a nuit paraissait sage dans ses voilages, les nuages glissaient avec tendresse sur cette toile d’encre qu’était le ciel.
Elle fixait le plafond, insomniaque.

Les yeux luisaient, perles blanchâtres, faiblement éclairées par cette lampe enfantine. Faye ne dormait pas, ne dormait plus, passait de l’éveil au coma quand ses nerfs optiques, lassés d’être surchargés, s'effondraient.
Le néant la prenait plus qu’elle ne l’enlaçait, elle se refusait à ses avances depuis qu’elle avait appris combien les enfants de la nuit étaient terribles.

Sa main paresseusement suivait les courbes de son téléphone, faisant succéder sans aucun intérêt des vidéos promettant de changer sa vie. Sa vie était déjà changée, grand merci à la destinée, elle pouffait pour elle-même de l’ironie de la situation. Si ces femmes aux sourires immaculés savaient, si ces hommes promettant de soumettre les idiotes et les cruches savaient…

Faye se résigna ainsi à abimer une fois de plus son corps, attendant que la nuit se dissipe pour entraîner l’apparition de son sauveur. Aster pourrait-il être debout? À s’encanailler dans la plus vive des fêtes, à vivre de ses dents déjà gâtées par la maturité? Elle voulait lui envoyer un message, un truc, une preuve qu’elle n’était pas que ce monceau de chair traversé par la terreur.

Qu’il lui réponde, qu’il lui dise merde si cela lui chante. Mais qu’il lui parle… Que quelqu’un existe ici et maintenant, près d’elle ou tout ailleurs. La gorge se nouait et le silencieux cri se fit entendre. Quelque chose montait en elle, sournoisement, lentement, patiemment, pas après pas après pas,

N'était-ce pas la nuit ? Personne n’était ici.
N’était-ce pas la solitude ? Nul ne l’entendra mourir.

Et ses doigts s’enfonçaient dans son crâne, griffant le cuir chevelu pour arracher les angoisses, arracher les souvenirs, qu’il ne reste que le silence. Mais le silence ne fut pas, cette voix si familière se fit entendre. Entre les fenêtres et les rideaux, enveloppant de ses intonations douces les pensées décousues, stoppant les furies de ses ongles.

Cette voix provenait des jardins, comme avant. Entendait-elle un bruit ? Les rideaux ne s’ondulaient point, le monde devenait postiche, affreux agencement de sa chute. Mais Faye ne tombera point, ni ce soir ni jamais. Ses petits pieds pâles la guidaient, conduisaient le corps vers le fusil qu’on ne lui avait que trop préconisé de s’offrir.

Un cadeau de la vie en offrant la mort.
La sangle sur l’épaule, serrant sous son cuir l’adorable chat ornant son habit de nuit.

Les éclats des miroirs la rendait grotesque, cette adolescente mal faite et trop bête pour se tapir et attendre le jour. Mais elle le savait que si la mort la désirait, la mort l'arracherait. Elle la suivait encore cette voix fluette, se jurant sous son souffle encore et encore que cette fois çi était différent
Mais quand elle se retourna pour faire face à la maison de ces aïeux, seule la bouche béante de la porte rendit son regard.

Les ronces et les branches,
La lune cruelle mère au ciel,
Tout était tel que 2016 l’avait laissé.

Mais la voix prenait corps, homme de rouge vêtu et d’un regard hanté par cette vie paienne que ses parents avaient appelés.

Vesperis.

Elle tenait la sangle entre ses mains blanchissant sous l’horreur de sa naïveté.Il semblait joueur, l’homme de rouge fait, tenait la main et la félicitait.
Comme si elle n’était qu’une enfant.


Elle n’était qu’une enfant.

-Vesperis.

Sous son souffle désincarné, elle prononçait ce terme.

-Tu es un Vesperis.

L’arme était bien légère dans son dos, pouvait-elle dégainer avant qu’il ne lui arrache la tranchée ?

-Je ne connais pas ton nom, dis-le. Tu connais le mien.

Elle voulait gagner du temps, on lui avait dit que les Vesperis n’aimaient rien de mieux que parler d’eux. Le temps de glisser doucement l’arme vers l’avant, de vaincre les spasmes abrutissant son corps.

Le pathétisme de sa posture s’amarrait lentement à son esprit, elle ne prétendait rien de plus qu’être elle-même. Il riait, s’agitait, se débattait avec des fils que seuls les fous et les monstres pouvaient percevoir. L’homme de rouge revêtu dardait ses bras, bienheureux de la connaissance qu’il pouvait détruire générations et siècles de labeur pour satisfaire leur déplaisir.

Faye Byrd en était la directe preuve qu’un Vesperis n’était pas créature à pouvoir supporter la confiance. Faye Byrd était la directe preuve que trahir un Vesperis ne portait que désolation et massacre.

