Elle avait redoutée ce moment, mais il fallait bien qu'elle confirme ses doutes.
En poussant le portail de l'orphelinat, Saoirse se remémore des jours où elle avait appris à voir la vie différemment avec Maria. Sans cet endroit-là, sans sa présence d'esprit, elle n'en serait jamais arrivée là où elle en était, Valet de l'Arcane du Pape.
Est-ce que ça ne faisait pas sens, de retourner à la source ?

Il y avait quelques enfants qui étaient là, certains la reconnaissait. Elle essayer de passer assez souvent les voir. Elle leur avait ramené des chocolats ; elle en achetait des gros paquets pour leur faire plaisir. Elle faisait attention à ne pas les gaver, elle ne voulait pas leur donner de bonnes habitudes, seulement des sourires.

Quelqu'un lui fit savoir que Maria l'attendait à son endroit habituel, et Saoirse s'empressa de l'y rejoindre, frappant à la porte avant d'entrer.

Bonsoir Maria. Comment vas-tu ? Je t'ai apporté du thé. Un ambassadeur est passé au bureau et ne jurait que par ça... Je me suis dis qu'il fallait que tu l'essayes.

Elle venait avec une offrande, comme on en offrirait à une divinité.
C'était un peu comme ça que Saoirse voyait Maria, après tout.

La question la prend de court, et la voilà gênée en rougissante, alors qu'elle n'avait rien à se reprocher.

Mais enfin... Pas du tout... Et avant que tu me dises "c'est ce que tu dirais si tu étais enceinte", je t'assure que c'est impossible que je le sois. Et même si je l'étais... Est-ce que je n'ai pas l'âge pour les gens comme nous ??

Les Regeneratios mourraient tôt et faisaient des enfants jeunes. Il y avait des exemples disséminés partout dans l'organisation. Il y en avait tout un tas dans cet orphelinat aussi. Elle avait beau ne l'avoir jamais dit à Maria, mais Saoirse ne voulait pas avoir d'enfants. Elle aurait trop peur de ne pas être à la hauteur, et de devoir les laisser ici, entre ces murs, si elle devait échouer.

Je ne suis pas comme tes fils tu sais, je ne viens pas te voir uniquement quand j'ai fais une bêtise !

C'est une petite pique, mais elle sourit, Maria sait qu'elle fait de l'humour. D'autant plus que l'un de ses fils était Soren.

Je viens te voir car j'aurai besoin de conseils... C'est à propos de mes rêves, récemment. Enfin, un seul, récurrent, plutôt.

Elle hésita. Entre temps, la bouilloire sifflait.

Je crois que je voulais éviter qu'on ait cette conversation.

Que ce soit la mention de Soren ou Andrea, le rouge colore encore plus le visage de Saoirse.

Ah non !! Soren est comme un frère, ce serait trop étrange. Quant à Andrea... Je l'apprécie beaucoup mais pas de cette façon-là... Et je pense que lui ne me calcule pas non plus de cette manière alors... Rassure-toi, ou pas, ce ne sera pas de moi que tu auras tes premiers petits-enfants je pense...

A sa connaissance, Soren et Ellair n'avaient personnes en vue non plus, alors elle n'était pas bien certaine de si ce jour arriverait bientôt. Si ça ne tenait qu'à son amour pour Maria, elle lui aurait déjà fait des petits-enfants, parce qu'elle savait, malgré son propre déni, que l'éreintement était proche. Mais elle n'avait pas le courage des autres pour faire cela seule.

Et quand elle mentionne le conseil des souverains, Saoirse hoche la tête.

Soren m'en a parlé un peu, oui. C'est la première fois que Mens se manifeste à moi, alors je prends son message très au sérieux. Mais...

Elle regarde Maria. Son sourire la réconforte, pourtant, elle hésite encore à vouloir connaître son avis sur la question. Elle n'était pas sûre d'aimer la réponse qu'elle lui donnerait.

Dans mes rêves, il y a un femme endormie, allongée dans l'herbe. Tout est paisible... L'endroit, l'ambiance, le visage de cette femme que je ne reconnais pas, mais qui me semble familier. Et quand je m'approche pour la réveiller, j'ai ce sentiment d'angoisse. Je n'arrive pas à la réveiller. Quelque chose... ou quelqu'un m'en empêche. Mais il n'y a personne d'autre que cette femme et moi.

Saoirse prend la main de Maria entre les siennes.

Ce n'est... pas toi, cette femme, n'est-ce pas ? Ce n'est pas... l'Impératrice ?

Elle retient son souffle.

Bien que les paroles de Maria restent sinistres, Saoirse fut au moins rassurée de savoir que son rêve n'impacterait pas au restant de sa vie. Son emprise se détend autour des mains de sa bienfaitrice, en soupirant de soulagement.

S'il y a bien une personne qui arriverait à dépasser le seuil de cette espérance de vie, c'est toi. Qui sait...

Saoirse espérait un peu plus chaque jour, et elle profitait encore des instants où Maria était encore là. Vers qui pourrait-elle se tourner pour chercher des conseils ensuite ? Certes, une autre Impératrice prendrait sa place. Mais ça ne sera jamais la même chose.
Elle songe au fait que c'est la première qu'elle l'entend mentionner les signes de l'éreintement. Dans le déni, elle ne veut pas en savoir plus. Elle ne veut pas angoisser de la perdre aussi à tout instant. Elle ne supporterait pas un autre décès cette année.

Pour l'heure, tant qu'elle pouvait encore se confier et profiter de sa sagesse, Saoirse acquiesça.

Je me suis dis la même chose. Que ça ne correspondait à aucune arcane que je connaisse. Quant à mes efforts... Que veux-tu dire ? Qu'est-ce que je suis censée comprendre ? Je pensais déjà donner tous les efforts possibles. Je ne sais pas quoi faire de plus...

Quel message Mens voulait lui transmettre ? Et pourquoi aurait-elle peur de réveiller cette femme ? Est-ce qu'elle représentait un danger ? Ou bien que quelqu'un était en danger ?

Saoirse hésita. Elle essaye de reproduire les images de son rêve aussi fort que possible.

Je ne pense pas. C'est de l'herbe tout ce qu'il y a de plus normal, dans une plaine tout ce qu'il y a de plus normal. Le décor ne donne pas tellement plus d'indices. Quant à la femme... Je suis persuadée que c'en est une. Je veux dire... C'était une figure bienveillante. Presque maternelle. Je pensais y voir ma mère, ou toi.

Quand Maria mentionne une arcane perdue, Saoirse a l'air visiblement mal à l'aise, au point que l'Impératrice n'a pas besoin d'utiliser ses capacités pour le savoir. Et peut-être que cela faisait écho à ce qu'elle ressentait dans ses rêves également.

Je devrai me réjouir, une arcane perdue ne peut qu'être une bonne nouvelle pour nous n'est-ce pas ? Une chance de plus de compter quelqu'un de puissant dans nos rangs. Mais est-ce que j'en suis vraiment digne...?

Elle récite le nom des arcanes perdues, par coeur, comme si c'était une leçon qu'ils apprenaient petits.

Le Jugement, le Diable, le Pendu, la Roue de la Fortune. Ce sont les arcanes que nous n'avons plus aujourd'hui. Et elles sont toutes... Enfin. Des connotations à double tranchant. Puis... Si elles étaient perdues, c'était pour une raison, n'est-ce pas ? Est-ce que tu en sais plus sur ce sujet ?

Peut-être que Saoirse serait plus à même de communiquer avec cette arcane, si elle arrivait à en cerner les raisons de sa disparition.