Tu n’aurais pas pu t’en battre les couilles davantage de Hadrian.

Un professeur moyen d’une matière qu’on vous force à faire, avec une carrière politique pas inintéressant, mais pas franchement intéressante non plus.

Tu aurais fait tes devoirs, fais ton boulot, posé des questions si nécessaire ; et rien de plus, comme pour les professeurs de tant de matières.

Si seulement il n’était pas Byrd.

Hadrian Byrd.

Et cet oiseau de malheur, tu voulais lui jeter des pierres.

Parce qu’il est Byrd.

Parce que c’est pour sa famille que ta mère est morte.
Parce qu’elle bossait pour eux, à laver leurs sols parce qu’ils étaient incapables de le faire eux-mêmes.
Parce qu’ils t’ont jugés comme un chien quand Faye avait commencé à assumer de trainer avec toi.
Parce qu’ils t’ont bien fait comprendre que t’étais pas à ta place parmi eux.
Parce qu’ils ont la tête tellement loin dans le cul qu’ils ne voient plus la lumière du jour, la réalité des gens autour d’eux qui souffrent.

Alors, tu vas t’assoir sur ta chaise au premier rang, aussi peu confortable soit-elle, ouais.
Tu vas assister au cours.
Mais, que Mens en soit témoin, tu ne vas pas le laisser te faire la leçon sur quoi que ce soit.

Alors, pendant qu’il fait son cours, tu lèves la main – dans l’attente qu’il t’interroge.
Sauf que tu n’attends pas qu’il le fasse pour prendre la parole, non. Tu décides de le faire seul.

- Hadrian !

Pas de « monsieur » pour lui, non. Il ne mérite pas ce respect, pas après les regards qu’il t’a lancés quand tu étais avec Faye, pas après tout ce qu’il a fait ; et surtout, tout ce qu’il n’a pas fait. C’est un survivant ? Tant mieux pour lui : il hérite de la fortune et des tords.

- L’éthique protestante, c’est bien gentil – enfin, j’perso j’suis catholique – mais ça n’explique pas tout. L’esprit du capitalisme vient de là : mais il y a quand même des valeurs de partage qui doivent être partagés, ne serait-ce que parce que c’est écrit dans la bible. L’accumulation des richesses dépasse la vocation divine, si on reprend la thèse de Max Weber, pour devenir une vocation qui est elle-même condamnée. Les riches, ils ne bossent pas : ou juste des boulots pour se mettre en valeur. Par exemple, maire pour ceux suffisamment bons pour réussir. Mais l’accumulation des richesses sans travail … C’est contre l’éthique protestante.

Il doit commencer à voir vers où est-ce que tu souhaites en venir.

- Bref …. Les riches, les milliardaires, les riches héritiers. De tous les points de vue, c’est quand même des belles raclures, non ?

Traduction : tu peux aller au cimetière des Byrd bouffer tes morts.
Les mauvaise langues diront que tu as encore du mal à surmonter ta rupture avec Faye.

Aaaaah.
C'est le soupir.
Celui qui tend le cou, étire la nuque et pousse à admirer le plafond d'yeux semi ouverts. C'est les doigts qui pincent l'arrête du nez, et invitent à prendre une grande inspiration. Le début de la migraine, l'appel du doliprane. L'envie de fermer son dossier, le glisser dans sa sacoche et partir de l'auditoire sans mot dire.
C'est l'effet que fait Amadis.

- Monsieur Byrd.

Amadis trop familier, surtout quand il interrompt ses cours pour le provoquer. C'est dommage, car, sur le papier, Amadis Cervantes est un très bon élève. Il n'y a qu'à voir la verve dont il use pour se moquer publiquement de lui, c'est très réfléchi et bien argumenté. Dans un autre univers, Hadrian Byrd aurait adoré cet élève.
Mais Amadis le hait. Depuis la rupture avec Faye, Hadrian le subit.
Aujourd'hui encore, le  professeur subit.

