Il est tôt.

Enfin pour la plupart des gens. Parce que se lever avant l'aube revient à une forme de torture. Mais si Arnold n'avait jamais cru au Miracle Morning, il suivait certains préceptes comme un moine. Il est tôt et le voilà sur le pied de grue, les bras croisés et malgré tout, tranquille. Il est tôt, et sa montre affiche 8h32. Son œil valide balaie le gymnase d'un air tranquille, tandis qu'il sent le froid se lover contre ses bras. Arnold n'a pas abandonné son bonnet ni son jogging Adidas. Seulement son sweat et ses Doc Martens. Ses vieilles baskets d'un blanc délavé aux pieds, il reste en débardeur. Il a encore un peu chaud, car lui, ça fait déjà un moment qu'il s'entraîne.

Ces derniers temps, les gens veulent en faire un coach. Un effet de mode, peut-être, la peur des Vesperis ? Irrémédiablement. Il se demande pourquoi c'est lui qu'on vient chercher, alors qu'importe l'endroit, il ressemble toujours à un SDF.

Quoique...

Aujourd'hui, pas vraiment. Il s'est muré dans son rôle d'entraîneur, certain de ce qu'il se passera. Il a visualisé depuis des jours cette session, calibré son comportement pour ne pas être trop bizarre et décalé. Il faut être efficace avant tout.

Le reste de ses affaires repose contre un mur, son sweat sur son sac à dos. Un carnet et un crayon à portée de main, une bouteille d'eau - c'est très important de s'hydrater pendant le sport. Il attend Saoirse, pas de panique ; il est en avance.

Sans son sweat pour se cacher dedans, Arnold semble plus impressionnant qu'à son habitude. Il a les épaules larges et épaisses, son dos est ciselé de muscles, mais ses hanches restent relativement fines. Il y a un aspect disproportionné dans la taille de son dos ; on sent qu'il a l'habitude de grimper partout, et de sauter sans effort. Ne reste que les tatouages visibles sous ses biceps, un caducée sur le droit, et le symbole de l'armée américaine sur le gauche. Plus ou moins caché sous ses poings posés contre ses biceps. Du reste on voit légèrement sur le dos de ses mains le dessin de ses phalanges, et celui de ses veines.

Son angle mort est dirigé vers un mur, à un mètre de distance. L'Épée se place toujours de façon calculée, afin de ne pas être prise aux dépourvus si jamais la situation l'exigeait. Alors il patiente, compte les secondes dans sa tête. Saoirse.

L'une des nombreuses enfants de Mens, orpheline, à vivre dans l'ombre du destin de ses parents. Il aimerait promettre que tu n'auras jamais à te battre, et que tu peux rester tranquille ici. Ah. Si seulement, il était suffisamment fort pour que les gens comme toi ne voient jamais la couleur du sang. Une vie sans soucis et sans sacrifice. Mais cela est impossible, tant que les monstres iront courir les rues.

C'est pour ça, hein ? Que tu lui as demandé à apprendre ?


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Tu es là, Saoirse. Face à lui.

C'est étrange pour lui de se dire qu'il t'a connu lorsque tu étais qu'une adolescente. Te voilà maintenant jeune femme. Et surtout, tu es désormais orpheline. Il se souvient de toi et de tes parents, des invitations et de la pudeur des conversations. Depuis qu'ils étaient morts, il s'était éloigné de toi. Il n'a plus cherché à imposer sa présence. Plus depuis qu'Andrea avait refusé qu'il lui montre du soutien. Parce qu'il n'arrive jamais à faire quelque chose avec les gens sans heurter leur sensibilité, sans les blesser. Alors il te fixe, comme s'il te regardait pour la première fois. C'est peut-être vrai ; le temps passe, sa vie s'effile. Bientôt, très bientôt, il sera un souvenir et tu graveras ce jour dans ta mémoire pour ne pas l'oublier.

Pour ne pas l'oublier, lui.

Commencer doucement.

Arnold te traitera mieux qu'Hadrian, sans pour autant te laisser te reposer. Il est militaire. De caractère et de vocation. Il te salue d'un hochement de tête, et quand il te parle, sa voix est excessivement rauque — tu es la première personne à qui il adresse la parole aujourd'hui.

