Nora aimait la nuit.
La nuit qui enveloppe, qui recouvre le monde, engloutit la citée et ses immensités, meut chaque allées en artère éventré. Elle l’avait toujours préférer à l’agitation de la journée, au faste de la lumière et à sa prétention désuète. La nuit était une terre nourricière, maitresse fidèle au creux duquel mademoiselle se vautrait. Il régnait dans le voile de ses mystères comme une règle secrète, un sorte de dogme universel et indéfinissable pourtant, qui refusait en réalité d’en accepter d’autres: il était interdit d’interdire. Ou presque. Il était difficile d’y résister, aux aléas de l’immortalité. Toutes les excentricités, toutes les folies étaient permises, pourvu que tous se plient aux règles de la communauté. L’amour des clans, l’amour filiale c’était tout ce qui les rattachait à leurs existence passé. Héritage d’une aliénation qui avait survécu au passage des ans.

Il appartenait pourtant à la demoiselle de choisir qui serait le réceptacle de sa dévotion, l’objet de toutes ses attentions. Il n’y a qu’elle qui soit capable d’en décider, qu’elle qui ait le pouvoir d’ainsi juger. Car l’amour — celui qui allait de paire avec la loyauté, celui avait poussé tant de coeur, tant d’âmes à se damner — était une denrée compliqué. Ce sentiment tout en tendre nuances prenait des airs d’absolu une fois coincé entre les lèvres de la belle. Car elle ne savait pas aimé à moitié. Nora, elle s’offrait dans toute son entièreté. C’est ainsi qu’elle s’y était abîmé mademoiselle, à l’amour imparfait de sa tendre Sibel. A la famille qu’elle avait aimé, à la famille qu’elle perdait.

Mais au fond, tout au fond, elle n’est jamais bien; ici, elle est dans un sourire garnit de dent, dans le contour d’une silhouette, si étrange, si singulière qu’elle annonçait à elle seule qui il était. L’âme a beau être cadavérique, pourrie par tous les souvenirs qu’elle a vécu, par tous les hommes qu’elle a croisé, par toutes les bêtes qu’elle a côtoyé; lui y était comme encré. Un sourire qui sans peine parvenait à se détacher dans l’obscurité.

— Asmodeus.

La nuit était gorgée de promesse. Mais elle meurt sur ses épaules et au creux de ses reins. Tous y ont cru, pourtant, un jour. A son absolu protection. Tous l’ont pensé, sûrement, à leur tour. Il n’en est rien. Il n’en sera jamais rien. Car ces yeux là. Ces yeux si grand, si profond, si pénétrant. Ces yeux qui semblaient avoir rongé le monde comme son humanité étaient des yeux qui méritaient d’être respecté.

— C’est inattendu.

Asmodeus semblait avoir été forgée par ses craintes infantiles.
Il y avait sa présence et plus encore, il y avait un corps qu’elle avait cru pouvoir oublié, recroquevillé quelque part, au creux des vagues, de la crasse, un espoir perdu, un espoir déçu, une aspiration entre les lèvres qui ne gorgeait ni le ventre ni ses poumons — tout semblait mourir sous l’objet de son attention. Elle n’avait pas été trop loin pourtant, avec son charmant croquant, avec sa tendre insolence, avec son sourire qui craque — il les avalait, les sourires, avant même qu’ils n’aient eut la liberté de naitre. Alors, sa voix embrassa l’espace trop violemment, cette voix n’aurait pas dû pouvoir s’échapper d’une bouche — quelle horreur ! Quel malheur ! Elle imaginait déjà sa nuque ployer, se soumettre, se consumer, se briser, elle imaginait ses os se broyer, elle imaginait déjà les dents s’en repaître, de sa chair comme de son être.
Nora, elle battit des paupières.

— Un instant s’il vous plait.

Car c’était un peu trop — c’était un peu trop terrifiant, un peu trop écrasant, cette existence millénaire qui la dominait par sa seule présence. Si bien qu’elle sentit son souffle commencer à sa raréfier, son abdomen se contracter mais, c’est bien connu, la crainte n’était qu’une bien piètre alliée. Alors elle joint ses mains devant son nez, les paupières closes, ravalant un un cri paniqué. Nora, Nora, elle n’avait jamais eut beaucoup de chance. Elle l’avait su le jour même de sa naissance. Puis elle laissa un rire glisser dans sa gorge et ses genoux ployer doucement. Elle rouvrit ses yeux, brillants. Elle ne s’abandonnait pas trop à l’amorce de son hystérie. Tremblante, elle s’appuya contre le mur. La pierre était froide - glacée.

