21 avril 2003

Exactement deux mille sept cent cinquante-six ans après la création de Rome, la lune se fend sur une naissance inattendue. Expulsée dans les entrailles putréfiées d’Arkham quelques semaines trop tôt, celle qui plus tard deviendra Sélène passe ce sursis dans le creux d’une couveuse, dûment choyée par les infirmières. Pour l’heure c’est Cosmo, nom qui disparaîtra des registres des italiens une décennie et demi plus tard.

2003-2013

Les premières années passent dans la tendresse des printemps ausoniens : dorlotée par le père et éduquée par la mère, l’infante est hissée en souveraine dès lors que ses doigts encore boudinés parviennent à tenir un pinceau. D’ores et déjà capricieuse, elle ne peint qu’avec des brosses artisanales, en poils d’écureuil ou de soies de porc : comme ses ancêtres, dit-elle, sous les préceptes de sa mère.

2015

(trigger warning: mild dysphorie du genre)
La première oeuvre. Elle découle d’un mal-être que l’héritière ne parvient à verbaliser : les femmes qui l’entourent ne lui ressemblent qu’à moitié, et elle se lamente d’un corps qui ne paraît pas réellement lui appartenir. Dès l’instant où Febe, maladroitement entichée de son enfant, découvre la peinture, elle décèle ce qui la ronge. En réponse, des médecins l’examinent. Mama tranche en faveur de l’infante : le prénom de Cosmo n’est plus jamais prononcé. L’adolescente, elle, insiste, et c’est le père qui nomme sa fille Sélène — la personnification de la lune.

2016

(trigger warning: troubles du comportement alimentaire)
Les rouages s’enclenchent : Sélène, désavouée par quelque seigneur en lequel elle hésite à croire, moud son corps pour le forcer à lui convenir. Elle se veut frêle, gracile, et aux piqûres d’oestrogène s’ajoutent les délits — du raisin pour seul repas une fois, deux, puis continuellement. Ce qui ne devait être qu’une passade devient addiction ; Maman fait les louanges de son art, et Sélène comprend que de la souffrance éclot la beauté. Plus tard, dans le miroir, elle se trouvera épouvantablement belle.

2016-2021

(trigger warning: troubles du comportement alimentaire)
Non contente de coucher sur toile les méandres déjà turbulents de son âme, Sélène s’attache à les tailler dans la roche et l’ivoire. Elle suit le parcours de Michel-Ange et se lamente, bruyamment, du retard qu’elle a pris dans l’ouvrage ; pour y pallier, elle s’enferme dans son atelier chaque jour. L’obsession se manifeste bien vite : les heures passées à perfectionner une unique veine, les cris de son estomac mis sous silence. Elle constate l’efficacité de la faim — l’euphorie qui la happe lorsque ses muscles geignent du moindre de ses gestes et que l’horreur éclabousse la moindre de ses productions.Il lui faudra le regard éploré de son pauvre père et celui, sévère, de sa mère, pour promettre qu’elle coupera court à son addiction.
C’est un mensonge.

2021-2022

Les murmures dissonants sont de plus en plus impérieux ; plus qu’elle-même, elle s’est mise à ronger les autres. Carnassière dans son art, la princesse de la lune pourfend camarades et parfaits inconnus pour leur arracher des fragments et les couler sur ses toiles. C’est magnétique qu’elle les cueille, vénale qu’elle se gave de tout ce qu’ils lui donnent — et plus encore.

2022-2023

De la mort de l’été à sa renaissance, elle s’éclipse en Italie et glane un héritage qui ne lui appartient qu’à moitié. Elle dépense une fortune dans moult visites de la Chapelle Sixtine, s’égare à Pompéi et dessine les morts enlacés ; elle se lamente de ne pouvoir voir de ses propres yeux la rage du Vésuve, et perfectionne sa maîtrise de l’anatomie avec force modèles et cours juste assez intenses pour lui fouler le poignet.

2024

Febe embrasse ses paupières, et lui promet un empire. Sélène n’en veut pas. Elle peint, sculpte, dévore.