Le grincement qu’il devait nommer rire glissait sur sa peau, couteau aux bord émoussés mais prêt à tirer son sang, à arroser les racines mortes de la viscosité de sa chair. Elle voudrait pleurer mais cette odieuse voix d’audace maudissait l’humidité même d’exister, alors Faye tenait bon. Le dévisager avec la morgne qu’elle désirait chèrement inspirer.

-D’accord Asmodeus.


Elle eut la satisfaction futile d’entendre sa voix résonner comme elle le désirait. Sèche, cruelle, fière. “Qu’importe quelle posture, tu affiches. S' il veut te tuer, il te tuera” chuchotait le poisseux désespoir à son oreille.

Le mouvement des yeux de la créature paraissait non naturel, tel un mécanisme trop huilé, trop habitué à paraître sans être. L’abysse creux de sa bouche ne laissait poindre que cette armée de dents. Faye se disait presque de son esprit absent qu’il semblait être fait de ce même vinyle tendre que les poupées d’antan appelaient peau.

Le nom de son grand-père la fit trembler, la douleur d’avoir vu son cadavre à ses pieds faisait vaciller sa détermination. Il n'y avait désormais plus personne qu’elle pouvait appeler sien et ce mot lâché sans façon par “Asmodeus” lui rappelait bien. La rage ne pouvait guère couvrir éternellement la peine. Les mots qui suivaient la défaisaient encore plus, elle s’imaginait cette armée de sans visage prononçant la mort des siens sans nulle autre peine. Imaginant ses frères à peine plus âgé que celle qu’elle est aujourd’hui, ses sœurs à la mine claire, son père, sa mère…

Elle voulut lui hurler de se taire, qu’il n’avait pas le droit de prononcer ses mots. Mais elle ne fit rien, raidie dans sa terreur primitive.

Il continuait à l'assommer de ces vérités à moitié dites, l’homme maniait les implicites, létal bête au visage d’homme. Faye ne désirait pas comprendre, désirait pouvoir manier ses mains et en couvrir avec les oreilles pour plus que ce monde fou ne parvienne à elle. Mais elle ne fit rien.  Elle est revenue à Arkham, son choix de confronter le passé était le sien. Même si ASMODEUS l’avait guidée hors de la boucherie dont le manoir prit les traits, elle devait se méfier. Elle devait… elle ne savait plus ce qu’elle devait, la confusion vaquait la raison dans son esprit décharné.

Le premier pas se fit vers lui, vacillant, tremblant.
Pouvait-il être un loup, elle était ce maigre chevreuil aux sabots fendillés.

Le deuxième fut plus assuré

-Pourquoi tu as fait ça? T’opposer et me sauver? T’as quoi à gagner?

L’arme cliquait étrangement quand elle fut face à lui, lui rappelait sa présence tel un enfant puéril et gâté.

Faye regardait là où il désirait qu’elle s’asseoit et d’un geste gracieux, rabattit sa robe sous ses fesses s’asseyant sur le tissu rêche. Obéir permettait de survivre pour l’instant.

La réponse voulait fuser sans retenue à sa question sans sens, “oui, je vous crois capable de cruauté vaine”. Oui, Faye les croyait capables du pire du vice car ces hommes n’utilisaient la forme humaine que pour se rapprocher des vrais, ce n’était que des sublimes pièges, comme ces plantes qui s’ornaient de faux insectes pour appâter les vrais.
Asmodeus avait cependant cette lumière en son regard, cette lumière qui impliquait qu’un mot faux impliquait la faux. Elle ne lui faisait pas confiance, sentait que si d’hasard il se sentait d’humeur joueuse ou qu’il appréciait pas le mordant de sa réponse…

Avant qu’elle ne puisse se dissoudre en supposition sur le tempérament de l’inconnu, il l'assomma. Ses réponses ne traitaient des siens comme un enfant parlerait de ces jouets. Dommageable si ils étaient brisés, ruinés, ensanglantés ou blafard. Il pourrait pleurer quelques petites larmes avant de retourner vaquer à ses joies d’éternels.

Poing serré, la peur laissait place en fanfare à la rage.

Un caprice ? Elle n’était qu’un caprice. Voici que le prince vampirique avait épargné sa vie pour faire d’elle cette poupée dont le destin reposait sur des os aussi frêles que les siens. Mais elle absorbait ce qu’il disait, Faye perdait son sang sur ses joues, tremblait avant d’inspirer profondément. Expirer.

La panique monstre commençait à envahir ses sens, sa raison flanchait. L’odeur des pétunias, la pelouse de verveine, la lune dans le ciel, tout lui rappelait autrefois. Et voilà qu’elle se croisait avec celui qui l’avait conduit dans les jardins, celui qui lui disait tout simplement que le massacre était une autre histoire dont on oublie les détails.

