Tu as rendez-vous à l’hôpital, aujourd’hui. Tu as fait transférer ton dossier à Arkham, quand tu as déménagé et le personnel t’a pris en charge, avec autant de gentillesse que la fatigue le leur permet. Ce n’est vraiment pas de gaité de cœur que tu viens en ces lieux. Ici, ça ressemble à Boston. C’est blanc, ça sent la mort, ça te met mal à l’aise. T’es pas au service des urgences, mais y a du passage.

Ce n’est pas ton premier.

Tu commences à prendre tes marques ici, mais on ne connaît pas spécifiquement ton visage. Tu as cru comprendre qu’ici, ça tourne à plein régime. Plus qu’à Boston.

Tu as déjà tendu l’oreille. Sans forcément le vouloir, mais tu as entendu des choses. L’ambiance est anxiogène, ici. Tu mettais ça sur le dos de ton expérience personnelle. Mais quand tu entends autant répéter les mêmes maux… non, pardon, mots, tu ne peux t’empêcher de te sentir mal.

Cancer… virulent...

Tu essaies de ne pas te concentrer là-dessus. Tu as déjà d’autres chats à fouetter. Mais ça tourne, sans que tu en sois entièrement conscient. Des fois, tu sens que tu as du mal à déglutir. Est-ce que ce serait à cause de la cigarette ? Cancer de la gorge ? Tu es pourtant jeune et tu as commencé cette mauvaise habitue il y a peu. Et en même temps, tu aurais mieux fait de ne jamais commencer tout court, n’est-ce pas ?

Tu as rendez-vous à l’hôpital, aujourd’hui. C’est censé concerner ton dos. Mais en vérité, quand tu te retrouves devant le médecin, tu ne peux t’empêcher de vouloir poser des questions pour te mettre un peu au parfum de ce qu’il se passe ici. Au début, on parle de toi, de comment tu te sens, de tes douleurs, de ton dos. Mais tu finis par craquer.

« Vous avez l’air fatigué, Docteur. »

Au début, tu fais une simple réflexion. Mais tu te sens pousser un peu des ailes.

« On entend des choses, dans les couloirs… c’est… inquiétant. Et je commence à avoir mal à la gorge. Vous croyez que… ? »

C’est dans ta tête. Cela ne peut que être dans ta tête.

C’est dans ta tête.

Tu te le répètes. Mais ça boucle. Cancer. Virulent. Forcément, ça te créer de l’anxiété. Si on te le demande, tu l’avoueras sans vergogne. Cependant… On tâche de te rassurer comme on peut. Le doc’ te remercie. Tu lui réponds d’un simple signe de tête. C’est normal pour toi. Passion, hein ? Tu souris, vaguement.

Sauf que ça devient plus sérieux, d’un coup. Ah.

Tu fronces les sourcils, pas bien sûr de tout suivre. De tout comprendre. Quel rapport ? Bah. Qui es-tu, au fond, pour chercher à comprendre les pourquoi des comment, des questions d’un professionnel de santé ? Il n’agit que pour ton bien à toi, non ? Et pour celui de tous les habitants de cette ville. Patients de cet hôpital. Tout. Une inspiration.

« Non. »

Tu réponds, simplement. Avant de te dire que ce n’est sûrement pas des plus explicites, comme réponse.

« Je veux dire, je suis né à Boston et ai vécu là-bas jusqu’à… il y a quoi, deux ? Trois mois ? Mes parents non plus ne sont pas nés à Arkham. Ou alors, je l’ignore. Je crois toutefois ne leur avoir jamais posé la question. »

Une pause. Tu réussis à lever les yeux et accrocher son regard. Tu détestes ça. Mais…

« Pourquoi ? Cela a un rapport avec ma visite ? »

Avec ton dos ? Ton mal de gorge ? Non, le mal de gorge, on a dit que c’est dans ta tête. Ou un rhume, ça aussi c’est possible. Aller, tu es prêt à accepter jusqu’à une rhinopharyngite ou une angine. Mais un Cancer. Virulent. Fuck ton cerveau qui boucle… Le médecin t’a dit que tu n’en as aucune trace ! Pourquoi t’a été testé, même, déjà ? Pour être sûr. Parce que ça te rongeait un peu, depuis que tu as foutu les pieds dans cet hôpital pour la première fois.

Tu es…

Paumé, perdu, confus, troublé, brouillé, abasourdi, déconcerté, penaud, piteux…

Comment ça, ton corps s’adapte à Arkham ? Tes sourcils se froncent, un instant. Et ses propos n’éclaircissent rien. Tu avais demandé des examens par sécurité à cause de l’ambiance anxiogène des lieux, et histoire de faire un bilan de santé complet pour savoir où tu en es. Mais à part les petites voix de l’anxiété dans ta tête, pour toi, y avait rien d’autre que ton dos, quoi. Et là… et là…

« … vous voulez dire que je mute ? »

Tu finis par rire. Ricaner. Mais le docteur, lui, ne rit pas. C’est…

« … vous parlez de la ville comme si c’était une entité à part entière. Et comme si elle avait une influence sur mon état de santé. »

Un moment. La blague ne te fait plus marrer, en fait.

« À moins de m’annoncer que cette ville-entité-Arkham-qui-fait-des-cadeaux-de-bienvenue répare mon dos à tel point qu’il n’y aura plus aucune trace de mon accident, ce serait pas mal d’éviter les blagues foireuses, Docteur… »

Un temps. Peut-être que ça ne te fait pas rire parce que tu espères. Tu ne devrais pas espérer. Rien. Rien de tout. Rien du Docteur, rien de cet hôpital, rien de cette ville, rien de la vie. Rien. Brisé, tu es brisé. C’est tout.

« … on pourrait en revenir à mon ordonnance ? »