A peine son portable eût-il été enfoncé dans la poche intérieure de sa veste que le Chevalier s’était empressé de se rendre en direction du complexe Regeneratio.
Saoirse avait bien choisi son moment pour lui envoyer ce message, puisque le gérant des Épées était actuellement dans une période de vide complet, bien trop troublé et préoccupé par ses propres origines pour se débattre dans sa traque de la Bergerie.
Ce qui le rendait parfaitement disponible, raison pour laquelle il n’avait pas perdu de temps afin de la retrouver dans son bureau.

Les salutations avec le reste de ses comparses s’effectuent succinctement, peu enclin à perdre du temps dans des palabres hasardeuses, il s’était dirigé vers le bureau du valet d’un pas déterminé.
Sa main s’élève en direction de la poignée lorsqu’il s’arrête soudainement, le regard se perd dans le vide un instant.
Quelles informations avait-elle obtenue sur son père ?
Sur lui-même ?
Tout cela avait si peu été une priorité, jusque là, que Gabriel sentait le sol se dérober sous ses pieds.
Et si tout ce qu’il avait effectué jusqu’ici était vide de sens ?
Avait-il été un pion dans le jeu d’un autre pendant tout ce temps ?

Agrippe la poignée avec fermeté, chasse ses démons d’une marche en avant et pénètre dans le bureau.
Son regard s’accroche rapidement à la silhouette de Saoirse.
Il ne s’était pas annoncé ((comme une évidence)) et s’avance jusqu’à elle.
Les sens sont en alertes, plus que jamais.

Je suis là.

Gabriel en perdrait presque ses manières.
L’impatience le ronge.
Les yeux se plissent sous l’intensité des émotions.

Qu’est-ce que tu as appris ?

Prêt à se lancer à la poursuite de Solphim dans la minute qui suivait.
Ce petit jeu avait déjà trop duré.

Une forme de soulagement envahit le corps et les épaules s’affaissent.
Le soupir qui s’échappe d’entre ses lèvres est long.
Gabriel n’était pas sûr de particulièrement apprécier la relation qu’il entretenait avec son père mais il était d’autant plus sûr qu’il n’avait aucune envie de devoir faire son deuil.
Les informations affluent rapidement dans son crâne et Gabriel tente, tant bien que mal, d’en faire le tri.

Les yeux détaillent la silhouette de son père, plus musclé, comme s’il se préparait physiquement à quelque chose.
Un affrontement ?
Ou bien quelqu’un se faisait-il passer pour lui ?
Le chevalier savait que des Vesperis étaient en capacité de copier la forme des humains, cela soulevait donc quelques questions.
Sa conclusion était similaire à celle de Saoirse : s’il s’agissait bien de lui, Solphim était en plein processus de fuite.
Mais de quoi ?
De qui ?
Son père ne lui était jamais apparu comme quelqu’un qui fuyait l’adversité.

Ce que je vais te dire peut sembler stupide mais… Est-ce qu’on a des preuves différentes que son aspect physique ou bien l’utilisation de ses comptes ? Je sais qu’il existe des Vesperis en mesure de changer d’apparence. S’il avait été tué par l’un d’entre eux, cela pourrait expliquer son comportement aléatoire ?

Laisse la voix s’entendre faiblement.
Gabriel était dubitatif face à ce qui lui était présenté.

Ça ne lui ressemble pas…

Une photo prise en pleine journée pourrait dissiper tous les doutes.
Mais avait-elle été en mesure de récupérer ce genre d’élément ?

Je te remercie pour ton travail, Saoirse. Ça m’aide beaucoup.

Pointe le dossier du doigt.

Est-ce qu’il figure dans ton dossier une manière de le contacter ? Je sais que tu n’as pas été en mesure de discerner un pattern, mais il en existe forcément un, non ? Il ne peut pas juste se déplacer de manière aléatoire en permanence. Il doit forcément exister une constante.

Laisse s’écouler quelques secondes avant de poursuivre.