-Bien heureux soit-il que seule ma famille a été détruite. Et que tu fus capricieux, et que tu désapprouve la violence aveugle. Sinon, j’aurai pu rejoindre les miens. Que des pieux voeux.

Sifflait-elle, les yeux humides.

Regeneratio résonnait comme un macabre rauquement dans sa voix distordue, et ce fut trop. Son poing s’enfonçait dans la pierre, faisant danser les poussières sur sa cuisse dénudée, et elle voulut lui hurler de ne pas rire. Qu’il ne comprenait pas.

Mais la vérité était bien pire. Il ne comprenait non pas car il ne voulait pas comprendre mais car il ne pouvait pas. Regeneratio aurait dû comprendre, aurait dû être là.

-On est trop proche de vous, j’imagine ahahah. Ça ne leur plait pas.

Le rire était pathétique, elle suffoquait dans ses souvenirs. Mais de telles faiblesses ne lui apportaient rien de plus désormais. Alors Faye Byrd fixait le Vesperis, imposait son visage à ses méninges, imposait son visage comme symbole de ce qui fut détruit et de ce qui serait désormais. Elle se fera fière à défaut d’être forte.

-Si je suis revenue, c’est parce qu’Arkham est à nous. Nous sommes Arkham. Mon grand père me contait que nous n’étions pas la seule famille à nous être installé à Arkham, mais que nous étions celle qu’Arkham avait décidé de garder. Cette terre m’appelle, si je m’éloigne, si je m’éloigne d’Elle, je ne suis plus moi. Je l’entends m’appeler, je l’entends me supplier de revenir. Cette ville n’est pas votre ville, Vesperis.

Sous ses pieds.
Elle le sentait.
l’Appel.

-Je vous aimais quand j’étais encore naive, Vesperis. Vous êtiez l’incarnation des mythes. Je n’ai que mépris et crainte pour Regeneratio, ils se veulent purs, ils ne sont que dirigés par leur but. Puis même, si je soutenais Regeneratio, serais-je bien sotte de le dire devant l’ennemi juré de l’organisation?

La peur revenait et elle tremblait.

Yeux mi-clos; l’âme s’éteint.
Elle se sentait soudainement fatiguée; sentait que l’appel obsédant. Asmodeus paraissait canaliser les impulsions inconstantes du monde. La mort se battait avec la haine dans son esprit désargenté, et elle soupirait doucement.

Son rire résonnait lubriquement dans l’air, un enième de ses rires dont elle pouvait commencer à deviner la tonalité. La terreur s'amenuise pour laisser corps à l’effroi simple, il était tel les dieux indifférents, ces entités à la raison défaite.

N’était-ce pas de la stupidité éclairée de se dresser ainsi contre les Vesperis ? Faye n’en savait rien, n’en avait jamais rien su mais elle avait décidé de s’en rendre aveugle.

-Pas si intelligente que ça; mais j’apprécie.

La morgne ne disparaîtrait jamais même face à l’horreur du monde, jamais face à la mort froide des étoiles. D’une main lasse, elle repoussait ses cheveux derrière son épaule avant d’inspirer profondément. Comptons les bénédictions Faye; il ne désire pas mettre fin à ses jours, il semble aléatoire mais profondément attaché à ces valeurs crépusculaires de son goût.

Son discours allait en ce sens, soulignant l’indépendance absolue du Vesperis, comme s'ils n’étaient destinés qu’à bouger et à s’éparpiller au gré du vent. Mais elle soupirait avec tendresse, faye appréciait l’allié qu’elle pourrait se faire si elle savait jouer ses cartes correctement.
Si elle ne se dupait pas par hubris.

-Je sais. Je sais que c’est que bien trop tard que vous comprendrez l’importance de cette terre et que vous serez déjà parti.  Combien de lieux avez-vous vu ? Plus que la somme des yeux de mes ancêtres, je parie.

Du bout de ses doigts; elle tressait les cheveux. Calmait sa nervosité pour ne laisser paraître que la candeur de l’agneau prêt à être saigné.

-Le pacte de sang…

Elle plissait les paupières, tentait de chasser les bras des damnés de son âme. Massacré par la famille auxquels ils désiraient si chèrement croire.

-Sans l’existence des Vesperis, cette terre aurait été une autre terre de sang. Je crois dans les Rosenberg mais je pense que les Marshall sont stupides. Ils jouent trop avec les Vesperis, ils ne savent donc pas qu’ils ne sont rien pour eux. Les De Manincor…

Elle se tut. Il n’avait pas besoin de savoir pour eux, pour ce qu’ils étaient.

-Comment comptez vous m’utiliser Asmodeus ?

Ses yeux luisaient de l’étrange lueur. De l’avidité. Du désir. De cette puissance auquel elle se revendiquait désormais. Qu’importe la fin, si le spectacle en vaut la peine.