« Commence par t'échauffer, il se frotte les mains pour réchauffer ses paumes, puis il tourne plusieurs fois les poignets dans un sens et de l'autre. Tout en parlant, il te montre. Si ça ne va pas, tu me dis. Il avale sa salive, il contracte sa mâchoire. Ses épaules bougent, elles se déroulent, s'enroulent — ses os craquent, doucement à son oreille. Tu évalues à combien ta forme physique sur dix ? Sois honnête, je ne suis pas là pour juger. »

Mais pour s'adapter. À toi et tes besoins.

Hors de question de te demander d'attaquer un Vesperi pour ce matin — de toute, ces monstres dorment le jour, non ? Arnold cherche à mesurer ton endurance. Et si c'est ce qui te défaut, alors il te la fera travailler en premier. Il essaye de faire les choses bien, correctement. Parce que tu n'es pas n'importe qui, tu es leur fille. En quelque sorte, l'Épée se sent responsable de toi. Une figure paternelle autoproclamée. Instructeur, professoral, qu'importe comment il compte pour toi.

Il fixe tes traits, il essaye de mémoriser leur agencement afin de ne pas les oublier. Pour qu'il cesse de confondre le visage de ses camarades avec celui du monstre de cette nuit-là. Pour envoyer au loin ce sentiment d'étrangeté qu'il y a quelque chose dans les profondeurs de la ville qui grouille. Il n'en parle à personne, car il préfère le déni. Persuadé que cela concerne ses troubles.

Tes cils, la forme de tes sourcils, comment tes yeux se plissent quand tu t'exprimes - souris-tu beaucoup, Saorise ? Arnold ne saurait le dire.



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Il n'y a pas d'introduction, il n'y a rien pour te rassurer ; c'est direct, comme un coup qui part. Une balle qui traverse le verre, et voilà qu'Arnold sent ses articulations craquer sous ses gestes. Son œil fixé sur toi, il ne dit rien et pourtant, il observe ta tenue. Il ne sait pas dire si c'est du Gymshark — biberonné qu'il est au contenu sur les réseaux sociaux concernant la musculation et le sport. Trop simple pour faire des collaborations dignes de Tibault InFlesh.

Deux sur dix. Ah. L'on dirait que tu te sous-estimes. Après tout, tu n'es pas qu'une simple humaine. Et les Bâtons ? Il vous croyait plus fort que cela. Ou bien, c'est son statut d'Épée qui le leurre. Camoufle le reste - Arnold préfère penser que vous ne mourriez pas en rencontrant l'un de ces monstres. Ses petits mensonges quotidien l'aident à tenir.

Ton visage est troublé dans ses souvenirs, il doit battre des cils pour faire le point. Non. C'est bien toi, Saoirse. Toi et toi. Rien que toi.

Arnold ravale son trouble.

« Eh bien. Son soupir est rauque, tandis qu'il étire encore ses bras. À force d'avoir tout son équipement sur le dos, il essaye de porter un soin particulier à ses lombaires et ses épaules. L'endurance et la force, ça se travaille. Tout dépend de ce que tu veux. Si tu veux survivre, il faut d'abord apprendre à utiliser ta tête. Et ensuite, y relier ton corps. Quand j'étais à l'armée, je portais plus de trente kilogrammes de matos sur moi et je devais savoir faire des tractions. Il marque une pause, il fronce les sourcils. Ne t'en fais pas, je ne vais pas te faire faire ça dès le début. Mais on va commencer par un truc simple : les pompes. »

Arnold s'assoit à genoux, ses doigts s'étirent sur la surface glacée. Il sent la poussière s'agglutiner sous ses paumes, mais avant tout, il continue :

« Pour les pompes, il faut le prendre comme un exercice de gainage. D'abord, tu rentres légèrement les mains à l'intérieur. Tu rétractes tes omoplates, et tu diriges le bassin vers le sol. Il s'exécute, puis un peu gêné, il lâche : mon sergent instructeur disait que c'était comme imaginer que tu te faisais piquer les fesses par une bestiole. Bref. Essaye d'avoir les mains sous les épaules, et tu descends jusqu'à ce que ton torse touche le sol. C'est ce qu'il fait, et ça ne lui demande pas réellement d'efforts. Avant même de combattre, Arnold maîtrise son corps. Il fait une première pompe, puis une deuxième avant de se redresser. Déjà commence sur les genoux, si c'est trop dur, on commencera sur le mur. Il croise les bras. Si ça peut te rassurer, j'ai toujours été maladroit. J'étais même plutôt mauvais en sport quand j'étais enfant. »

Il tente un sourire en dents de requin. Cela appuie toujours les cernes sous ses yeux, et le creux de ses joues.


