Le nez dans sa paperasse, ses légers pas n’étaient pas passés inaperçu. Depuis le temps qu’il la côtoyait, il savait à présent remarquer sa présence, avant même qu’elle n’ait besoin de l’annoncer. Quoi qu’il en soit, elle était autant chez elle ici que lui. Bien qu’elle ait pris la décision de quitter le nid. Il n’avait eu de cesse de la voir déambuler à l’occasion. Bien souvent mais jamais assez. Sans être trop. Sans être suffisant.

Il quitte sans attendre ses obligations pompeuses, le prochain salon attendrait qu’il puisse profiter de cette charmante et surprenante visite. Il avait bien assez d’aides et de bras à présent, pour avoir besoin de tout porter sur ses épaules. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher garder un œil sur chacune de ses affaires. Un besoin de contrôle qui lui échappait. Ironie de la chose. Non pas qu’il était incapable de déléguer. Voir pire, que sa situation et sa vie l’aient poussé à la paranoïa. Mais il aimait par-dessus tout être informé. Et il arborait le sentiment d’impuissance et d’inutile que la noblesse à tendance à cumuler au fil des siècles. Sûrement ce même sentiment qui a provoqué sa propre perte. Encore une autre ironie de la vie.

Il ne tique pas face à ce surnom. Elle était l’une des rares personnes sur cette terre à pouvoir lui attribuer un tel sobriquet. D’autant plus qu’il serait mentir de dire qu’il ne s’y était pas habitué. D’autant qu’il y avait trouvé une forme de douceur bienvenue qui lui sied à la perfection. Une autre façon qu’il avait de savoir qui il avait face à lui. S’il s’adressait au frère ou à la sœur. Un des nombreux moyens qui lui avait facilité la vie au cours de leurs longues existences respectives.

Je t’en prie. Reste. Tu ne me déranges jamais.

Il arborait un sourire sincère sur les lèvres, preuve qu’il n’agissait pas par politesse. Bien que les manières étaient toujours là. Tenace, présente jusqu’au plus profond de son âme. Si tenté qu’il en ait encore une.

Sa prochaine remarque lui arrache un soupir intérieur. Son si bon ami avait encore oublié de lui rendre son prêt. Et c’était loin d’être la première fois. Une récidive multimillénaire.

Si par vendu tu sous-entends que Lazare a encore manqué de me rendre ladite collection. Alors oui. Tu as tout à fait raison. Une très mauvaise affaire d’ailleurs.

Il n’était pas dupe au point de se trouver tirer d’affaire. Bien que la faute soit partagée dans ce cas. Entre lui et son compagnon de toujours. Il la connaissait suffisamment pour savoir qu’un des coupables manquait à la barre en ce jour. N’ayant nullement l’intention de subir un procès dont il n’était pas totalement coupable

Allons. Là n’était pas mon intention. Et nous savons tous les deux que notre ami commun n’a pas daigné nous tenir informé l’un comme l’autre. Comme à sa grande habitude.

S’empresse donc de sauter sur l’occasion qu’elle lui offre. Bien trop belle pour se permettre de la laisser tomber dans l’oubli. Une remarque qui n’était pas tombé dans l’oreille du sourd.

Maintenant que tu abordes le sujet. J’aimerai repartir sur un thème un peu plus européen. Avant nous allions chercher l’originalité et l’exotisme du côté de l’Asie. A présent la mode est à l’Europe et au traditionnel. A croire que nos ancêtres donnent à présent dans l’original des siècles après.

Il ne prit pas la peine de remarquer sa prestance. Il le savait. Elle le savait, mieux que quiconque. Que l’art de la manière était primordial. Bien plus que le contrôle de la bête. C’était à son image qu’on jugeait un vesperis. Ou même un humain. Être incapable de bien se tenir, équivalait à être bien en deçà de la bête qu’ils recherchent tant bien que mal à réprimer tout au long de leur vie. Cette façon de faire. De penser. De vivre. Il l’avait inculqué à Carmina depuis des années. Des siècles même. Il n’avait nul besoin d’être attentif à son comportement. Elle le serait bien davantage.

Pour ce simple détail, il était fier d’elle. Fier de ce qu’ils étaient devenus. Son frère et elle. Fier de voir qu’ils étaient bien plus humains à ses yeux que certains humains. Après tout, il était persuadé que l’humanité ne se définissait pas seulement à la génétique et aux passifs d’une espèce. Mais bien à un état d’esprit. Sur ce point. Ils étaient plus respectables que quiconque oserait prétendre le contraire.

Ravi de voir qu’elle apprécie sa remarque. Qui n’était pas une tentative maladroite de faire de l’humour. Mais hélas bien la vérité. La vérité qu’il partageait avec Lazare. Si quelqu’un devait provoquer sa perte. C’était bien lui. Elle avait raison. Comme toujours. Malgré tout, si c’était pour lui. Il aurait accepté de se damner encore davantage.

On ne peut pas me reprocher de trop apprécier mes camarades. Mais tu as raison, si ma générosité ne rend pas grâce à tes efforts, peut-être qu’elle rendra Lazare un peu plus heureux !

Il est ravi de voir que sa proposition fasse mouche à ce point. Ravi de voir qu’elle y met autant de cœur à la tâche. Non pas qu’il avait des doutes sur ses intentions. Simplement la voir aussi investie le rendait étrangement heureux. Comme si la savoir s’épanouir loin du nid familial qu’il lui avait offert pendant tout ce temps, était autant bénéfique pour elle que pour lui. Peut-être était-ce la une forme de réussite dans les yeux du vesperis. Voyant celle en qui il avait mis autant d’espoir les surpasser les uns après les autres.

Toute ma vie et ma longue non vie est pavé d’adaptation et d’ouverture. Contrairement à beaucoup sur cette terre hélas. Je sais reconnaître l’art où il se démarque. Qu’importe celui ou celle qui le pratique. Qu’importe ce qu’en dit la société. Mais même si j’ai confiance en mes capacités pour déceler ces aspects. Je sais que ton œil aguerri saura se montrer plus diligent que moi.

Il ne ménageait pas ses éloges, elle méritait davantage s’il devait être totalement transparent. Mais il n’était pas assez empathique pour le démontrer à sa juste valeur. Déjà que sa transformation ne l’a pas arrangé à ce sujet. C’était bien au-delà de toute espérance que de recevoir de tels compliments de sa part.

Excellente idée, on ne pourra pas me reprocher de faire sobre pour une fois. Quoique, savoir qu’ils me jalousent n’est jamais déplaisant.

Lui adresse le sourire le plus sincère qu’il est capable d’exprimer. Honnêtement touché par sa proposition.

Je te laisse carte blanche pour tout réarranger selon tes goûts et compétences.

Avant de laisser échapper un léger et bref rire face à se dernière remarque. Elle savait ce qu’elle voulait. Encore une qualité qu’il voyait en elle et savait apprécier.

Je ne manquerai pas de lui rappeler.