The one screaming and the angel of death.

Elle avance dans la pièce, mais ce n'était pas quelque chose de prévu.
Andrea se plait à penser qu'elle n'aime pas prendre les opportunités hasardeuses ; elle préfère (c'est plus noble) travailler pour les obtenir, ouvrir les portes grâce aux clés et non pas à la tricherie. Oui, l'idée lui sied, puisqu'elle représente son dur travail pour Mens, mais ce serait mentir de dire que c'est l'unique vérité derrière les succès d'Andrea. Alors, elle avoue difficilement, dans ce débat mental dont personne d'autre n'est témoin, qu'il faut parfois lâcher prise. Accepter, en un sens, les hasards que Mens mettait sur sa route.
Caenis était un être singulier, et Andrea savait jouer à des jeux dangereux en restant fidèle à leurs entrevues -en en gardant le secret, à tomber aussi bas que d'avoir mal au cœur, au souffle. Les signes étaient évidents : il fallait que cela cesse.
Il fallait que cela cesse mais, avant toute fin, il fallait savoir faire tout ce que l'on pouvait faire.
C'est en visitant un patient, et en voyant le nom de Madeleine Rosenberg sur son suivi médical, qu'Andrea décida de saisir sa chance. Elle ne demande à personne où la trouver (cela serait suspect), préfère se baser sur ce qu'elle sait (son profil sur le réseau interne de l'Université) et sur ce que le monde sait (les coupures de journaux sur l'émérite famille humaine). Ce n'est pas si difficile, finalement, que te croiser -elle note, encore là de jour. Ah, Madame Rosenberg -bien le bonjour. Elle s'avance, Andrea, sa blouse blanche et ses cheveux nattés. J'ai l'impression que cela fait des siècles que nous ne nous sommes pas parlé. A raison : tu ne dis jamais rien lorsque Caenis parle. Comment allez-vous ? J'espère que vous n'êtes pas trop épuisée ; n'hésitez pas à formuler une demande de congés, je saurais en parler à vos supérieur-es. Andrea n'était pas encore sûre de ton intelligence -pardonne-la ! Les poupées ne sont pas connues pour leurs cerveaux. Dans une tentative de respect étrange, elle tente malgré tout la métaphore : faudrait-il t'enlever à ce suceur de sang ?

The one screaming and the angel of death.

Andrea, avant, ne croyait pas aux funérailles sèches. Il ne pensait pas, quand il était encore humain, que l'on pouvait faire face à la mort sans que personne sur Terre ne lâche une larme, un râle, un chagrin -de peine ou de colère, qu'importait ! Non, il ne croyait pas en la passivité de la mort, parce qu'elle impacte toujours les vivant-es. S'il entendait tes pensées, cet Andrea du passé, il te dirait que ce ne sont pas des pleurs dont il faut se réjouir, qu'il faut envier. Et, si c'était l'Andrea Arcane mineur qui parlait, il te dirait que, parfois, c'est bien la rage et la haine qui rendent la fin plus belle.
Mais Andrea comme elle est devant toi n'en pense plus rien. Ce n'est pas qu'elle se croit au-dessus des sentiments -elle aimerait !-, c'est qu'elle croit qu'on ne peut mesurer qu'une vie à son utilité intrinsèque. Si elle te regardait sous cet angle, que penserait-elle ? Ah, est-ce assez que de sauver des vies humaines à travers la pharmacopée et ton sacrifice de toi ? N'est-ce pas le plus grand des sacrilèges, d'être humaine et de ne pas se vautrer dans l'ignorance confortable qui te tend les bras ?
Elle ne sait pas si tu es démon ou ange, addictive ou addict, perdue ou consciente. Elle sait, cependant, que ces mots se mélangent. Le diagramme de Venn de ces idées a un index de Jaccard bien proche de 1. Je ne saurais prétendre au titre d'Ange. Je peux, cependant, faire mon possible pour mener vos souhaits à Ses oreilles. Une étoile, finalement, est une métaphore bien trouvée. Là où tu ris, elle ne répond rien. Elle ne sait plus quand est la dernière fois qu'elle a rit comme toi. Qu'est-ce qui vous empêcherait l'Eden, Madame Rosenberg ? Hypothétiquement, évidemment. Tout n'était que question de songes, de rêves -et Andrea savait combien ceux-là étaient importants.

The one screaming and the angel of death.