Amadis le  catholique a la haine, et jusqu'ici établit un plan bien caché derrière le sujet de son cours. Ah, il est malin, mais Hadrian n'a pas l'ambition de tout expliquer. Mais soit. Qu'il continue, qu'il en vienne au fait, aux mots qui sont prévu pour l'éventrer en plein cours et l'humilier.
La Bible est pris comme exemple, sans préciser que ce n'est pas parce que quelque chose est écrit dedans que c'était forcément une valeur à suivre. Mais, soit, Hadrian le laisse finir sa tirade, l'observant, la tête sur le coté, appuyé contre son bureau, les bras croisés.
Hadrian attend.
Et cela finit par tourner sur les richesses.
Sur l'envie de devenir maire.
Hadrien se gratte le front : s'il déteste les riches... Pourquoi ne pas détester Faye ? Deux pois deux mesures, pour le garçonnet ? Ah... Il est fatigué.
Cet étudiant aura sa mort avant les vesperis.

- Merci, Amadis, pour nous avoir partagé ton opinion une nouvelle fois ce cours ci. Je sens que tu as encore beaucoup à dire ! Si cela te démange, écris ça sur papier, d'accord ? Je serai ravi de lire ce devoir supplémentaire mercredi, hm ?

Manger les riches, oui, Hadrian est au courant. Comme un riche, il a fait la sourde oreille, il se dit qu'il a beaucoup trop de chose qui reposent sur ses épaules pour réfléchir à ces valeurs communistes.
Un devoir en plus pour Amadis ne lui fera pas de mal. Avec un peu de chance, il aurait moins à dire la prochaine fois. Gratte tes émotions négatives sur le papier, tiens, défoule toi un peu et lâche moi la grappe.
Mais ce n'est pas professionnel.

- Vous allez adorer les chapitres sur les révolutions, Cervantes. Nous y parlons des méchants riches qui ne travaillent pas et du bouleversement social et politique qui découle de ces inégalités, cela vous inspirera sûrement. J'ai hâte.

L'entrain de sa phrase est mort.

- Maintenant, si vous le permettez, je continue.

Il se doute qu'Amadis n'a pas fini, pourtant, Hadrian fait mine de reprendre le cours.

- Ok, Hadrian.

Tu ne lâcheras pas le morceau.

Parce que tu as cette colère en toi, cette colère que tu ne peux pas tout à fait exprimer ; mais que tu ne peux pas non plus taire.

Alors, tu craches ton venin : tu exprimes à demi-mot ce que tu ne sais pas dire, tu dis tout haut pour ne pas avoir à penser tout bas.

Pourtant, le cours n’est pas intéressant ; et les élèves attentifs remarqueront que tu utilises le cours pour tes attaques – aussi injuste soient-elle – envers le professeur. Max Weber, Marx … Des grands noms de la sociologie.

Comme une forme de respect à demi-mot ; une envie de rester un bon élève en insultant ton professeur de tous les noms, sans lui laisser la victoire de te penser complètement stupide.

Tu doutes de changer son avis : mais de toute manière, tu te doutes bien que son avis sur toi est arrêté.

- De rien, ça m’fait plaisir. Visiblement, ça t’fait plaisir de lire mes opinions, mais j’me permets quand même de te signaler qu’un devoir, c’est pas censé être « raconte tes opinions » . Surtout que bon, c’est toujours toi qui me dis d’arrêter de les donner en cours. J’veux dire, comment on peut noter ça ? Enfin bon, j’le ferais. Mais c’est pas très sérieux, pour un « professeur ».

On pourrait croire que tu serais le héros de ta classe, un élève venu les sauver des emprises du méchant professeur :

Mais, très clairement, non.

Ça fait marrer quelques personnes : mais la plupart aimeraient reprendre le cours et écouter l’avis du professeur – aussi contestable soit-il pour Amadis – que celui d’un élève qui n’a aucun diplôme à son actif. D’autres trouvent tes avis intéressants, mais se disent que ce n’est pas non plus le programme : ce n’est pas toi qui donnes les notes, après tout … Et ils sont là pour ça.

Mais, de toute manière, tu ne fais pas ça pour eux : tu fais ça pour toi. Tes notes n’ont aucune raison d’être mauvaises : et tu t’appliques suffisamment dans chacun de tes devoirs pour que de mauvaises notes puissent être contestées en ta faveur.

