Costume noir impeccable, mettant en avant sa carrure et ses épaules fortes, l’arrivée de Linda et Earl Marshall dans cette salle de réception de l’Hôtel de Ville n’est pas passée inaperçue. Il faut dire que depuis le temps, le Marshall est un habitué de ce genre de cérémonial. Il reconnaît la grande majorité des visages et sait qu’il pourra naviguer sans difficulté d’un groupe à l’autre, pour s’enquérir de la santé des uns, plaisanter avec les autres et souffler quelques mots relatifs à des affaires en cours.

C’est comme ça que ça marche. Le Maire profite du début d’année pour annoncer ses vœux et ses ambitions pour la ville, tout en présentant aux investisseurs un projet immobilier prévu de longue date. Earl a tout à fait matière à être présent et pourquoi pas rappeler sa participation et celle de la famille Marshall au développement d’Arkham. (Pour ceux qui auraient tendance à l’oublier.)

Le couple salue comme il se doit le Maire et les élus, avant de partir en une tournée de serrage de mains. Linda et lui sont rodés et sa femme fait d’une certaine manière « contrepoids ». Elle flatte les compagnes de leurs interlocuteurs quand il se met la plupart des hommes dans la poche. Par simple politesse, peut-être. Cela n’y change rien. Ils se complaisent dans ce genre de soirées où les petits fours font honneur à l’hôte.

La soirée avance doucement, le Maire prend la parole, comme attendu, pour remercier les présents, brosser chacun dans le sens du poil, cela va de soi, et évoquer ses ambitions pour l’année à venir. Chacun y va de son hochement de tête et, une fois le discours fini, de ses bons mots.

Earl achève de discuter avec l’un de ses partenaires, PDG dans le bâtiment, et s’éloigne tranquillement. D’un coup d’œil il remarque Linda qui discute avec animation plus loin et constate que son verre de champagne est vide. Il serait facile de faire signe pour être resservi, mais il ne serait pas contre quelque chose d’un peu plus fort…

Il s’approche donc en direction du buffet, dans un angle de la pièce, où deux serveurs parfaitement endimanchés servent cocktails et autres alcools à qui le leur demande. En chemin, Earl est une nouvelle fois alpagué par un visage familier, avec qui il échange des mots courtois.

C’est comme ça que ça marche.

Il lui faut quelques minutes pour terminer sa conversion et reprendre sa route, la bouge plus asséchée que jamais. C’est alors qu’il capte un regard. Il a l’habitude de capter des regards, particulièrement dans des soirées comme celle-ci, évidemment, mais ce regard-là est différent. Il n’a rien de la flatterie habituelle ni-même du copinage de circonstance. Non. C’est un regard qui a tout l’air d’une supplique. Un appel à l’aide.

Il fronce les sourcils et réalise qu’il connaît quelque peu le visage qui l’accompagne : Faye Byrd. La toute jeune Faye Byrd, la dernière héritière d’une noble lignée. La seule. La jeunesse des traits, l’attitude contrite et étouffée… il n’est pas difficile pour l’homme constater qu’elle est déjà bien entourée. Entourée sans vouloir l’être, apparemment.

Entre l’alcool et l’héritière, le choix est difficile, mais il est le fait tout de même. Il ne lui faut que quelques pas pour s’avancer vers ce coin de la pièce où la blonde semble ne pas savoir quoi faire de ses interlocuteurs. Alors Earl s’impose.

« Hé, mais ne serait-ce pas cette chère Faye ? Je voulais justement vous voir. »

L’occasion fait le larron, comme on dit. Se souciant peu de secouer au passage l’un des hommes qui ne l’a pas vu arriver, le voici qui se retrouve devant elle. Il fait mine de ne rien voir des autres présents qui, par chance, ne valent vraiment pas que l’on s’y intéresse. Il se contente de tendre son bras à la jeune fille, afin qu’elle s’y accroche.

« Messieurs, je vous l’emprunte. »

Ce n’est pas une question. S’il a vu juste dans son attitude, elle acceptera cette bouée jetée à la mer et le suivra.

Faye Byrd. Un nom qui a déjà résonné à plusieurs reprises dans les idées en tout genre qui lui sont venus à l’esprit… c’est que l’homme est visionnaire. Et quand Earl Marshall veut placer ses pions, il fait en sorte d’avoir le champ libre.