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« Mh. »

C'est tout ce qu'il lâche quand tu parles de ta force. Non pas qu'Arnold est sceptique, il n'a simplement rien de plus à ajouter. Avec le temps, il lâche des soupirs ou il hoche la tête en décalé, afin de signifier à ses interlocuteurs qu'il a bien écoutés. Si bien qu'il fixe ta façon de faire des pompes, il te corrige s'il le faut. Il compte pour toi, patiemment, ne valide que si ta poitrine touche le sol. Il est militaire de sa personnalité jusqu'à sa façon de penser et de faire. Puis il s'accroupit, les mains entre les jambes qu'il finit par joindre, il tapote ses doigts les uns contre les autres.

« Disons qu'il faut apprendre à rester opérationnel. Tout le temps. Tu ne sais jamais quand tu devras combattre. Il dit platement les choses, sans réellement d'émotions. Quinze. Il regarde sa montre, et il décide : une minute et tente seconde de temps de repos. Tu reprendras sur la pointe des pieds, sans utiliser tes genoux. Tu vas essayer d'en faire huit sans perdre ton gainage. Je veux qu'à chaque fois, tu ailles jusqu'au bout. Tu peux le faire, j'en suis sûr. Son œil fixe sa montre, il t'écoute d'une oreille. Je peux tirer oui, mais il me faut des adaptations. Quand Arnold utilise une arme à feu, il se met en danger. Il n'a qu'un œil, concentré à viser sa cible. Si quelque chose arrive à sa gauche, il ne pourra pas le voir - heureusement qu'il lui reste l'ouïe. Mais le plus difficile, c'est de tenir la position en ayant ton arme à bout de bras, et à ne pas être surprise du recul. C'est pour ça qu'il faut avoir un bon équilibre. »

Arnold se redresse, ses genoux grincent sous son poids. Il tourne autour de toi, il corrige ta position si nécessaire. Et quand ça fait pile une minute et trente secondes, il t'ordonne de recommencer. Il compte tes répétitions, et si tu rates, il te fait recommencer plus proprement le mouvement.

« Je suis rentré à l'armée à la fin du lycée, je n'ai pas eu le choix. Il hausse les épaules, et malgré tout, en dehors du cadre militaire, Arnold est le genre à se prendre les pieds dans sa chaise, à laisser les câbles de son ordinateur s'enrouler autour de sa jambe. S'il ne fait pas attention, il se prend l'épaule gauche dans l'encadrement des portes. J'ai cassé trois verres ce mois-ci, par exemple. Six. Il regarde alors autour de lui. Je suis juste très bon quand il faut masquer. »

Ici, Saoirse, il ne peut pas se permettre de relâcher la pression et d'être maladroit. Sa vigilance est constante, et même dans le calme du gymnase, il n'est pas serein. Il doit constamment retourner son attention sur toi et ton visage pour s'assurer que c'est toi. Et bien toi.

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Tu sembles au bout de ta vie, Arnold regarde sa montre. Il penche la tête sur le côté quand tu mentionnes le fait d'acheter des verres en plastique, puis il te répond :

« Non. Ce n'est pas être mauvais en sport, mais disons que ça n'aide pas toujours. Il sourit. Par contre, le sport m'a aidé à améliorer ma maladresse. En ayant un bon équilibre, ça m'a aussi donné de plus bons réflexes. »

Les débuts à l'armée étaient difficiles. En courant, il s'emmêlait constamment les pieds. Quand on lui donnait des instructions trop complexes, la crainte de mal faire était telle qu'il pouvait resté paralysé de longues minutes. Les bras le long du corps, la pression du regard des autres sur ses épaules, les ordres bruyants de son instructeur ; un chaos difficile à suivre pour son cerveau. À entendre qu'il n'avait rien dans le crâne, et qu'il était forcément débile - ce n'était pas si différent de ses années au collège, au final.

