walking on shadows

i was there in the dark when you spilled your first blood and i am here now, as you run from me still

Ces terres sont impies. Les fouler est une hérésie : partout autour, une menace plane. Elle le sent, lorsqu’elle longe ces artères de la ville, que ces rues ne sont pas dressées pour les Siens. On les leur a arrachées, l’ennemie les a fait siennes. Ici, Darcy est une intruse. Alors, elle se drape de discrétion lorsqu’elle se glisse entre les corps : elle est un murmure dans le vent, une ombre entre tous. Qu’importe, elle ne s’attardera pas. Son seul confort non loin est la demeure des Rosenberg, oasis louée qui cause quelquefois sa venue en ces lieux. Du reste, peu lui importe.

Elle remonte une vaste avenue, le nez emmitouflé derrière une épaisse écharpe, ses cheveux ramassés en une longue tresse, ses mains pales coincées dans le creux de ses poches. Dissimuler le plus attentivement possible toutes les marques de son antique existence est une habitude à laquelle elle se soumet, même aux heures les plus noires de la nuit, lorsqu’elle s’immisce en ville – quand bien même cela lui déplaise toujours autant.

Heureusement, bientôt elle retrouvera l’atmosphère paisible de la Bergerie, et le confort de ses silences. Ses pensées se dirigent vers sa seule demeure, mais très vite sont rattrapées par un accroc à son regard. Une silhouette non loin, à la stature reconnaissable entre toutes. Ses yeux, qui accrochent les siens. Ses entrailles rugissent. Elle porte en elle une insatiable colère. Soudain, elle s’imagine lui tordre le coup.

Il ne faut pas.
Il ne faut pas.
Il ne faut pas.

Le monde bat autour d’eux. La ville pulse et grouille de ceux-là auprès de qui elle ne peut se risquer à dévoiler Leurs secrets. Elle se tait, immobile, lointaine – se demande s’il aura l’impudence de l’approcher.

walking on shadows

i was there in the dark when you spilled your first blood and i am here now, as you run from me still

C’est une fureur silencieuse qui remonte le long de sa gorge et meurt à son palais. La vue de Gabriel lui est insupportable – et pourtant si délectable. L’ambivalence la noie, tant dans le souhait de lui sauter au cou que dans celui, plus pernicieux, de le serrer dans ses bras. La mort alors – gangreneuse – serait drapée du voile de son amour, des miettes qu’il en reste pour celui qui s’annonçait si prometteur entre ses doigts.

La résurgence de son échappée à son esprit est pénible. Livré directement aux bras de l’ennemi, elle n’avait aucun doute quant au fait qu’il faisait désormais partie de leurs rangs crasseux. Sa haine viscérale de l’Ordre est un abysse imprenable. Ils lui ont arraché la ville, pas à pas après, se sont appropriés les lieux qu’elle avait fait siens, puis son dernier enfant – avant même qu’elle ne le fasse tout à fait Sien. Pourtant, ses lèvres pincées se meuvent bientôt en un sourire mince.

Son geste ne lui a pas échappé. Sans doute cherchait-il une arme. S’était-il imaginé, comme elle l’avait fait, la pourfendre et abréger sa vie d’immortelle ? Dès lors, sa présence lui paraît presque inoffensive. Malheureux qui s’est immiscé sur son chemin, elle avance vers lui, non sans avoir jeté une œillade alentours afin de s’assurer que ses camarades ne gravitent pas autour d’eux. Les badauds qui s’affairent là ont l’air terriblement humains et ignares à cette rencontre inopinée. Serait-il trop orgueilleux pour appeler des renforts ?

A portée de voix, sans rompre tout à fait la distance entre eux – car la méfiance, malgré tout, persiste – elle articule, finalement :
— Gabriel. Sa voix est un ronron mauvais, menaçant. Un mauvais augure qui s’étend dans la nuit, remonte depuis ses entrailles pour s’échouer à l’oreille de l’égaré. Ne me regarde pas ainsi. On croirait que tu as vu un fantôme.