Aussi miséreux fut-il, Bellion, incapable de détacher ses yeux d’un ouvrage à l’illisible griffe.
Depuis qu’il s’était évertué à se procurer le manuscrit sans titre, ayant répondu à un appel mais pas celui de l’avarice, le dernier né d’Alizia De Manincor eût été bien impuissant à se défaire de la monomanie.
Le temps s’écoulait sans scrupule, engloutissait la chaleur des bougies et la lueur du soleil.
Directeur du Museo était ainsi perdu entre les créations insipides à contempler l’unique objet qu’il pouvait pleinement qualifier d'œuvre, entre ses mains.
Si bien qu’il en eût oublié la présence sordide des engeances de la nuit dont l’ombre était venue lécher le labeur des artistes.

Brusquement, l’appui de ses doigts sur les reliures avait fait s’entrechoquer les pages dans un retentissement sourd.
Un monde entier avait été scellé.
L’univers s’était retracté pour n’offrir de grâce qu’aux deux individus.
Une voix retentit, suave, pour poursuivre après la question du porteur de mort.

Quelle discrétion, je n’avais pas remarqué votre présence. Comme c’est excitant de recevoir pareille violence au milieu de l’immobile. Suis-je en mesure de vous admirer ou bien l’enfer est-il votre seul bénéficiaire ?

Son regard s’était déposé avec hâte, cloisonné derrière le verre des lunettes, sur la silhouette de son invité de fortune.
La providence avait placé cet être sur son chemin et Bellion ne saurait identifier par quelle habileté il était parvenu à éveiller son intérêt, mais il était désormais en mesure de le considérer comme un allié de fortune.
Une telle créature pouvait-elle réellement faire preuve de désaffection pour les desseins du De Manincor ?

Alors quoi, très cher ? Vous n’imaginez tout de même pas massacrer mes semblables à la manière des Byrd ? Grand Dieu, no- Oh. Devrais-je éviter les références à la divinité ou au contraire invoquer le nom de la vôtre ? HAH. Que ferait un gentiluomo dans ma situation…

Avant de lui laisser le temps de l’interrompre, Bellion se tourne dans sa direction en claquant des talons.
Le sourire à son faciès, fade, contrastait avec l’excentricité qu’il s’efforçait ((ou non ?)) de témoigner.

Puis-je pour offrir un rafraîchiss- zut, je ne devrais pas avoir ça sous la main. Un siège, peut-être ?

Les lèvres de l’ombre De Manincor s’étirent dans une mine rieuse.
Stolas n’était pas adepte des longs discours, vraisemblablement.
Et cela importait peu, après tout, Bellion était de ceux qui préféraient s’écouter parler.
Lorsque son interlocuteur adopte une position dénuée de tout raffinement, à même le seul, l’humain se rassure de sa prise de position.
S’il se cachait autant de brutalité dans une si parfaite servilité alors il avait bien fait de confier la disparition de ses adelphes à cette bête.

Réclame simplement un ordre et bien malheureusement pour lui ((pour eux ?)) Bellion n’était tout simplement pas en mesure de le lui confier.
Le sujet Mama était un dossier épineux et quand bien même il était autrement plus simpliste de s’en débarrasser ou de la contraindre par la torture à lui révéler tous les secrets de leur famille, son dernier né était incapable à l’éliminer de sang froid.
Restait une pointe d’affection pour elle, enfouie dans sa carcasse sordide.
C’était fâcheux et ils devaient tous deux - Bellion et Stolas - s’en accommoder.

Comme je l’ai déjà évoqué, très cher, vous brûlez les étapes. Je ne doute pas que l’idée de vous repaître de leurs chairs puisse éveiller quelques obsessions, mais je vous demanderais de vous contenir.

Sa tête bascule sur le côté avec un air candide.
Bellion évoquait avec une telle désinvolture le massacre de ses proches que l’on pouvait raisonnablement se demander s’il avait un jour éprouvé un sentiment d’appartenance à cette famille.

Premièrement, gardez en tête que deux femmes de cette famille sont intouchables jusqu’à nouvel ordre. Evidemment, ma génitrice : Mama. Et puis ma nièce : Sélène. Pour ce qui est du reste, lorsque j’aurais suffisamment préparé le terrain, vous pourrez vous en donner à cœur joie.

Lève les yeux au ciel.
Y’avait-il qui que ce soit d’autre de valable dans cette fratrie ?

J’y pense. Bien que vous n’ayez pas l’air de quelqu’un de particulièrement lettré, si j’ose dire, vous y connaissez-vous en langage ancien ?