Trois coups secs sur une porte épaisse.

- Maria ? C’est Amadis.

Aucune surprise : la date, le lieu et l’heure du rendez-vous étaient prévus. Une réunion entre deux souverains, tout ce qu’il y a de plus classique.

Regard timide sous des mèches blondes ébouriffées, tu ne pouvais empêcher tes pieds de bouger ; nerveux, quand bien même tu savais que ta présence ici était justifiée. Vous êtes de rang égal : pourtant, tu ne peux t’empêcher de la considérer comme ta supérieure, comme tout le monde ici.

Un monument ; une divinité dirait certains.

Tu prends une longue inspiration.

Si seulement c’étaient tes seuls soucis aujourd’hui : le stress d’un adolescent devant une figure d’autorité, la peur de te faire engueuler.

Elle t’invite à ouvrir la porte et entrer dans la pièce : et c’est ce que tu fais, lentement, le regard un peu bas. Après quelques pas, visiblement douloureux, tu t’assois face à elle, posant tes mains sur la table et prenant une dernière longue inspiration avant de prendre la parole.

- Bonjour, Maria. Comment vas-tu ?

Des politesses, aussi futiles soient-elle. Comme une courte fuite, gagner quelques secondes avant d’évoquer les sujets sensibles.

- J’espère ne pas te déranger. Je viens pour évoquer … Plusieurs points importants. Des inquiétudes, même. Plus précisément, je souhaiterai te partager mes retours par rapport à notre expédition à l’église Belmont ainsi que mes conclusions sur la dernière réunion entre souverains.

Tu fais de ton mieux pour garder une voix calme : mais ton regard est un peu trop fuyant, ta voix un peu trop tremblotante.

Comme si quelque chose avait changé.

Ton corps te fait encore mal ; ton esprit encore troublé.

Mais tu restes fort : tu essayes de donner l’illusion d’être imperturbable à défaut de l’être.

- Les deux sujets sont … Tendues. Et plus particulièrement l’expédition, comme tu le sais déjà probablement. Je me permets donc de te demander par quel sujet est-ce que tu souhaites que je commence.

Tu essayes de rester factuel : mais l’hésitation et la peur restent insidieusement en toi, comme si tu cherchais inconsciemment à retarder l’évocation des sujets sensibles.

Peur du jugement ; peur des implications.

Tu n’as pas envie de la décevoir.

Et tu aimerais pouvoir lui donner des bonnes nouvelles : des raisons d’être fier de toi.

Malheureusement, ce n’est pas exactement ce que tu as à l’esprit.

Alors, tu essayes de rester sérieux ; digne.

Mais c'est difficile.

- Le plaisir est partagé. J’aimerai dire que j’ai pris le temps … Mais je ne crains que ça soit le temps qui me prenne.

Un trait d’humour noir pour cacher ton mal-être : Amadis semble un peu trop sage aujourd’hui, ce qui est rarement bon signe.

Tes yeux se baissent sur la tasse poussée dans ta direction ; tu croises ton reflet dans le thé chaud, inspire l’arôme familier, espérant y trouver du réconfort.

Mais tu te vois que ton propre visage, flou ; distant.

Tu attrapes la tasse ; prends une gorgée, presque par politesse : le temps de te poser. Longue inspiration ; tu la reposes.

Tu es prêt.

- L’église, donc.

Tes mains se croisent ; non, l’une attrape l’autre, la serre un peu trop fort.

- Suite aux visions évoquées lors de la dernière réunion, je me sens rendu à l’église Belmont accompagnée de Colombe, en garde rapprochée, et de quatre épées, qui se tenaient à distance. Un sentiment curieux … De rejet, donc. Mais en même temps, presque … Une forme de tendresse. Le pouvoir de mon arcane était bloqué : je ne percevais aucun futur. Le vent s’est levé lorsque nous nous sommes rapprochés : Colombe a commencé à entendre des voix. Je me suis aventuré seul dans l’église. Au début, rien : puis, je me suis concentré pour tenter de percevoir quelque chose. Et … Quelque chose a répondu.

Un soupir.

Une nouvelle gorgée de thé : pour garder ta gorge humide.

C’était une partie plus difficile.

Et tu te concentres pour ne rien oublier.

