>>> CHEZ PAPI, CHERRY VALLEY, APRÈS-MIDI

— Le fumier ! Cours ! Cours ! J'ai dit cours !!

Iggy éclate d'un rire gras, entrecoupé par des petits cris stridents - sur l'écran de son ordinateur, son personnage et le reste de l'équipe s'enfuient à toute vitesse loin d'une vile créature. À l'intérieur de son casque, c'est une vraie débandade ; nombre de voix masculines et féminines se mêlent, partageant une émotion commune : la panique. Le niveau touche à sa fin et ils sont pourtant loin d'être en sécurité - à ce stade, c'est chacun pour soi.
Il n'y a qu'ici qu'il trouve un semblant d'euphorie. En dehors du travail, Iggy ne s'embête pas avec quelconque relation - mais il garde conscience que l'humain est un animal social, alors il prend au moins la peine de construire quelque chose avec des entités quasi-virtuelles.

— BOUUUUGE !!

Le fou rire est à son comble, tous les joueurs partagent cette folie jusqu'aux larmes. C'est à peine s'il entend la sonnette buzzer à l'entrée - à vrai dire, il la constate seulement lorsque l'écran affiche la défaite du groupe.

— Papi, ça sonne ! Braille-t-il sans volonté d'arrêter son jeu. Une partie se remet en route dans la foulée. Mec, c'était trop chaud- comment on aurait pu l'esquiver le machin ? C'est trop dur ce niveau- Papi ?! Iggy baisse son casque un instant et se penche en arrière. Papi, y a quelqu'un !! T'es là ?!

Dans le domicile, un silence de mort.

— Je reviens.

Annonce-t-il au micro avant d'abandonner ses camarades, direction l'entrée de l'appartement.
Iggy ouvre la porte sans s'inquiéter de quoi que ce soit, pas même de sa tenue - en short et t-shirt, pieds nus, le maquillage de la veille encore gris autour de ses yeux et les cheveux mal coiffés.
Mais face à toi et tes mots, c'est tout de suite la douche froide. Il se décompose, comme à peu près tout le monde qui puisse se trouver dans une situation similaire - peut-être même qu'il devient livide, ça en tout cas il ne le conscientise pas.
Jamais il n'a eu à se frotter à la police d'une quelconque manière.

— Euh- oui, ouais, c'est moi... 'fin, ok - c'est grave, inspecteur ?

Inquiet, il finit par ouvrir grand la porte et t'invite à rentrer.

— Je peux... vous voulez du thé ? J'ai du thé. Du vert. J'crois.

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Iggy n'arrive pas à esquiver ton regard. C'est à peine s'il cherche à le faire, lui. Il a la désagréable sensation que la moindre tentative se solderait d'un échec, ou pire, d'une réprimande. Autour de lui, la décoration de l'appartement dénote avec son allure. Il faut dire qu'Iggy vit chez un vieux monsieur, propriétaire depuis un paquet d'années maintenant - preuve en est par la décoration rustique et les quelques photos de famille qui trônent sur les murs de l'entrée et des couloirs adjacents. Iggy enfant y est placardé aussi, le sourire complètement troué et quelques croûtes sur les genoux.

Rien à voir avec la photo de l'homme qu'on lui présente, en somme, qui éveille chez lui un souvenir très précis. Il fronce les sourcils un instant et s'inquiète :

— Je... Je sais pas si j'ai le droit de donner des infos comme ça, si ? Enfin, ça se trouve mon patron va me licencier à cause de ça... Qu'il marmonne à lui-même sans trouver le courage de refuser pour autant.

Enfin, si le témoignage est anonyme, que risque-t-il vraiment ? Iggy a un sens de la justice trop aiguisé pour ignorer la situation dans laquelle il se trouve. Du rôle qu'il peut jouer - enfin.

— Je l'ai déjà vu, mais bon des clients j'en ai plein alors j'oublie peut-être des détails... il se penche sur la photo et réfléchit, comment il s'appelle déjà... Solfège... non, pas ça... Sol... Sol- quelque chose qui commence par Sol. Essayant de balayer le souci que lui cause sa mémoire, il se penche sur une autre information. C'est pas un grand bavard. J'ai du mal à me rappeler des noms quand c'est comme ça. En tout cas je l'ai souvent déposé à l'église Belmont.

Il lève les yeux vers toi, incertain.

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C'est peut-être le truc le plus dingue qui lui soit jamais arrivé. Il songe tout de suite à ses amis en ligne qui doivent attendre son retour - il aura enfin quelque chose à raconter.
C'est-à-dire qu'Iggy n'a pas une vie très intéressante et, de surcroit, rien à partager à ses proches. S'il peut être mêlé à une quelconque affaire pour débusquer un criminel même de bas étage, n'en tirerait-il pas une certaine fierté ?
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, il n'a jamais été fier de quoi que ce soit. De fait, il prend la situation très au sérieux.

Et ce n'est pas parce que tu l'impressionnes seulement, bien sûr.

— Ah oui, c'est ça. Solphim. Il ne connaissait pas son nom de famille, cela dit. Non j'ai jamais vu ça m'dame. J'vous dis, il parlait pas, ou peu. C'était en surface à chaque fois. Puis, pour le fric j'avoue que j'ai jamais trop prêté attention, j'ai juste assumé que c'était un mec plein aux as. En tout cas ça c'est sûr, il paye généreusement.

Il songe à ce restaurant chinois qu'il a pu se payer à la fin du mois dernier grâce à lui. C'est dépitant s'il se fait arrêter - comment va-t-il pouvoir s'offrir de délicieux mets sans ce type ?
Son estomac voudrait presque le pousser à mentir. Mais non. La justice, Iggy. Pense à la justice, se force-t-il à penser.

— Ah, peut-être que... après avoir lorgné le sol pour songer quelques secondes, il te fixe à nouveau, La première fois que je l'ai déposé à l'église il m'a dit que je devrai me casser et vite. Que j'étais trop jeune. J'ai pas tout compris. Soucieux, il porte ses propres conclusions. ... Y'a une maison close dans l'église, c'est ça ?

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— Un trafiquant, woh.

Iggy pense automatiquement aux rimeurs qui circulent en ville depuis quelques temps maintenant. Quelque chose à propos d'une contamination. Quelque part, il pense aussi à son ancien collègue, le vieux Mike, qui avait tendance à tout remettre sur le compte de la drogue et ses consommateurs. De toute évidence, quelque chose tramait dans l'ombre. Mais pour avoir vu Narcos, il décide assez vite qu'il n'a pas le courage de se mêler à ses histoires. Il se sent bien ici, tranquille.

— Non, je le récupère pas là-bas. Je l'y amène, c'est tout. Et les autres endroits où je l'ai déposé... c'est arrivé, j'en suis sûr. Après, où, j'en sais trop rien. Rien qui m'ait semblé peu ordinaire en tout cas. Ca m'a pas marqué. Désolé m'dame j'ai pas plus d'infos à vous donner. Après à l'église, ils en savent peut-être quelque chose ?