- Oui oui. DeNardo, Tarrow, Demetriou … Et Marx, bien évidemment. Je n’ai aucun doute sur le fait que tu sois très au courant des méchants riches qui ne travaillent pas, mais j’me permets d’avoir des doutes sur ta capacité à faire cours dessus. Enfin, j’veux dire … Les grands auteurs sont quand même plutôt d’avis que c’est les gens comme vous, le problème. Les familles qui ont hérités de ces fortunes, en tout cas. J’veux dire, ces inégalités, tu ne les connais que des livres que tu as lus, non ? Alors faire cours dessus … Et je ne parle même pas de tenter d’avoir une influence politique sur ces sujets.

Le sujet de sa carrière politique était incroyablement facile : d’autant plus qu’il pouvait y avoir une multitude de causes derrière son échec et qu’il était, pour un politicien, très jeune pour se lancer dans la course politique.

Mais ça te fait des balles perdues à lui mettre.
Qu’importe si c’est injuste.
Parce que, pour toi non plus, ce n’était pas juste.
Mais au moins, tu te retiens de lancer des remarques sur la famille : parce que, pour toi aussi, c’est un sujet sensible.

Coude sur la table, la tête paresseusement posée sur la main : Amadis continue, observant droit dans les yeux le professeur en face de lui.

- Parce que … Malgré tout les cours que vous avez reçu, j’pense que vous avez toujours ce mépris des autres en tête. Vous lisez sur les inégalités : mais vous les reproduisez chaque jour. Je le mettrais bien sur papier pour vous, mais j’suis sûr que des articles de journaux d’il y a quelques années le feront mieux que moi.

C’était gratuit.
C’était méchant.
C’est la vengeance d’un petit con venu hanter le Byrd restant.
Précisément parce qu’il était Byrd ;
Alors que Faye n’était que Faye à tes yeux.

Soudain Chicago lui manque.
Même si la distance avec Arkham pèse, c'est toujours moins lourd que subir un tel harcèlement moral à chacun des cours où Amadis est présent. Et il laisse les mots couler, venir juger ses compétences en tant que professeur.

- Si ce n'était pas assez clair, c'est plus une punition pour interrompre une énième fois le cours de vos camarades qu'autre chose, Cervantes.

Hadrian jette un coup d'oeil à l'horloge au mur. Encore combien de temps à tenir ? Combien de temps avant les vacances ? La retraite, peut être ?
Ah, mais il n'a pas besoin d'attendre, en vrai. Comme le dit si bien le garçon, ce méchant riche pourrait cesser de travailler et vivre de l'héritage de ses proches décédés dans d'horribles conditions.
Hadrian reste assis, l'échine courbée par la fatigue, et observe Amadis qui ne manque pas d'inspiration quand il s'agit de le descendre. Ah, être la muse d'un tel élève. Quel honneur, vraiment. Fallait pas. Lui qui s'était fait un trou à Miskatonic pour y être oublié, c'est raté.

- Si je n'étais pas qualifié pour donner cours, je ne serais pas ici.

Et l'envie de développer disparaît à la nouvelle mention de sa carrière politique.

- C'est dommage, Cervantes, ce serait presque un échange intelligent si tu t'empêchais d'être personnel.

Professeur Byrd se lève de sa chaise comme si c'était une chose terrible que se redresser.

- Comme je disais, c'est là que tes interventions gênent le cours et tes camarades. C'est là que tu peux garder toutes ces belles répliques pour toi et avoir la décence d'attendre la fin du cours.

Il observe l'étudiant avachi sur son bureau pendant quelques secondes, écoute malgré lui ce qu'il a à dire.

- Bien, partage moi ces articles, Amadis.

Ca ne sert à rien de discuter avec quelqu'un qui veut juste vous planter avec ses mots. Amadis a raison, bravo pour cette remarque, quel génie, continuons. Il vise où ça fait mal, mais Hadrain est solide. Suffisamment pour tenir le cours et céder le soir à la maison, s'effondrer sur le lit et espérer un peu de clémence pour le futur.
Ca sert à rien de discuter, mais.

