Nintendo résout tous les maux

Arkham, 2005.

Une autre journée passée à s'emmerder en classe, un autre 7h à 15h perdu dans l'inutilité désastreuse d'un système dépassé. Et il faudra recommencer encore demain. Et après-demain. Pendant encore deux ans. Fuuuuuuuuck

Lawrence franchit la porte de la maison avec tout le désespoir que traine un adolescent atteint par le désenchantement du monde. Le sac a dos s'écrase au sol sans cérémonie et les converses noircies au marqueur indélébile sont abandonnées à l'entrée. Chacun de ses pas est plus lâche que l'autre alors qu'il se dirige droit vers la cuisine. Post-it sur le frigidaire. Encore seul pour la soirée. Su-per. Un coup d'œil à l'intérieur. Le spaghetti italien dans un tupperware lui inspire un vague sentiment de dégoût, plus par habitude et ennui que réelle répulsion. Ils pourraient pas manger autre chose de temps à autres ?

Frigo refermé. Les journées ne sont plus les mêmes sans son adelphe au retour de l'école. Le vide lui semble tellement pesant, tellement ennuyant. Blasé, il suppose qu'il ne lui reste qu'à s'enfermer dans sa chambre et ne pas faire ses devoirs. Ses plans sont (heureusement) contrariés quand il entend la porte d'entrée s'ouvrir à nouveau. Sa tête apparait derrière l'ouverture de la cuisine pour voir qui arrive.

« Andrea ? Qu'est-ce que tu fais là ? »

Qu'est-ce que tu fais là si tôt, traitre.

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To the good old days

La porte s'ouvre et il est impossible de rester discret : déjà on le fustigeait ! Lui, l'innocent arrivant, l'ange portant la nourriture sainte, le délivreur des devoirs -on lui demandait ce qu'il faisait là !
Pour être honnête, Andrea comprenait la réaction. L'appartement était trop densément peuplé pour étudier à sa convenance ; il préférait la bibliothèque, où il se nourrissait de sandwich de distributeurs, jusqu'à tard le soir. Ce n'était pas rare qu'il ne croise pas grand monde (levé trop tôt, rentré trop tard), si ce n'était via l'intermédiaire de quelques post-it sur le frigo et sur la table.
La question, alors, semblait presque accusatrice, et cela lui fit mal. Oh, heyyyyyyyy ! Ca va ? C'était bien les cours aujou-- ah, non, attends, mauvais début de conversation. Il savait que toi et l'école, ça faisait vingt-cinq. C'est juste que, maintenant, c'était toute sa vie : il ne pensait plus vraiment à autre chose qu'aux amphithéâtre, aux powerpoint et cette saloperie d'anatomie. Alors. Maman m'a envoyé un message et m'a dit qu'elle et Pa seront pas là ce soir. Et donc, je me suis dit, ça serait pas parfait pour faire une bonne lasagne à deux ? Il ment. Tu ne le sais pas, mais c'est votre mère qui lui a dit ça fait un moment que tu n'as pas passé de temps avec ton frère. Andrea n'en dira rien, parce qu'il se doute bien de la réaction qu'une telle annonce recevra. Il ne veut pas te faire passer pour un fardeau, pour la simple raison que tu n'en es pas un, pour la simple raison qu'elle avait raison et que la seule coupable, c'était son absence à lui. Et je suis libre aujourd'hui, parce qu'il y a partiels la semaine prochaine, donc je suis déjà allé chercher tous les ingrédients. Ah ! Trop fort, ton frère, je sais, merci. Il ouvre le frigo, y place les ingrédients tout frais. Ew, des spaghetti .. Oh, il reste du riz, on peut faire des arancini aussi ... Il parle la tête dans le frigo, comme si de rien n'était -comme si tout était normal, comme avant quand il avait encore le temps.
Enfin ! On y est pas encore, il nous faudra maximum une heure pour faire les lasagnes. Tu veux faire quelque chose en attendant ? Je dirais rien si tu fais pas tes devoirs. De toutes façons, votre mère savait déjà que ça arriverait en t'envoyant ce message.

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En vrai, ça lui fait plaisir de voir son frère. Surtout depuis le temps. Loin de se douter de la machination, Lawrence apprécie sa chance. Ça ne pouvait pas mieux tomber il suppose. Il n'avait vraiment, vraiment pas envie de manger du spaghetti.
Et tu lui avais manqué, aussi.

Il laisse la place devant le réfrigérateur – il n'est pas l'adulte ici et la nourriture ne relève pas de son autorité. Lasagnes ce sera. Great. Ça l'inspire déjà plus que l'alternative des restes. Mais ce qui lui procure le plus de joie, c'est qu'Andrea décide qu'il n'aura pas à faire ses devoirs – enfin, plutôt qu'il ne dira rien s'il ne fait rien.