-Comment comptez vous me donner le pouvoir ? Ou dois je l’arracher ?


Par ses dents, elle reprendrait cette ville.

Cette nuit ne l’épargnait en rien; Faye. Elle avait appris à se taire, à laisser ses yeux courir sur l’empire de cendre devant elle et à serrer les dents pour ne laisser nul doute sur sa passivité. L’enfant qu’elle fut ne peut pas quitter ce manoir aux fenêtres étonnées et à la porte entrebâillée, tâchée de sang, étouffant un dernier soupir. Et à côté d’elle un vrai monstre, mais un monstre qui souhaiter

Danser,
Danser,
Danser,
Entre les mains d’Arkham.


-J’entends. Je veux une protection. Je veux qu’aucun Vesperis ne rentre dans le manoir des Byrd. Je veux que vous me donniez votre savoir sur les vesperis, vos cours, vos clans. Je veux tout savoir.

Ses doigts s’enfonçaient dans la chair tendre de son genou. Faye Byrd ne reculerait plus jamais, porterait le miracle de son nom jusqu’au plus profond de la terre. Ceci était son ode. Ceci était sa raison d’être ici. Arkham avait hurlé son nom, et elle comptait bien y répondre.

Ses manières lui paraissent curieuses, mais elle ne cillait pas. Assumant le chaos calculé de son regard; elle levait la tête, agitait ses pieds pour miner le mouvement.


-D’accord. Mais je répondrai à 3 de vos questions toutes les semaines. J’en ai déjà répondu à deux. Vous pouvez me tuer; ce que je sais disparaîtra avec moi et vous ne pouvez pas me faire souffrir d’une manière qui m’importe. J’avais cru cependant comprendre, Asmodeus, qu’Arkham n’était pas parmi vos intérêts, mais je suis surprise de voir que non. Un embryon comme moi possède donc des savoirs qui vous sont précieux.

Elle éclatait d’un rire nerveux, un rire qu’elle ne contrôlait plus réellement. Le stress s’insinuait entre ses omoplates frêles. Elle désirait vomir, sans grâce derrière un buisson et se laisser mourir. Mais non. Non! Elle devait se battre, face à la violence du monde, face à l’éternité glacée qu’il l’attendait. Les De manincor n’étaient pas un sujet aisé à aborder, un sujet qu’elle désirait aborder. On se méfiait des arrivistes jusqu’à qu’ils deviennent amis de la ville.


-Et vous avez déjà eu deux questions.

Deux doigts se levaient. Se dressait comme une provocation assumée.

-N’avez vous jamais pensé que c’était étrange que les De Manincor ont pu devenir une famille fondatrice aussi vite ? Vous savez que les Marshall ont mis 50 ans avant d’avoir ce nom. Les de Manincor ont mis quoi… 5 ans ? Ça ne vous a jamais semblé bizarre ?

Ses yeux luisaient doucement dans la pénombre.

-Ils ont appris à comprendre la ville. Et la ville les a acceptés. Ils ont contribué à détruire le pacte, ils en ont aidé à en faire un autre. Ils ont la main sur le cœur après tout.

Et son rire se fit méchant.
Ô faye cruelle enfant.
Mais elle s’assombrit vite avant de secouer la tête.

-Revenez la semaine prochaine et je vous répondrai, je le promets. Racontez moi la cour, je vous prie. Comment cela fonctionne?

Car elle devait filer ce qu’elle savait, patiemment. Et apprendre ce qu'elle ignorait.

Son cri dans sa gorge était un cri de frustration, de colère.
Coincée par la peur qu’il lui inspirait, coincé par la violence primaire qu’il dégageait. Elle n’était pas faite pour tenir face à des monstres, elle n’était qu’une sucrerie après tout. Une précieuse petite sotte née avec un sang bien trop grand pour son existence mais soit, elle tiendra bon.

Elle avait appris un peu de la cour, appris ce qu’il désirait extraire de son être alors même si la sueur avait tâché sa robe, même si la terreur faisait battre son coeur plus que son sang.

Elle avait vaincu.

-À la semaine prochaine.

Chuchotait-elle, poussant ses cheveux blonds de son front, appréciant l’humidité de sa sueur sur sa peau brûlée. Ainsi la cour était donné d’une prince, de plusieurs siècles… Elle devait chercher, fouiller les journaux et les livres, questionner la Ville. Quand elle regardait le dos d’Asmodeus s’éloignant rapidement, elle se fit cette promesse.

Tu tomberas; ou je tomberai. Mais je refuse de plier. Je refuse de plier. la Ville m'empêche de plier


Obsédante pensée, qui la fit se mettre sur ses jambes et revenir au manoir. Cette victoire était en mi teinte car personne ne lui avait promis que les vesperis ne la regarderai pas depuis les ombres de son piano.