amour liquide

suffer does the wolf, crawling to thee

Non loin de la bergerie se profile un intrus. Un amoureux de la chair, soumis à la Bête, victime de sa faim, qui confesse à son seuil son incommensurable appétit. Darcy, plantée-là sur son chemin, tire doucement ses lèvres : sa mine est voilée de sérénité, pourtant au creux de ses orbites dansent des éclats furieux. Son chemin avec la Bête est une route tempétueuse, souvent dangereuse, mais dont elle est intimement convaincue de la nécessité. C’est pour l’amour de Materia, qu’il convient d’apprendre à vivre à ses côtés.

Les mains glissées derrière son dos, sa tête dodeline de côté tandis qu’elle l’observe pensivement – et longuement – avant de répondre.
— Je ne suis pas le maître – mais l’apôtre, souffle-t-elle finalement, de la Main Aimante, et de ses ambitions. Elle approche, lentement, comme on approche une bête sauvage que l’on ne souhaite pas faire fuir. Mais tu es au bon endroit.

— Dis-moi deux choses, elle souffle à son intention, impérieuse dans le ton employé ton nom, pour commencer, et la grandeur de la faim qui t’habite, à cet instant. Vas-tu la dévorer, pour l’assouvir, si elle marque un pas de travers ? Un rire fend ses lèvres à cette idée, elle l’étouffe.

amour liquide

suffer does the wolf, crawling to thee

Chacun de ses mots transpire la faim, elle en devine les accents – car elle les connaît si bien. C’est de cet appétit qu’elle même se nourrit : observer chez les autres l’insatiable bête qui sommeille dangereusement, dans l’attente méthodique de la faille – l’erreur – le pas de travers, qui mène à son éveil. Depuis longtemps déjà Darcy l’étudie, mais rares sont les appétits si voraces qu’ils viennent d’eux-mêmes la rencontrer et quérir son aide.

Elle le voit reculer, alors elle n’avance pas plus. Sa méfiance semble n’avoir d’égal que l’appétit qui le consume. Un jour, c’est lui même qu’il dévorera si d’aventure il se laissait aller à ses pulsions les plus profondes. C’est du moins l’impression qu’il lui laisse, dans chacune de ses syllabes, et dans sa demande.

Elle acquiesce. Oui, elle est en mesure de l’aider.
— Je le peux, Stolas. Son nom roule sur sa langue, délectable, et son regarde ne le quitte pas, comme pour s’assurer qu’il ne se dérobe pas à sa vigilance. La Bête est un être curieux, tu sais. Sa propre relation avec celle qui sommeille en son giron est d’une ambivalence furieuse.

— Mais il ne faut pas la craindre. Comme n’importe quelle bête sauvage, pour ne pas qu’elle te menace, il faut la dompter. Ses lèvres marquent un pli narquois. Mais ce ne sera pas aisé.

Elle avance, de nouveau, d’un unique pas.
— Je suis Darcy.

amour liquide

suffer does the wolf, crawling to thee

La Bête est un animal furieux et cruel. Impitoyable, elle attend cruellement la moindre faiblesse, le premier fléchissement, pour émerger de sa tanière et dévorer. Dévorer, dévorer, dévorer. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à dévorer sur les terres imbibées de sang. Mais Darcy ne la craint pas. La Bête est un animal craintif.

Elle secoue la tête.
— Tu auras toujours faim. Cette faim qui l’habite, elle aussi, si souvent – dans laquelle elle s’est déjà laissée abîmer, elle aussi. Elle sait les dérives, le manque, l’insatiable crevure qui fend les entrailles, le gouffre immense qu’elle laisse en son sillon. Nous avons tous faim, souffle-t-elle, aveu sordide entre ses lippes fines. Et la Bête s’en réjouit. Puis, doucement : Mais je peux t’apprendre à l’aimer. Elle t’aimera en retour. La Bête n’est-elle pas, après-tout, l’essence même de Materia qui sommeille en chacun d’eux ?

La détermination du Carnis à se défaire de l’emprise de la Bête l’attendri. Ses orbites plantées sur sa haute stature ne cillent pas.
— Pourquoi manges-tu ? Ses pupilles s’ancrent dans celles de Stolas. Pourquoi manges-tu, vraiment ? As-tu peur, du gouffre en toi ?