- Précisons cependant, pour te rassurer, mes  cours ne se basent pas sur mon opinion personnel, mais sur les œuvres de ces fameux auteurs, et je recommande de les lire, en lire plusieurs même. Mon... "mépris" ne se trouve pas dans cette salle, Cervantes. J'aimerais que tu en fasses autant, au moins pour le reste de l'auditoire. Il ne reste pas grand chose pour finir ce chapitre avant la fin de mon cours, et je pense que personne ne veut sortir plus tard que prévu.

L’air ennuyé : tu roules des yeux, tu soupires en l’écoutant.

- J’ai remarqué que c’était une punition, merci. J’dis juste, c’est pas une très bonne punition. Sans même compter que les punitions, c’est vraiment une méthode du moyen-âge. Tu sais très bien que ça ne va pas m’empêcher de continuer, et tu sais très bien que ça ne va rien m’apprendre. C’juste personnel.

Ça ne t’affecte pas.

Un devoir, c’est vite écrit : et dans le pire des cas, tu peux toujours mettre ça sur ChatGPT ou quelque chose dans le genre, puis réécrire dans ton style avec les corrections nécessaires.

Mis tu vas quand même le faire.

Rien que pour lui montrer qu’il ne va pas gagner ce combat – qu’aucune ne qualifierait d’acharnement - même en jouant à la loyale.

Le cours n’est pas foncièrement intéressant : et, si c’était quelqu’un d’autre, tu aurais pu avoir de la sympathie pour son parcours politique. Quelqu’un de jeune qui tente de se présenter en politique : l’intention est louable, et l’échec n’est qu’une étape nécessaire.

Malheureusement pour lui, il était Hadrian Byrd.

Alors, tu roules des yeux à ses phrases ; tu restes avachi sur ta chaise comme pour te donner des airs de cancre.

- J’crois pas que tu as envie que je partage ces articles, non. Parce que certains sont beaucoup plus méchants que moi. Je cite, ouvrez les parenthèses, « Campagne d’Hadrian Byrd : une deuxième tragédie touche les Byrd » ou encore « même par pitié, on ne voterait pas pour lui ». Fermez les parenthèses. Des connards, oui. Mais on parle plus de ta réputation d’héritier que de tes idées. Tu m’dirais, j’pense que c’était le cœur de ta campagne.

Un haussement d’épaule.

Tu n’as absolument aucune sympathie pour ceux qui ont écrit ça, surtout que ce n'était pas dans des journaux d'une grande qualité. C’est se moquer d’une tragédie pour vendre du papier : ça ne critique pas le fond, et ça se contente de réduire ses idées à son nom de famille.

Est-ce que tu ne fais pas la même chose ?

Peut-être, oui.

Mais c’est bien là le droit d’une victime. Ta mère est morte en bossant pour eux, ils ont poussé Faye à te quitter …

Et, même dans les articles, elle est une simple parenthèse oubliée face à l'immense tragédie des Byrd.

Alors, pour toi, le mépris, il est dans cette sale de cours et en face de toi.

- Ouais, bref, on tape « 30 livres à lire de la sociologie » et on peut se passer de ton cours. Mais vas-y, je te laisse continuer ton cours. Laisse-moi deviner : Weber, Marx et Durkheim. Wow, super original. Peut-être même Bourdieu : tu sais, l’habitus, les stratégies des élites pour exclure les autres. Les « violences symboliques ». Il est là, le mépris, jusqu’à dans cette salle.

Ronchon, tu détournes le regard, tu croises les bras : bref, tu fais semblant de l’ignorer.

Mais depuis que tu sais que c’est la famille de Faye qui l’ont fait te lâcher en lui disant que tu valais moins qu’elle …

Ouais, t’as la rage.

Pour toi, Hadrian, c’est le cumul de tout ça : parce que tu vois Byrd, tu ne vois pas la personne : des propos maitrisés, oui, une belle manière de parler et un travail sérieux, certes. Mais pour le reste ? C’est une sorte de coquille qui te semble vide, parce que tu n’as pas la tête à chercher la personne dedans.

Un punching-ball, une sorte de représentation des Byrd sur laquelle tu peux mettre tout tes reproches sans jamais mettre d’individualité derrière – si ce n’est pour des reproches gratuits.

Ça te convient très bien.