La société de taxi, par exemple. S’il veut vraiment cacher quelque chose, peut-être qu’il a un chauffeur de prédilection ? Quelqu’un qui l’aiderait à rester secret ?

Une pensée se perd dans les bribes d’une parole.

Piccola Italia…

Il ne savait pas son père particulièrement passionné d’art contemporain, il semblait donc peu probable qu’il dépasse tout son argent dans la boutique de souvenirs du Museo.
Pourquoi se rendait-il systématiquement à cet endroit ?
Avait-il une planque en ces lieux ?
C’était en tout cas un bon endroit pour commencer ses recherches.

A la requête de Saoirse, Gabriel était contraint de répondre négativement.
Il n’était pas convaincu de pouvoir conserver son sang froid s’il venait à entrer en contact avec l’un des responsables de la disparition de son père.
Pour ce qu’il en savait, ce Iggy Berry pouvait tout aussi bien conduire Solphim dans la contrainte.

Désolé, si tu as les coordonnées de ce type, tu devrais peut-être t’en charger toi-même. Tu es sûrement bien meilleure que moi dans ce domaine. Du reste, je risquerais de l’envoyer voler dans une baie vitrée à la première provocation.

Tristement honnête.
Pourtant, Gabriel avait désormais une piste.
Cela signifiait qu’il n’avait aucune raison de rester les bras le long du corps en attendant que Saoirse s’occupe de retrouver son père à sa place.

Je vais enquêter du côté de Piccola Italia. Si c’est la seule constante géographique, ça vaut le coup d’y faire le pied de grue. Avec de la chance, je pourrais même tomber sur lui directement.

Main tendue en direction du bureau de Saoirse.
Ne se serait pas permis de lui subtiliser le fruit de son travail.
S’il lui était parfaitement reconnaissant pour tout ce qu’elle avait accompli jusqu’ici, Gabriel restait désireux de régler ça avec son père directement.

Est-ce que tu peux me confier le dossier ? Je vais devoir m’absenter du bureau pendant quelques temps.

Sans surprise, Saoirse avait déjà commencé à organiser l’interrogatoire futur.
S’il avait déjà le sentiment que confier cette tâche à sa comparse était la bonne solution, le voilà assuré de cette décision.
Pourtant, l’esprit du chevalier voyageait déjà en dehors du bureau.
Il n’avait plus qu’une hâte : transmettre sa demande de congés à Léandre afin de pouvoir complètement s’impliquer dans sa mission.
Une semaine devrait être suffisante, mais Gabriel reste sur la réserve de devoir éventuellement s’absenter plus longtemps.

Les questions de Saoirse sont légitimes, mais le jeune homme n’était pas très enclin à en dire plus.
Premièrement parce qu’il ne voulait pas prendre le risque de l’inquiéter plus que nécessaire ((peut-être qu’il ne s’agissait que d’un malentendu entre son père et lui))
Deuxièmement parce qu’il n’était pas sûr, lui-même, de l’objet de sa quête.
Je me pose des questions sur mon nom, sur mes origines.
C’était une bien minable façon de mettre en scène ses craintes.
Certainement, aussi, que cette mission lui permettait de se détourner un instant - et peut-être pour le mieux - de son obsession pour la Bergerie.

Je n’en suis pas sûr.

Sa main se dépose sur le dossier avant de s’en saisir.
Adresse une œillade curieuse aux feuilles lorsqu’il ouvre brièvement ce dernier.

Une intuition, peut-être. Rien de très tangible. Il y a aussi l’éventualité que je fasse fausse route.

Place le dossier sous son bras gauche.
Son regard se dépose sur Saoirse.

Je ne sais pas comment te remercier. Pour tout ça.

Le Chevalier tourne les talons pour faire face à la porte.

On reste en contact.

Un geste de la main lui est adressé pour la saluer, une redite du café dans lequel leur alliance avait commencé.
Gabriel quitte ensuite le bureau, son téléphone à la main.
Déjà son répertoire indiquait le nom de Léandre.
Je vais devoir m’absenter du bureau pendant une bonne semaine.