Mais Arnold ne te parlera pas de tout cela. Ce ne sont pas des souvenirs agréables, et en général, il évite de parler de lui. En prenant le risque de se dévoiler, il donne l'occasion aux gens de s'attacher à lui. Alors qu'il mourra probablement dans l'année qui arrive, ou la prochaine. Voilà, rester distant, c'est mieux. C'est plus facile.

« Je suis allé en Irak, lâche-t-il d'une voix neutre. Tu vas essayer le gainage, tu vois la position de la pompe ? C'est pareil, mais tu es sur les avant-bras, les coudes sous les épaules. Attention à ne pas monter les fesses en l'air, il faut que tout ton corps soit aligné avec ta colonne vertébrale. Il t'explique, comme si le sujet de l'Irak était un élément dans une liste de course. Sinon, j'imagine que ce n'est pas si différent d'ici, ajoute-t-il en regardant sa montre. Tu vas tenir une minute, quand tu respires, c'est par le ventre. Engage les abdominaux en rétroversant le bassin. Je vais le faire avec toi. »

Arnold replace son bonnet correctement. La planche, l'un des pires exercices du monde, car il faut non seulement une bonne force dans les bras pour tenir, mais comprendre comment il fonctionne pour le faire parfaitement. Il met d'abord les genoux au sol, il place correctement ses coudes sous ses épaules. Puis il se met sur la pointe des pieds, il tourne la tête vers toi. S'il le faut, il te corrige, puis il démarre le chrono une fois que tout roule. Il arrondit légèrement le dos, le bassin rétroversé, les abdominaux serrés autour de sa taille, comme un corset.

« Tu sais que le record du monde de cet exercice, c'est dix heures, dix minutes et dix secondes ? »

Te dit-il, amusé.


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Tu t'écrases aussitôt sur le ventre.

Arnold ne bouge pas, c'est à peine s'il semble respirer. Les abdominaux serrés, il songe qu'il sera difficile de te demander de tenir en position latérale, ou encore sur les mains directement. Il laisse ses genoux retomber face à tes questions. Il s'assoit alors en tailleur, il fronce les sourcils. On dirait que tu essayes de négocier — il peine à saisir combien c'est horrible pour toi. Avec le temps, la pratique, et Mens, il oublie que ce n'est pas si facile. Pas pour tout le monde.

« En théorie, au bout de quarante-cinq minutes, tu commences à consommer une grosse partie de ton énergie. Au bout d'une heure trente, tu vas générer beaucoup de cortisol. Alors ce n'est pas utile d'avoir un entraînement très long, à part pour la force athlétique ou encore le powerlifting, car ça nécessite beaucoup de temps de repos - parfois cinq minutes - entre tes répétitions. Arnold fait son Andrea, lui aussi aura ingéré beaucoup d'informations sur la pratique sportive. Toutefois, ce n'est pas une minute de planche qui va te faire du mal. Ce qui est impressionnant, c'est plus l'endurance du gars. Et sa capacité à ne pas trouver le temps trop long. Moi, au bout d'un moment, je m'ennuie. Il hausse les épaules. Donc je me leste pour augmenter la difficulté. »

Arnold ne se rend pas compte du tout qu'il info dump, ou même qu'il pourrait complètement t'effrayer. Bien sûr, il ne te fera pas faire la planche avec un poids de vingt kilogrammes, il n'est pas non plus un monstre. Et surtout : on n’y est pas encore.

« Allez, si c'est trop difficile, recommence sur les genoux. Ce n'est rien de honteux, c'est un marathon, pas une course. »

Arnold se remet en place en te montrant d'abord, il réactive son chrono sur sa montre, et il tourne la tête vers toi. Ses doigts au sol tapotent la poussière, tandis que son visage exprime un léger dégoût en constatant que le ménage n'a pas été fait depuis un moment.