« T'es sérieux ? »

Un regard de biais, pour juger de l'honnêteté de son offre. Andrea, élève modèle, qui donne un coup de pouce à son adelphe délinquant ? C'est trop beau pour être vrai. Ça devrait même être louche. Mais Lawrence n'a pas l'intuition de remettre en question la beauté de son rêve. Il s'anime alors devant les mille possibilités qui s'offrent à lui – retrouve un peu de l'enfant enfoui pas si loin en lui.

« T'aurais envie de faire une partie de Smash ? Ça fait une éternité que t'as pas touché au Game Cube, j'parie que je te défonce avec Kirby ! »

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Face à tes doutes, il rit -il rit en renversant la tête. Ses cheveux, plus longs que les tiens, ondulent au rythme des sons qui sortent de sa gorge. Il y a quelque chose de beau, comme ça, non ? Il est bien. Il a l'air heureux. Grave ça dans ta mémoire, Loren.
Oui, je dirais rien -c'est pas pour autant que je valide hein ! Et on peut toujours les faire ensemble pendant que la lasagne cuit, mais quelque chose me dit que ça ne te branche pas trop. Il referme le frigo, hausse des épaules comme s'il était un grand frère cool et pas juste un grand frère inexistant.
Les mains sur les hanches, il soupire de manière théâtrale. Oui, évidemment qu'il allait se faire battre à plates coutures face à toi, Lawrence -il ne sait même plus quel bouton est lequel sur la manette ! Ahaha, parions plutôt sur --allez, sur une victoire de ma part ? Ca me paraît plus raisonnable. Je sais même plus comment on joue ... Il grommelle quelque chose comme ça alors qu'il se dirige vers le salon et s'installe dans le canapé, te laissant la tâche de tout mettre en place. C'est qui déjà qui est recommandé contre Kirby ? Innocemment, bien sûr, comme le grand sourire sur son visage.

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Le secret mais pas la validation gnagnagna ça revient du pareil au même pour Lawrence, trop heureux de s'échapper aux obligations scolaires.

« Non vraiment sans façon, allons jouer plutôt !! »

Faire ses devoirs avec son frère. Berk. Andrea pourrait certainement lui donner un coup de main, mais il n'a surtout pas envie de se faire faire la morale, en prime. Ça l'énerve de voir que c'est si facile et si évident pour d'autres alors que lui… ben lui il s'en fout en fait. Il ne veut même pas que ça devienne facile. Il serait quoi, un nerd ? Non merci.

Plus vite que le momentum pour peut-être s'installer à la table de la cuisine et ouvrir ses devoirs, il se jette au salon pour ouvrir la télévision et la console. Assis au sol, manette dans les manettes, il tend la seconde à Andrea avant qu'il ne songe à s'échapper.

« Peu importe qui tu choisis, tu sais que je vais te battre ! »

Le bonheur. Être meilleur que l'enfant prodigue en un aspect. Il faut au moins lui laisser ça. Il l'aime beaucoup Andrea, mais parfois, c'est difficile de le regarder sans voir là où il échoue lui-même. Ça lui prend alors beaucoup de courage pour laisser place à sa curiosité – réelle – sans craindre de s'effacer lui-même.

Peut-être parce que ce ne sont qu'eux et qu'il n'y a pas de parents pour élever un en modèle.

« Du coup tu t'amuses bien à la fac ? »

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Bien sûr que tu refuses -il n'en attendait pas moins de toi (ou peut-être, pas plus -mais n'y pensons pas). Alors allons, allons jouer, oublions les choses qui font grincer des dents, oublions les devoirs les attentes les demains étranges, oublions les absences les pâtes froides les silences dans la maison, oublions les comparaisons les diplômes mis sur le frigo les photos plus très droites que plus personne ne remet à leurs places.
En prenant la manette, Andrea capitule. De toutes manières, il n'avait pas prévu de se battre. Ah ! On va voir. L'écran s'allume, il ne dit rien pendant que tu t'affaires à tout organiser -vas-y ! Le temps qu'il regarde sur son téléphone qui est le meilleur choix pour battre Kirby ...
Eh, y a pas trop la place pour le fun, hein. Normal, en un sens. Mais ça va, j'ai mon groupe de rats de bibliothèque, et j'apprends plein de trucs passionnants -ou marrant parfois ! Tu savais que le hoquet, on appelle ça le myoclonie phrénoglottique en langage savant ? Et, en fait, on a le hoquet quand le nerf phrénique est irrité. Et, ce nerf, il remonte très loin dans l'arbre phylogénétique, les poissons l'ont aussi ! Ils l'utilisent pour la ventilation branchiale. C'est incroyable, non ?! Alors qu'il trouve la réponse sur son téléphone, il le verrouille à nouveau et le lâche sur le côté du canapé. J'espère tu pensera à moi la prochaine fois que t'as le hoquet. Diversion réussie.