Elle est patiente dans son silence, dans la tombe que devient ses épaules immobiles, toutes perchées en haut de ce corps longiligne ; à côté de toi, elle a l'air vieille, et à un autre moment, elle aurait pu vainement te détester pour cela. La beauté est une chose qui s'agrippe encore à son âme, l'empêchant de filer vers d'autres cieux ; oui, elle n'est pas pure, puisque cela dépend du paradigme dans lequel on se trouve : c'est ainsi pour tous les superlatifs. Quelle est la situation de départ ? Les sujets sont-ils comparables ? Sa pureté est un devoir ; la tienne, une envie. Elle ne se voile pas la face, elle sait s'être mis des menottes de lumière, mais elle en est ravie tant que cela lui permet de faire ce qu'elle croit juste. Est-ce une si grande erreur, que d'avoir mangé la pomme ? Elle ne le pense pas, car c'est Mens qui le lui a offert. Cela dépend des règles que nous fixons.
Elle a envie de dire que les étoiles peuvent avoir tord, être mauvaises parfois, mais uniquement avec les meilleures des intentions ; c'est ce qu'elle fait ici, avec toi et avec lui aussi. Est-ce qu'il t'a raconté ? Leurs entrevues, leurs discussions ? Ou bien garde-t-il tout cela dans le confort de son cerveau vide, où résonnent ses obsessions nouvelles et anciennes -croit-il t'aimer aussi ? Et toi, qu'en penses-tu ? Pensez-vous que c'est une mauvaise chose, que de savoir ? Andrea savait qu'il n'y avait pas de réponse à cette question ; c'était même un débat inutile, digne d'une rédaction de lycéen, qui s'implanterait pour durer toute une vie dans un cerveau manquant de but. Je pense que la rédemption reste possible. Le geste que vous décrivez sonne comme une victoire laissée aux monstres, et non pas refusée à eux. Cela serait dommage. Ses mains se croisent, désormais intrinsèquement jointes, seul mouvement depuis le début de cette conversation.

The one screaming and the angel of death.

Andrea ne sait entendre les appels à l'aide ; il lui faut des choses claires, des mots simples, une résolution complète. Il lui faut, voilà, une sincérité jamais tâchée du doute, une ardeur digne d'un-e désespéré-e, une complétude aussi grande que sa confiance en Mens. Il lui faut, finalement, l'inverse des jeux auxquels tu joues, ou alors du doute dans lequel tu trouves -elle n'en sait rien, ne cherchera pas à comprendre plus que cela. Vois-tu, Madeleine, c'est bien ici l'implacable réalité des personnes de foi : qu'importe les péchés qu'on leur affuble, elles retournent toujours au pied de leur maître. Andrea sait qu'elle n'a rien fait de mal jusqu'ici. On peut la critiquer, essayer de saquer sa réputation, aller au-delà de la théorie, mais elle se trouve toujours dans le cercle des règles. Elle est trop intelligente pour le dépasser. Dans son ombre restera l'Arcane qui écartera tout doute, jusqu'à la fin de sa vie sous sa coupe.
Alors -alors, si tu ne dis rien, elle se devra de choisir pour toi. De confier l'information à Soren, à Léandre ; aux Souverains et ah, ne serait-ce pas une victoire, que de tuer quelqu'un comme Caenis ?
Je ne dis que ce que je pense être juste. Elle ne nie pas alors ce que tu crois d'elle ; n'est-ce pas une bonne chose, d'être appréciée ainsi ? N'est-ce pas vivifiant, que de se comprendre admirée ? En réalité, elle n'en sait rien puisqu'elle ne se base pas sur l'avis des autres pour agir. Non, effectivement, ce ne serait une victoire, cela l'embêterait matériellement. Mais au-delà, spirituellement, allait-elle dire, faisant presque l'erreur de lui donner une âme, nous savons sa possessivité aux choses humaines. Et par cela elle dit : il te remplacera. Il l'a peut-être déjà fait. Ses dents traînent sur bien trop de gorges ; il est avide comme peu le sont et cela, Andrea en est convaincue, l'amènera à sa perte. C'est là la faute des enfants de Materia. Je le ferais probablement, oui, en même temps que lui. Il n'y a plus que le silence, rien pour alléger cette nouvelle, le néant pour s'en défaire : elle vient, cette idée, et s'impose sur vos épaules. Il suffit d'un mot de votre part pour que ces hypothèses deviennent irréalisables. Elle ne voile ainsi pas ses intentions : Andrea n'est qu'outil, depuis maintenant quelques années. Elle se met à ta disposition, si tant est que tu ne te défera pas de ce que cela sous-entend.