L’air est frais – froid – glacial. L’hiver couvre les environs de son manteau funeste, les arbres nus frémissent sous la caresse mordante du vent et Leon réajuste son écharpe à son cou. Le soleil brille pourtant, les nuages se sont dispersés loin à l’horizon, et le ciel bleu éclatant contraste cruellement avec les sépultures grises.

L’heure est au recueillement, c’est l’endroit qui l’oblige. Le silence étend son voile sur le cimetière, à peine troublé par le croassement d’une corneille et le vrombissement lointain de la ville qui semble presque somnolente, tant l’atmosphère ici est calme. Leon ne craint pas cette curieuse sérénité qui se détache du lieu ; il l’accueille, et avec elle vient la peine. Un pincement au cœur. Le souvenir ravivé.

Celui d’un frère au sourire franc et à la bravoure sans faille. Il plonge son nez dans son écharpe, contemple quelques instants la vision intérieure qui saisit sa mémoire, puis secoue la tête quand lui viennent alors, naturellement, les images de ses traits tirés par une fatigue dévorante et prématurée, à l’échelle de l’humanité. Il devrait être là, à leurs côtés.

Leon jette un regard à Anat, passe un bras autour de ses épaules, puis ses cils papillonnent vers le soleil crâneur : si brillant qu’il semble les narguer. Un soupir fend ses lèvres, et lui cherche un morceau de présent auquel se raccrocher.
— Hm – c'est pas un temps de cimetière, ça.
Le deuil leur colle à la peau, et le ciel s’en moque.

C’est une histoire cruelle.
Autour d’eux, dansent des fantômes qu’ils ne peuvent pas voir. Pourtant, chaque fois qu’il ferme les yeux, Leon entrevoit encore la figure rieuse de Luis, et le timbre de sa voix sonne toujours à son oreille attentive. Il en porte le souvenir dans ses chairs, et il revit doucement dans chaque moment partagé avec Anat.

Il opine.
— Je peux jouer la veuve italienne éplorée, si tu veux. Il arque son dos, et sa figure se tord en une grimace malheureuse aux traits noueux et torturés, puis reprend sa position dans un soupir léger. Les rires fendent leurs lèvres comme pour mieux chasser le chagrin.

Il leur faut garder le dos droit et le menton haut, ne jamais perdre de vue la ligne fière de l’horizon. Leon s’y accroche, comme il s’accroche à la tiédeur qu’Anat éveille au creux de sa cage thoracique. Sa présence à son côté est son seul réconfort. Il se presse un peu plus contre elle.

Un silence précède sa réponse. Ses cils papillonnent vers les cieux, comme pour chercher entre les vols d’oiseaux et les rayons de lumière une empreinte laissée par leur adelphe. Rien. Rien que le vide immense et vertigineux de ce que la mort laisse derrière elle.
— Il est là où il doit être. Auprès de Mens, parmi les braves. A se la couler douce juste en dessous du soleil. Repos bien mérité. Il renifle. Accusera le froid s’il le faut. Et puis – j’imagine qu’il veille sur nous. Un peu.

Ses derniers mots sont tordus par sa gorge nouée. Son regard vacille vers Anat, dont il détaille le profil avec attention. Il le fait parfois : prend le temps de découper des images du réel pour les imprimer à l’ombre de ses paupières. En garder à jamais la trace quelque part en lui. Là où rien ni personne ne pourra les lui arracher.
— T’as les mêmes yeux que lui. Vous avez pris ça de maman, c’est sur.