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L'écran de chargement apparait. Lawrence écoute d'une oreille aussi attentive que possible le monologue d'Andrea – c'est bien la moindre des choses, c'est lui qui l'a provoqué ! Mais faut dire qu'il s'attendait un peu à la première partie de la réponse. Pas de fun. Des rats de bibliothèque. Oui, ça ressemble à son frère tout ça et l'image globale qu'il a des études. Sans façon. Par contre, Andrea choisit bien son anecdote scientifique, il doit le lui accorder. Lawrence fronce les sourcils, absorbant l'information comme il le peut. Et il reste figé comme ça jusqu'à ce que l'écran d'accueil apparaisse et les invite à jouer.

« Attends, on est des fucking poissons ? »

La distraction est efficace, Loren est confus et il ne voit pas du tout l'astuce d'Andrea. Il en oublie même qu'il ne devrait pas utiliser de gros mots dans la maison mais bof. Y'a d'autres chats à fouetter – et un titre de champion à défendre.

« Anyway t'es prêt ? »

Personnage sélectionné.
C'est pas son savoir de bibliothécaire qui va l'aider à gagner ça non !

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La musique démarre et déjà Andrea bascule cinq ans en arrière -ah ! peut-être même plus ! Il ne sait plus, son cerveau ne fonctionne plus que pour les cours, pas pour les choses tangibles comme cela -avec une importance différente, plus diffuse, dont il devrait théoriquement se rendre compte plus tard, mais pas dans cette vie-là où il s'arrachera les émotions comme s'il s'agissait de virus mortels.
Ta conclusion est inédite. Andrea ne sait pas comment tu as fais pour arriver à celle-ci, et il hésite entre rire et hurler de désespoir. Il se contente de lâcher un soupir très très long. Mais non, pas du tout ! Ca veut dire que l'ancêtre commun, entre nous et les poissons, avait ce trait et qu'il a évolué de manière différente jusqu'à aujourd'hui, d'après les forces sélectives, c'est-à-dire les mutations, les flux et migrations, la sélection naturelle et la dérive génét---- Bien sûr que tu n'écoutais pas, ou alors que, même en voulant écouter, cela ne parvenait pas à ton cerveau ; on t'avait dit qu'on voulait jouer, et il était venu le temps.
Les mains sur la manette, Andrea choisit Cloud. Une unité solide d'après internet, et puis une nostalgie d'enfance qui collait à l'ambiance de cette après-midi. Allez, vas-y, montre-moi donc tes combots de maître. A défaut d'être bon en cours, tu pouvais au moins être bon ici.

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Un ancêtre commun aux poissons. Mais pas un poisson. Que des nuances superflues pour éteindre la magie. Lawrence préfère sa version, au moins, cela a l'avantage de frapper l'imaginaire et susciter les réactions – même s'il ne s'agit que du désespoir de son frère. Il rigole, accepte de faire un clown de lui-même l'espace d'un instant. Au moins, il existe et tout est si beau entre eux en cet instant précis. S'en souviendra-t-il ?

« Aller c'est parti ! »

Kirby choisi, comme prédit. Le personnage le plus nul juste pour prouver une leçon. C'est pas le build qui compte mais l'expérience et la volonté de faire souffrir l'autre. Décompte. 3-2-1 et Kirby fonce – et avale Cloud dès que l'occasion se présente.

« Ah ! Got you. »

Un sourire diabolique au visage. Il n'y a aucune hésitation alors qu'il fait foncer Kirby droit dans le vide pour recracher Cloud avant de retourner tout tranquillement vers la plateforme en flottant.

« Je te l'ai dit que peu importe j'arriverais à te battre ! »

La fierté totale. La joie qui déborde de son visage.
Si seulement l'instant pouvait devenir éternité.