En la présence d'Amadis, Hadrian se sent vieux. Le dos lutte pour rester droit, les yeux fatiguent. C'est à peine s'il ne sent pas ses cheveux devenir blanc peu à peu au fil des mots du jeune homme. C'est un vampire qui lui aspire la joie de vivre. Chaque mot est source de débats passifs agressifs, et ce, chaque jour. Soit, la punition est personnelle, peut-être. A ce stade, Hadrian ne veut déjà plus discuter. Les regards de tous ses élèves pèsent, et il ne désire que rentrer et ouvrir ce cabinet réservés aux grandes occasions.
Parfois, c'est le cabinet des solutions.

Amadis ne s'essouffle pas. C'est beau la jeunesse, la vigueur et la ténacité. Hadrian sent également le manque de ces qualités depuis qu'il a franchi les portes de Miskatonic.
Et un rire lui échappe, jaune ou nerveux, à ce stade le Byrd ne veut même pas savoir.

- Ah ! wow... Je ne l'avais pas vu lui...

La deuxième tragédie.
Les mots coulent comme une fuite d'eau bien véner venant de l'étage du dessus, inarrêtable, hors de contrôle.
Cela devient personnel.
Trop à son goût. Hadrian Byrd reste silencieux, appuyé à son bureau. Pas d'autres choix que de ne choisir de ne plus rien ressentir, sinon ce serait couler à nouveau. Tassée au fond, loin, la plaie toujours béante de ses échecs, du deuil, où se déverse le sel d'Amadis Cervantes. Las, il attend le point final. Ah, il attend même  la fin du cours pour pouvoir s'enfuir quand tout le monde aura le dos tourné ! D'ici là, Hadrian tient, bien que chancelant.

- Si vous êtes si intelligent que cela, Cervantes, de grâce, ne venez que pour les examens !

Amadis ne semble plus vouloir lui prêter attention, alors Hadrian en profite pour reprendre son cours. Il sait, il l'attend, la prochaine remarque. A chaque prise de parole, le professeur retient son souffle. Il jette un coup d'oeil à l'horloge.
Moins de dix minutes avant d'être libéré.

Malgré tes provocations, Hadrian reste calme : un rire jaune, une fatigue grandissante dans ses yeux, peut-être même du choc. Tu as visiblement tapé dans un – non, deux - sujets sensibles en évoquant les phrases assassines d’un article : phrase qui va trop loin, même pour toi.

Un instant de tristesse pour Hadrian : c’était un peu dur de ta part, non ? C’est une tragédie que tu as également vécue ; et les échecs, tu connais ça.

Sauf que toi, tu n’avais pas de fortune sur laquelle retomber après tes échecs ; tu n’avais pas de ressources sans ta mère, qui elle-même n’avait rien parce qu’elle était payée un petit salaire de femme de ménage. Ce que tu as eu, tu as bossé pour l’avoir :  et même ce qu’ils ont tentés de te prendre, tu le reprendras.

Et c’est pour ça que la tristesse part sans peine : parce que, malgré les tragédies, tu te dis qu’ils auraient pu faire quelque chose. Aider ta mère, t’aider toi : ou simplement ne pas tenter de ruiner tes chances avec Faye par pure haine de ta situation.

Tu leurs montreras : tu le montreras à Hadrian.

- En vrai ? C’est une bonne idée. J’viendrais que pour les examens, ça m’laissera plus de temps pour trainer avec ta nièce. On « révisera » ensemble, si tu vois c’que je veux dire.

Tu emphases le « révisera », t’assurant de bien faire passer le message que tu ne parles pas de révisions.

Quelques rires contenus dans la classe. Tu as un sourire fier sur les lèvres, les yeux posés sur lui tandis que tu es toujours avachi sur ta chaise.

Il ne reste plus que quelques minutes de cours : ça sera peut-être ta dernière provocation du cours. La plus personnelle, peut-être ; la plus embarrassante, et malheureusement pour lui, la seule factuelle. Faye et toi vous êtes retrouvés ; et avec cette affection perdue, les vagues d’une adolescence pas tout à fait finie, le contact a été renoué – mentalement, et physiquement.

