A la lueur d’une pièce à l’éclairage feutré, Bellion se tenait fièrement sur une scène et s’accaparait les regards des créatures les plus spectaculaires ayant jamais arpenté les pavés de cette ville insipide.
Perché au milieu des œuvres, le dernier né De Manincor se plaisait à s’imaginer rayonnant d’une aura empruntée à la grâce des arts.
L’ombre Manincor était inapte à toute forme de création, il n’évoluait que dans l’appropriation et le mensonge.
Mais en ce domaine, il était maître.

Et les bijoux resplendissent, les bustes défilent.
Les panneaux se lèvent.
Les égos s’entrechoquent, l’argent s’évanouit entre les doigts avares du commissaire priseur.
Bellion s’amusait à reconnaître les visages de la société Vesperis dans toute leur gloutonnerie.
Confiant à se dire que le seul à avoir gagné quoi que ce soit d’important, en ces lieux, était lui-même.
Car quand bien même la soirée était fructueuse ((particulièrement pour celui qui s’attribuait tous les bénéfices)) son esprit ne pouvait s’empêcher de s’évader à la destination des pages hurlantes, enfermées dans une étrange couverture et scellées par une élégante reliure.
Impatient que la mascarade nocturne s’effondre au profit d’une énième nuit passée à étudier ce qui ne pouvait l’être.

Mais Bellion avait pour principe de ne partir que lorsque tous les invités avaient eux-même quitté la pièce.
Il en ressortait de temps à autre une proposition alléchante, un contact incongru.
Quand bien même il n’était pas à la recherche de cela, présentement, Bellion avait tout le mal du monde à changer ses habitudes.
Heureusement pour lui, la silhouette venue l’accoster correspondait à tout ce qu’il y avait de plus ravissant dans la société Vesperienne.
Ophrys De Luca.
Si Bellion aurait pu faire preuve de mécontentement quant à la manière dont le Vesperis avait pris la liberté de soustraire son acolyte à cette conversation ((il pouvait s’en charger lui-même)), la technicité du geste était suffisante pour simplement s’en amuser.

Splendido ! Signore De Luca ! L’odeur de rosa n’était donc pas une élucubration de ma part.

Le Vesperis relevait par lui-même un état de fait déconcertant.
Effectivement, quand bien même avait-il toujours été un spectateur assidu des soirées d’enchère, il n’avait jamais participé.
Jamais le panneau numéro 9 n'avait été levé.

Le coin des lèvres de Bellion se relève en un sourire rieur.

Il est vrai que vous n’avez jamais profité de l’occasion pour vous approprier quelconque relique ou bien apparat. Je ne vous imagine pourtant pas souffrir d’un manque d’investissement financier. D’aucun pourrait trouver cela étrange, mais je sais plus que quiconque que nous ne vendons pas que des œuvres d’art, dans cette pièce. Et puisque malgré votre emploi du temps que je devine chargé vous n’avez jamais manqué à faire acte de présence… Il serait incorrect de dire que vous n’avez rien acheté. Je vous accorde néanmoins, Signore, que de votre argent je ne me suis encore jamais enrichi.

Les doigts de Bellion s’entrelacent.

Êtes-vous à la recherche de quelque chose de plus… Esotico ?

Le regard s’était assombri à travers les paroles proférées par le Vesperis.
Bellion était doté d’un caractère impétueux et il était particulièrement facile de s’attirer ses foudres.
S’il était tout à fait stupide de se montrer désobligeant envers Ophrys De Luca, sa position chez les Vesperis n’étant pas encore identifiée mais il ne faisait aucun doute qu’il eût occupé un siège haut placé, cela ne voulait pas nécessairement dire qu’il devait se montrer docile à son égard.
Ou en tout cas, volontaire.
Alors lorsque Ophrys l’invite à lui faire constater ses efforts, prétextant que cela était préférable pour eux deux, le dernier né Manincor s’était illustré d’un sourire pincé.
Déjà l’orage grondait au creux de lui-même.

Je verrais ce que je peux faire.

Fut la seule réponse qu’il lui adressa à ce sujet.
Cela ne semblait néanmoins pas revêtir quelconque importance puisqu’il avait aussitôt bifurqué sur un sujet complètement différent.
Bellion ne connaissait pas suffisamment Ophrys pour savoir si la joie qu’il affichait à son visage était feinte ou bien sincère, mais il savait reconnaître une expression qui ne lui plaisait pas.
Pensait-il faire danser un clown dans la paume de sa main ?