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C’est parti, qu’il dit -et c’est vrai ! Le décompte s’affiche, Andrea tient fermement la manette entre ses mains, il est prêt -jusqu’à ce qu’il regarde le-dit objet et se rende compte qu’il ne connaît plus l’ordre des boutons. Comment ça, le carré n’était pas à droite ?! Comment ça, ça commence dans une seconde ?
Ah, qu’importe, de toutes manières dans ce jeu-là, on peut juste smash les boutons ! Il n’y a pas forcément besoin de réfléchir !
Le problème était plutôt qu’Andrea a toujours besoin d’intellectualiser les choses.
Alors sans même le vouloir, il pense aux combos qu’il est en train de faire au hasard, il veut les retenir pour les améliorer, s’essaie à le faire en croyant que ça ne le distrairait pas -il est plus arrogant maintenant que plus tard. Et, bien sûr, arriva ce qui devait arriver. La vie en moins est écrit en grand sur l’écran. C’est une évidence, et Andrea ne la niera pas.
Il ne critiquera même pas la méthode, qu’il sait petite et dans l’illégalité des mœurs -mais il s’agit de Lawrence. T’as toujours fonctionné comme ça, à la limite de l’acceptable, à la frontière de ce que le monde attend ; est-ce que c’était parce qu’il te retenait, ou parce que toi-même tu le faisais ?
Andrea rit.
C’est un son grave, qui vient de la gorge, de loin en-dedans. Oui, tu l’avais dit, et il n’avait pas douté un seul instant. Il n’a pas cherché à te donner la victoire ; tu l’as prise comme tu le devais. Il te regarde une minute de trop, avant de se re-concentrer sur l’écran. Il ne faut plus faire semblant de perdre pour te faire plaisir, maintenant. Ouais, attends, c’est pas fini. Andrea appuie de nouveau au hasard sur les touches.

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Son hilarité est brillante. Lawrence aux anges. La victoire mordante. C'était bas, mais il fallait bien montrer à Andrea qu'il entrait dans la cours des grands – parce qu'il y a si peu de choses en lesquelles la comparaison avec son adelphe est à son avantage. C'est une vengeance douce, innocente. Une saine revanche sur l'enfance.

Sur l'écran, la boule rose demeure immobile le temps que Cloud réapparaisse. Le rire se tarit. La menace est prise au sérieux tandis qu'il regarde son frère réapprendre les contrôles du jeu.

« Continue comme ça, tu vas presque me frapper. »

Kirby saute sur place pour l'agacer. Mais c'est que ce genre de truc, ça se réapprend vite. On dirait même que c'est comme du vélo, on n'oublie jamais totalement. Une attaque mal minutée et Kirby voit son pourcentage de dégâts augmenter.

« Oooooh ok, d'accord… »

Lawrence réajuste sa posture pour mieux se pencher devant l'écran. C'est du sérieux cette fois. Les déplacements sont mieux calculés, les attaques plus ressenties – mais moins précises. Comme si ce n'était pas réellement amusant de l'écraser sous sa botte, comme si le plaisir ne se tient pas vraiment dans la victoire, mais dans l'instant éphémère

(le sait-il, que ces moments ne seront que plus rares ?)

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Andrea ne voit pas ton visage. Assis sur le sol devant lui, il ne peut que deviner les expressions aux secouements de tête, aux mouvements des cheveux, au son des onomatopées. Est-ce que tu souris ? Il t'imagine sourire. Il n'a pas besoin de voir. Il sait à quoi ça ressemble, dans les moindres détails ; il connaît ce que ça lui fait de te savoir faire cette grimace-là, il sait y déceler les sous-tons de bien de tes émotions. Non, il n'a pas besoin de voir pour savoir, plus tard ça sera pareil, mais en attendant -en attendant, il préférerait quand même te voir.
Le temps n'est pas à cela, ceci dit ! Tout est trop précieux pour le gâcher en des pensées qui auront bien leurs places plus tard, quand les souvenirs seront tout ce qu'il restera -quand la mémoire d'aujourd'hui sera floue, et que c'est en cela aussi que se trouvera sa valeur.
AhAH ! Il s'exclame alors qu'il enchaîne quelques pauvres coups et une animation encore jamais vue du personnage s'affiche (signe pour sûr que cela est bon, non ? hein ?). C'est que la barre de vie du Kirby diminue ! Mais plus maintenant, et Andrea sent bien le vent tourner : ah, sa domination ne durera pas bien longtemps. Bah alors, Lawrence ? Parce que, bien sûr, il fallait le charrier. Quel frère ferait-il sinon ?

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Oh, oh, oh. Lawrence a baissé ses grades et maintenant il en paie le prix ! Les sourcils se froncent. C'était pas prévu. Le petit kirby souffre sous les assauts et voltige dans les airs – plus qu'il ne faudrait pour maintenir l'avantage dans la partie. Et Andrea le raille. Ah ! Il le paiera.

