On ne peut l’accuser qu’aucune fausseté, sa guerre se porte sur ses manches retroussées.


La femme ferme apparaît, le visage tracée par une vie à s’étioler au service d’un dieu de pierre et de songes. Crois-tu Maria que ton dieu en a quelque chose à faire de la misère que son règne a apporté ? Mais Faye ne le dit pas, n’en a au fond que peu à faire, il existe dans la jeunesse cette suprême arrogance que tout doit se ramener à elle.

Et les valeurs, les rêves, les espoirs, la vie de cette nonne ne pesait que décidément peu dans son appréciation de la situation. Maria lui avait avec l’innocence de ceux savant trop mais disant que peu, que les archives de Mamie crachait ses papiers sur les pavés humides de la cave. Elle y est allée et a lu.

A lu les horreurs de son sang.

Son chewing gum claquait contre son palais.

-Je suis allée voir les archives, t’as deux-trois trucs à me dire, j’crois ? Si tu veux qu’on se cause en privé, je te suis parce que tu m’as rendue grave curieuse.

On pouvait la regarder comme on voulait, on pouvait l’insulter de tous les mots, elle n’en avait que faire. Son Ire était son sang.

Le sang.

Comme celui que sa famille avait répandu pour cette ville ingrate.

Sa colère n’est ni divine ni juste, un sale amas, une pourriture sans contrôle qu’elle souhaitait étaler à la face du monde, exaspérer les saints pour enfin se faire punir d’une faute qu’elle pouvait nommer.

Marie était cette femme de fer faite, ce regard rapace ravisant ses émotions, ne laissant en elle que cette amère déception. Qu’attendait-elle ? Attendait-elle que cette vieille lui ouvre les portes du secret ? Les portes d’un pardon plus dantesque que comique ?

Et elle la suivait. Sans faire ni bruit ni provocation, humiliée par sa candeur et son tempérament. Elle la suivait, attristée de se rappeler que nulle grand-mère ne serai là pour lui confier les secrets des siens, lui tresser les cheveux et lui promettre qu’un jour tout ira bien.

Mais cette alcôve au sacré mercantile, Faye reprit du poil de la bête. Gonflant sa poitrine, croisant les bras, elle se faisait provocante comme cet oiseau plus petit que son prédateur.

-Parce que je suis en colère. Parce que j’ai la sensation que cette ville entière se fout de moi et que t’es la seule à me le dire dans la gueule.

Ces mots fusains entre ses dents porcines.

-Qu’est que je suis censée comprendre ? Qu’est que je suis censée savoir ? Pourquoi…

Elle sait très bien pourquoi. Elle sait très bien que les Byrd ont fait ça pour un plus grand bien, pour cette ville état, cette ville prison, cette ville boucherie, comme elle hait Arkham! De lui avoir tout prit et tout donné. Princesse de la porcherie, acclamez Faye Byrd.

-Pourquoi m’avoir parlé de ça. Tu le sais. Je le sais.

L’accusation volitigeait tendrement, s’écrasait naïvement sur ses talons.

Ô combien Faye haïssait.
Vainement, stupidement, lassement.
Un taureau aux yeux voilés ne foncera pas aussi bêtement que sa rage. Elle ne pouvait pas en vouloir à Maria d’être Maria, elle ne pouvait pas en vouloir aux morts d’être morts, elle ne pouvait qu’en vouloir contre ce monde stupide et dangereux, ce monde qui oblige des enfants à devenir adultes dès que le drama les étreint.


Alors, elle secoua la tête, laissa ses longs cheveux blonds noyer ses joues avant de tenir son visage contre sa main, le pressant, sentant ses chairs capricieuses lui hurler la douleur.

-Pourquoi elle devait se confier.

Cette question s’accompagnait d’un aveu rhétorique. Pourquoi ne pouvait-elle pas mourir, ne laisser aucune mémoire, aucune preuve du crime des Byrd. Puis Faye rit, brièvement, avant de laisser son regard retomber sur Maria. Un sourire sans méchanceté sur ses lèvres asséchées.

-Je m’en doutais un peu à vrai dire. Ces choses-là, on les devine, c’est dans notre sang. Tout est dans notre sang après tout, hein.

Sa main lâchait le front avant de repousser les cheveux à l’arrière du crâne.

-Les Byrd ont sacrifié les jeunes d’Arkham pour repousser une menace, c’est sain comme façon de faire pas vrai ?

Elle glisse son regard vers Maria avant d’hausser les épaules.

-Ils ont sacrifié leur futur à cette ville, notre futur à cette ville et j’ai même plus envie de pleurer. Si je savais que la mort était une échappatoire valable, je crois que je me jetterai sous un train, mdr.

Éclatant son talon sur le sol, Faye est plus une enfant.

Une insulte bordait ses lèvres, envers elle-même et son impérative colère. Une colère violente car elle était ce que l’adolescence faisait aux êtres. Le monde entier ne pouvait pas savoir, n’avait pas à savoir ce qui se passait à Arkham. Les yeux dilatés de Maria faisait baisser les tiens et de sa respiration sifflante, elle n’en retint que les sonorités discordantes. Imitant la Maladie, Faye fit un pas en arrière;

-Oubliez ce que j’ai dis. Ce n’est rien kofkof. Je suis fiévreuse.

Mensonge éhontée mais la rougeur sur tes lèvres pouvaient être celle de la viralité des infections.

-Je dis n’importe quoi. Ne vous souciez pas de ça. Oubliez tout. Merci pour vos services, je m’en vais. Priez pour ma santé si vous le voulez.

Tourne les talons, enfonce sa tête dans ses épaules, suffoque.
Il n’y a personne à qui elle peut se confier après tout.

Elle voulut s’enfuir,
cela est vrai.

Elle voulut se cacher,
cela est juste.

Elle voulut s’étioler dans le silence de sa chambre,
cela est préférable.

Elle n’aimait guère qu’on la touche,
cela est désirable.

Elle préférait cacher sa douleur,
cela était noble.


Pourtant quand Maria la prit, quand l’odeur chaude de la mère enveloppait ses sens, quand la tendresse perdue la roulait dans l’idée qu’elle était là.
Si proche.

Qu’elle se mit à pleurer. À chauds bouillons, à en perdre les yeux, à couiner et à gémir, à s’effondrer en ce petit tas de pathétique sentiments contenus, à mourir sans grâce dans ses bras, à souiller sa veste de ses sanglots, à ne plus savoir parler, la voix étranglée dans trop de mots et en même temps si peu. Cela était atroce d’être Elle, Faye. Dans cette église qui chuchotait à sa chair, chuchotait à sa puissance. mais elle pleurait dans ses bras.

Car personne n’avait jamais pris le temps de lui dire qu’ils étaient désolés, pas comme Maria le disait, pas comme Maria le montrait. Avec toute son âme et tout son amour.
Personne n’aimait jamais Faye, se persuadait-elle.
Personne n’était jamais là.

-Je..Je…


Sa voix lui parut pathétique; altérée.

-Je…je ne peux pas..;c’est en moi..ça… si je m’en débarrasse, si je m’en débarrasse..ça reviendra..

Tête contre son épaule, Faye tombait en sucre et en sang, statue sublimée par sa souffrance.

-Je ne veux pas…je ne veux pas condamner quelqu’un d’autre, s’il vous plait…

Et dans son esprit, les âmes damnés des Cervantes, la douleur de tout ceux tombés à cause d’un nom plus ancien que son existence.