Bon, c’était juste un bisou ; admettons.

Mais ça, il n’en sait rien.

La colère qui monte sans prévenir, qui tend le professeur soudainement. Mis à part les rire, c'est silencieux. Amadis a osé mêlé Faye à toute cette histoire.
Et cette fois, plus de fatigue.
Le professeur se lève, réclame de sa posture droite l'autorité qu'il laissait couler depuis le début des interventions du blondinet.

- Ca suffit, Cervantes. Manquer de respect à ton professeur et interrompre le cours à répétition est une chose -qui t'attirera déjà des ennuis-, mais tenir des propos déplacés à propos d'une autre élève, maintenant ?

Ca se contient, mais le poing aurait adorer gâcher sa mâchoire et ses années d'orthodontie. Y a que les mâchoires serrées et le regard noir pour trahir tout ce qui bouillonne en lui. Le passage à l'administration pour souligner le comportement déplacé de cet élève était déjà prévu, mais là, il se fait urgent.

- En auditoire ?

Amadis prouve une nouvelle fois à Hadrian qu'elle mérite quelqu'un qui parle d'elle avec plus de respect, sans l'instrumentaliser pour blesser un membre de sa famille. Quelqu'un avec d'autres armes que mettre des images vicieuses dans l'esprit des élèves et les faire rire grassement.
Ah, l'envie pressante d'appliquer ce qu'il apprend aux cours de boxe, l'obligation de rester derrière le bureau et de ne pas céder aux pulsions.

- Le cours est fini, vous pouvez partir.

Le ton est grave, sec.
L'allure sévère et droite, fixant Amadis pendant que les élèves hésitent, puis rangent leurs affaires.
Le chapitre n'est pas fini, mais tant pis.
Le spectacle, lui, est fini.
C'en est fini de Cervantes dans son auditoire. L'étudiant lui a donné une bonne raison de presser l'administration à agir.

- Et vous, Cervantes, je vous reverrez à l'examen seulement.

Hadrian se lève, s’énerve : et ça te fait sourire.

Il a donc fallu ramener Faye dans la discussion pour avoir une vraie réaction de sa part.

L’autorité qu’il réclame par sa posture, par ses mots, tu ne lui laisseras pas : même pas une miette. Tu lèves les épaules – expression faussement étonnée sur le visage. Tu n’as fait que dire que tu allais réviser avec elle : bonne chance à lui pour réussir à te faire être sanctionné pour ces propos.

Tu auras réussi à le pousser à bout : à lui faire finir le cours en avance tandis que les élèves commencent à repartir. Tu t’étires, tu attrapes ton sac, tu prends ton temps pour que la plupart des élèves sortent. Tu n’as pas besoin de ranger tes notes : tu n’en prends pas.

- Mh mh. Pas de souci.

Tu te lèves paresseusement : regardes tes messages sur ton téléphone, baille un coup avant de t’avancer vers la sortie, passant devant le bureau du professeur … Pour t’arrêter devant lui.

- Il faut pas t’énerver comme ça, tu sais. C’était pas méchant, je l’aime beaucoup ta nièce.

C’était méchant, si.

Mais …

Ce n’était pas non plus faux.

Un délicat baiser sur la joue sur la banquette d’un café : vous avez échangés longuement, et votre relation était officielle à l’époque. Aussi loin que ça te concerne, tes sous-entendus sont factuels.
Les tentatives de sa famille de faire échouer cette idylle ont échoués : et c’est bien le privilège du vainqueur que de rappeler sa victoire – aussi Pyrrhique soit-elle – à un aussi mauvais perdant. Elle te plaît ; tu lui plais.

Qu’il l’accepte ou non.

- J’te dirai bien de lui faire un bisou de ma part, mais j’le ferai moi-même. On s’revoit à l’exam’.

Et d’un pas pressé, tu repars vers la sortie.

Est-ce que c’était intelligent ?

Non.

Mais, putain, qu’est-ce que ça fait du bien.

Ce n’est peut-être pas ce que ta mère aurait voulue, non : mais c’est la vengeance qu’elle mérite, mépris pour mépris.

Exister ; même par la haine.
Ils se souviendront de ton nom. De gré ou de force.