« J'étais pas concentré, attends un peu… »

Une défaite pour ne pas s'avouer vaincu. Au grand jamais ! Il va lui montrer tout ce qu'il a perdu à ne pas jouer avec lui comme avant, à ne pas passer le temps qu'il faut devant l'écran et avec son frère. Douce vengeance dont la conscience lui échappe. Penché devant l'écran, Lawrence déploie toute sa concentration – c'est du sérieux cette fois ! Pas de troll, pas de pitié. Les combos lui reviennent au bout des pouces avec aisance, la mémoire musculaire prend le dessus sur le reste. La suite est inscrite dans le ciel : la victoire, inévitable.

« Boom ! C'est comme ça que ça se joue. »

Il jubile. On pourrait dire que c'était trop facile, mais il a bien eu peur un instant. Et il doit le reconnaitre :

« Tu t'es bien défendu. »

La seule grâce qu'il lui accorde.

« Tu veux une revanche ? »

Ou la réalité du dîner à préparer les rattrape-t-elle ?

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Bien sûr, pas concentré, mais l'es-tu jamais, Lawrence ? Ou plutôt, peux-tu l'être plus de cinq (allez, peut-être dix !) secondes ? Si oui -alors aucune excuse pour ne pas faire tes devoirs, tes dissertations et tout le reste. C'est juste que ce n'est pas le genre de victoires que tu cherches, qui font du sens, qui te donne du plaisir. Le battre, ça, ça te plaît. Te battre, ah -pas tant, pas pour ce genre de choses, et Andrea comprend alors : pas pour toi, parce qu'il lui est impossible de comprendre autre chose que cela. Sa vision est en tunnel, il n'a conscience de ce qui fait du sens pour lui, et alors même s'il sait que c'est réel, il ne comprend pas comment on peut être mauvais-e en mathématiques tant tout lui paraît simple.
Et tu gagnes -et vous savez tous les deux que c'est parce qu'Andrea n'a pas eu le temps d'étudier la meta. Ah ouais ? Comme ça ? Dis-moi plus dans le détail, vas-y, quelles touches ? Il se veut conquérant mais ne donnera pas de son temps ; il est déjà trop hautain pour ça, préférant étudier face aux jeux, et n'ayant de toutes manières pas le choix. Je crois qu'on sait tous les deux que ça ne sera pas une revanche. Il concède le point, ne va pas le chercher, n'y voit pas d'intérêt ; arrive à retenir les mots que les autres trouvent pas gentils mais qui pour lui ne sont rien d'autres qu'un avis, ou pire, un fait.
Il lance un coup d'oeil sur l'écran de son téléphone. Oui, on peut s'y mettre, et pendant la cuisson au four, on peut toujours reprendre, si tu veux tant me re-battre. Il soupire en disant cela, laisse l'agonie passer à travers son corps alors qu'il se relève doucement, pose la manette sur la table basse, et s'étire comme s'il n'avait pas bougé depuis des heures -lui qui, même dans un canapé, reste assis tout droit comme un piquet. Du coup, qui a gagné le pari ? Il préfère demander au juge Lawrence : cela serait plus fair, pour sûr

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Le rire est fier et victorieux. Lawrence est satisfait de sa manche – non, plus encore, il rayonne. Il a l'impression qu'il a réussi à prouver tout ce qu'il y avait à prouver : tu vois, Rea, ton frère n'est pas qu'un loser qui fume et qui sèche les cours. Il sait se défendre quand ça compte – quand il le décide.

« Tu me le demandes sérieusement ? C'est moi le gagnant, ne te fais même pas d'idées ! »

Un coup, léger, contre son bras pour remettre son aîné à sa place dans la hiérarchie du talent en jeux vidéo. Il a déjà le succès scolaire, les éloges des parents. Qu'il lui laisse cela.

Sa bonne humeur le met beaucoup plus en air de collaborer à l'élaboration du souper. À la suite de l'adelphe, il se lève et fait son chemin dans la cuisine. Les options discutées plus tôt lui reviennent en tête : le spaghetti (berk) ou la lasagne (ingrédients spécialement achetés par Rea). Le choix n'en est même pas un tant il est évident. C'est parti pour un repas fait sur mesure. Il saisit le sac de course et commence à en vider le contenu sur la table. Un élément brille par son absence.

« T'as pas acheté de chips ? »

Soirée entre frères et pas de grignotines ?  Ça va pas Rea ? Tu ne pensais quand même pas conquérir son cœur seulement avec une lasagne !

« J'avais vraiment envie de chips. »

Moue boudeuse qui n'attend que l'autorisation pour sortir au dépanneur du coin aller en chercher. Et quoi d'autre encore s'il parvient à convaincre son frère.