Plisse des yeux un instant alors que le regard s’intensifie.
Pourquoi était-il intéressé par la fontaine ?
S’agissait-il de la lubie démesurée d’une créature suffisamment ancienne pour être lasse ?

Est-ce là votre conception du “vrai”, Monsieur De Luca ? Une fontaine ?

Bellion n’identifiait pas réellement les intentions du Vesperis, en tout cas pas au-delà de la convoitise d’un objet de collection.
Il n’était pas non plus sûr d’en avoir quelque chose à faire, puisque cette fontaine n’avait jamais éveillé le moindre intérêt pour lui.
Mais il avait suffisamment détesté ce qu’il avait considéré précédemment comme une menace pour ne pas le satisfaire pleinement.

En effet, elle a été rénovée par notre famille. En temps normal, je serais enclin à vous dire simplement que toute propriété a son prix, mais j’ai bien peur que son appartenance ne nous revienne plus. Elle a intégré le patrimoine d’Arkham sous forme de don.

Ce n’était évidemment pas l’ensemble des informations en sa possession, mais il s’agissait de tout ce qu’il avait envie ((pour l’instant)) de lui transmettre.

Pourquoi vouloir en apprendre plus sur la Fontaine Magdalena ? Revêt-elle la moindre importance ?

Si l’on pouvait sans mal louer l’élégance du Vesperis lui faisant face, son attitude était tout aussi insupportable que pouvait l’être celle de Bellion.
Et puisqu’il était monté sur la défensive, le De Manincor se trouvait très difficile à atteindre.
Peut-être était-ce en partie dû au contact méprisant de ses frères et sœurs mais il avait appris à reconnaître le manque de considération d’un interlocuteur vers un autre.
En l'occurrence, peu importe la manière dont Ophrys souhaitait se placer dans l’équation, il était avantagé par l’influence et la force mais n’avait aucun moyen d’obtenir les informations qu’il souhaitait.
Pas si Bellion décidait de rester muet sur la rénovation ayant été évoquée.

Lorsque Ophrys évoque son caractère, Bellion se contente d’étirer un sourire.
Il n’allait pas nier avoir été piqué à vif par la manière dont il l’avait abordé et lui avait manqué de respect - par deux fois.
Par ailleurs, le dernier né de Mama n’était pas sensible à la flatterie du Vesperis : non pas qu’il eût été disgracieux, bien au contraire.
Mais Bellion utilisait lui-même ce genre de stratagème pour obtenir ce qu’il désirait.
Alors il était tout aussi bien immunisé à Ophrys que Ophrys était immunisé à lui.

Mon parfum ? Vil flatteur que vous faites. Un peu évident, je dois l’admettre, mais pas dénué de charme.

Hausse les épaules.

Vous vous fichez bien de mon pardon. Il en va de même en ce qui concerne mon appréciation de votre caractère. Cela vous indiffère complètement et, à vrai dire, je le comprends tout à fait. Plus encore : je partage votre sentiment. Je n’aurais pas l’audace de prétendre à plus de courtoisie de votre part et vous avez évidemment deviné que la réciprocité était de mise. Je pourrais vous servir des fadaises - ou mes singeries - jusqu’au levé du soleil, si cela vous sied, et vous n’aurez pas appris plus sur cette fontaine que ce que j’aurais bien voulu vous transmettre.

Laisse ses mains entrelacées reposer entre ses cuisses.
La tête penchée sur le côté, le sourire affiché par Bellion était empli d’une véritable sincérité.

Vous êtes en mesure de séparer ma tête du reste de mon corps avant même que je ne puisse m’en apercevoir. Peut-être même vous ferez-vous la lubie de goûter à ma vie ? Ça, je ne le respecte pas, parce que vous en êtes tous capables et que je n’ai pas pour ambition de ramper aux pieds de chacun d’entre vous. Mais réjouissons-nous tous les deux, Signore De Luca, car je n’ai pas envie de faire de vous mon ennemi. Pour dire vrai, je ne déteste pas vos manières. Cependant, j’aimerais obtenir de votre part un peu plus de considération. Car si vous venez me réclamer des informations en m’insultant et en me traitant comme l’une de vos putes, alors je ne pense pas être en mesure de vous en apprendre plus que ne le ferait l’une d’elles.

Une main tendue en direction du Vesperis.

Alors que diriez-vous de reprendre depuis le début, mon très cher ami ? Pourquoi souhaitez-vous en apprendre plus sur la Fontaine Magdalena ? Je suis sûr qu’avec la bonne volonté, je pourrais vous apporter des éléments de réponse.