— Navrée, cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentit proprement terrifiée.

Nora était un exemple de sang-froid, d’ordinaire.
Mais tous chez elle suintait le rejet. Elle qui avait eu un léger mouvement de recul - si léger, à la limite du perceptible, au seuil de l’invisible. Elle n’y pouvait, la chose s’esquissait par instinct. Comme une protection qui naitrait de la plus primaire de ses impulsions lorsqu’elle sentirait sa fin se profiler à l’horizon. Aussi implacable qu’inéluctable. Ah, elle n’avait jamais sentit son corps la trahir de cette façon là, Nora — et son nom s’attardait si fort à ses oreilles, hideux. Tout comme eux.

— Qui suis je? Ne le savez vous vraiment pas? Ou voulez vous juste entendre la réponse que je pourrai vous apporter?

C’est qu’il y a longtemps qu’elle n’était plus la bienvenue Nora. Dans le cercle d’Asmodeus qui pourtant n’avait eu aucun mal à la retrouver, qui la faisait se sentir petite fille sous l’attention d’une entité. Comme si une part d’elle cessait déjà d’exister.

C’en était  presque obscène, cette fascination que le monstrueux suscitait.
Nora, elle aurait aimé que le monde ait changé de face. Elle qui avait désiré un jour peindre le ciel aux teintes de sa colère. Elle qui avait si souvent voulu que la vie soit moche, cataclysmique. Comme cette nuit qu’elle affectionnait, qui jetait son manteau sur la terre et ses hémisphères sans se soucier des tragédies qu’elle engendrait. Son regard se fige dans une immobilité presque parfaite et ses doigts se crispent au fur et à mesure qu’Asmodeus l’accable. Il n’avait pas besoin de grand chose pour ça, juste de ces grands yeux sombres qui défiaient le temps dans la plus basique de ses conceptions. Elle l’observe, il la tuera peut être. Il la condamnera très certainement, la méprisera assurément.

Il avait reculé mais elle s’en sentait encore acculé.
Car il était là. Il était partout.
Ce drôle de sourire.
Ses yeux. Ses yeux si grands, si difformes. Ses yeux qui semblaient demandé le monde et sa soumission. Il aurait été si aisé de s’y laisser porter. De laisser les fantasmes d’un tierce devenir son univers, et l’univers des autres. Car il n’y avait que la volonté d’un maitre dans son monde à elle. Les planètes se devaient de tourner autour de leurs croix et leurs bannières, la gravité, les femmes, les hommes, les humains, les vesperis, les regeneratio, les dieux, tout ces artifices n’existeraient que pour satisfaire sa seule infamie. La prince était devenu sa nouvelle quête, et elle s’en contentait. Ses anecdotes? Elle les romance, pour se bercer d’une légende dont elle aurait affiner la tapisserie jusqu’à dissimuler son nom dans l’ombre de ces broderies.

Nora.
Nora et le poids des péchés qui l’accablait, Nora et la profondeur de la solitude qui l’animait, ses silences, ses errances, ses mensonges et puis, ce désaveux , cette mascarade que l’on couvait du regard, même sa carcasse, son masque de parade, sa vaine humanité, son âme tuméfiée, son parfum de mort, son désir de vie — ah, on en riait de Nora.
Qui avait périt sans savoir qu’elle désirerait revivre.

Il y avait des espoirs que l’on ne daignait pas avoir.
Un jour, quelqu’un lui chuchoté: « la trahison est une tare que nul ne saurait effacé ».  
Peut-être était-ce une menace, ou bien s’agissait-il d’une promesse. Ou alors d’une remarque jetée par terre. Un peu pour faire beau, un peu pour plaire. Peut-être bien qu’elle en avait rit l’hideuse. Peut-être s’était-elle cru au dessus de tout-cela. De ces sentiments à l’odeur rance que chaque enfant devait expier à coup de pénitences. Peut-être qu’elle avait offert à cette personne l’étreinte fraternelle alors même que cette dernière lui crachait les mots de sa peine. C’était peut-être la dernière chose qu’elles s’étaient dites, ou alors était-ce la première. Peut-être que cette phrase à elle seule avait marquée le début de son infamie - peut-être était-ce en vain, ou bien était-ce nécessaire.
Vital, qui sait?

Il y avait une anarchie permanente sous le front de Nora, une sorte d’intempérance juvénile qui se faufilait au travers de ses pensées comme un mal insidieux, qu’elles fussent passagères ou frappés du sceau de la constance.