- C’était comme si … Mon arcane elle-même était attaquée. En réaction, j’ai eu des visions de l’avenir. J’ai vu … J’ai vu l’église s’effondrer sur moi, me recouvrant de ses débris, et une présence incroyablement puissante. Plus que tout les Vesperis que j’ai croisé. J’ai vu différents futurs. Et à chaque fois, la même chose. L’église tombe : la bête se réveille … Et je meurs.

Un instant de pause.

- Puis, je me suis réveillé, terrifié. Des larmes de sang coulant de mes yeux : et du sang dans ma salive. Pas de sang dans le reste de mes fluides corporels. Colombe … A également craché du sang. Elle m’a sortie de l’église, puis s’est enfermée dedans à cause des voix. Mon arcane m’a demandée de m’éloigner Ensuite, l’influence de la … Chose s’est arrêtée. Fu Shen Dao, l’une des épées, est venue la sortir de l’église : j’ai été raccompagné à l’hôpital par le reste du groupe, après avoir demandé à être exposé au soleil afin de clarifier les doutes par rapport aux larmes de sang.

Un résumé que tu espères complet : tu ne pouvais pas parler pour Colombe, mais c’était déjà un phénomène sans précédent.

- Ma mort est donc … Définitivement une option. J’aimerai néanmoins souligner que celle-ci arrivait, dans mes visions, après le réveil de la bête et l’effondrement de l’église : je ne suis donc pas certain de si l’église elle-même aurait pu me tuer … Ou de mon lien avec ces évènements.

Une inspiration.
Tu lui laisses le temps de prendre ses notes, le regard fuyant.
Tu essayes de ne pas trop y penser. Mais c’est difficile.
D’autant plus que tes révélations ne s’arrêtent pas là.

- J’ai … également obtenu d’autres informations lors d’une … Comment dire ça ? Exploration urbaine. Une sortie dans une maison abandonnée de Kingsport.

Tes yeux se détournent.

- Mais les informations évoquées … Encore plus perturbantes, peut-être. Il s’agit de lettres plutôt que de témoignages directs, et datant des années 1953. Il y aurait donc besoin de vérifications supplémentaires. Mais … Il s’agit de correspondances écrites provenant de la secrétaire des De Manincors à son père, qui semble dans un état mental instable. Il évoque des Vampires, ce qui est déjà un fait inquiétant. Mais ça ne s’arrête pas là. Ils évoquent également le fait qu’Arkham soit vivant, que le lac soit vivant … Et que des créatures y vivent. Les De Manincor seraient à priori au courant de choses cachées dans la ville. Et, plus inquiétant encore ...

Tu ne sais pas quoi faire de ces informations : mais tu dois les partager à Maria, ne serait-ce que pour qu’elle dissipe tes doutes.

Malheureusement, tu crois que ces doutes sont justifiés.

- La mère des De Manincor aurait également vu une chose dans le lac. Je cite, « une chose faite autant de chair morte que vivante, qui ondule sur le voile du monde, doté d'un œil capable de s’ouvrir comme une bouche, et de muscles durs et liquide en même temps. Une créature capable de modifier l’ordre du monde ».  C’est … C’est quelque chose de nouveau. Ma propre vision me parlait de quelque chose sous l’église, et j’ai ressenti un être particulièrement puissant, sans même compter les particularités …Physique, d’Arkham. Est-ce que … Ces personnes ne pourraient pas avoir découvert quelque chose par accident ? Andrea a perçu une « troisième chose » … Et, avec deux témoins indépendants dont un qui évoque les vampires, qui sont réels, ça fait trop de coïncidence à mon goût. Nous pouvons supposer qu’il y a au moins une semblance de vérité quelque part.

Deuxième conclusion.

- Il faudrait donc potentiellement enquêter sur le lac ainsi que sur les De Manincor. Je connais personnellement l’héritière : peut-être que je pourrais m’en occuper. Mon ... Enquête sur les rêves semble aller plus loin que prévu. Tu es la première personne avec laquelle j’ai évoqué le contenu de ses lettres. Mais j’ai pris celle-ci en photo lors de l’exploration.

Enfin, ta longue tirade est finie : expliquée lentement, étape par étape, avec tes conclusions et tes propositions d’étapes suivantes. Un calme exemplaire : illusion trahie par ta main crispée autour de l’autre, à t’en faire blanchir les jointures.