La question sur son œil le surprend.

Sa paupière se ferme, comme pour s'assurer qu'il était là. Enfin, sa prothèse surtout. Puis, après un long silence, il déclare tout simplement :

« Non. Les Vesperis. »

C'est suffisant pour que tu comprennes, estime-t-il. C'est assez pour que tu ne poses pas plus de questions, n'est-ce pas ? Dans tous les cas, il ne te laissera pas une occasion d'embrayer sur ce chemin là, car il retourne aussitôt sur le sujet de la planche :

« Et il y a pire que la planche, crois-moi. Quand tu es habitué·e, ça devient un exercice assez grisant. »



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La callisthénie est une discipline difficile. Là où la plupart du temps, la musculation permet de développer du muscle et de la masse sans trop d'efforts, la callisthénie demande une maîtrise de son corps. De son souffle, une certaine rigueur pour garder de la beauté dans le mouvement. Arnold fuit les salles, il y a trop de bruit et trop de gens. Il s'entraîne six fois par semaine dehors, qu'il vente ou qu'il pleuve, réglé comme du papier à musique. Peut-être qu'un jour, il te forcera à faire des tractions ou des muscles up sous la neige. C'est l'armée qui l'a conduit à apprécier la discipline, à lui donner cette rigueur qui souvent le rend rigide. Tu parviens à faire l'exercice sur les genoux, lui, il laisse deux minutes supplémentaires s'écouler avant de s'arrêter.

Arnold ne lit pas assez entre les lignes, il ne se rend pas compte que peut-être, tu profites de ce moment pour (ré)apprendre à le connaître. Il est surpris que tu t'accroches aux détails de cette histoire. La plupart du temps, il n'en parle pas. Arnold ne trouve rien de gênant avec ses handicaps ; en vérité, c'est le manque d'adaptation qui lui coûte en énergie. Il s'arrête, il se remet sur les genoux et il te fixe. Il n'aime pas se dévoiler, il préfère quand Regeneratio se persuade qu'il fait partie des meubles, ou qu'il n'est qu'un numéro parmi les autres.

« J'étais en formation pour intégrer les Seal's, enfin les forces spéciales, en tant que médic. Il n'y a pas d'émotion dans son intonation, il y a ce ton “neuneu” que certains lui reprochent, malgré son vocabulaire toujours enjolivé. On a été attaqué par un Vesperi solitaire, j'ai perdu mon œil là. Regeneratio le pistait. »

Il y a un moment de battement à la fin de son récit, son attention se retourne sur toi. Il te détaille dans un silence qu'on peut juger malaisant — l'œil fixe, l'absence d'expression, la sensation d'être jugée ou d'être passée au radar. Il te demande alors :

« Pourquoi veux-tu apprendre à te battre ? Les rôles des Bâtons, c'est l'espionnage, non ? »

La dissimulation de la marque, ou encore de cette aura vertueuse que les Vesperis prêtent aux Regen. Arnold y semble échapper parfois, grâce à ses allures de SDFs quand il est en dehors du travail. Mais toi, Saoirse, que cherches-tu ? La vengeance ? Non. Peut-être que le danger est plus proche que jamais, il y a cette chose qui grouille dans Arkham. Les visages se confondent encore. Il doit se concentrer sur toi pour ne pas se laisser avoir.


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« Non. Formation militaire. Je n'ai pas fait d'études de médecine. Pas directement. »

Précise Arnold dans un souffle. Son regard suit tes mouvements, tandis que son cerveau tente de rester à la surface. De ne pas se laisser emporter par ses inquiétudes et ses angoisses, afin de ne pas perdre les traits de ton visage dans celui de ses traumatismes. Arnold n'en montre rien, mais il se sent tout doucement attrapé par la folie. Il y a les doutes. Ils sont constants. Toujours devoir réfléchir aux autres, à ce qu'il faut dire ou ne pas dire. Il y a son cerveau qui le trompe, si bien qu'il ne voit pas l'évidence.

Toi, l'enfant de Regeneratio, toi qui as grandi entre ces murs, que ferais-tu si un jour tes camarades se transforment en monstre ? Arnold ne sait plus qui croire. Le lui d'avant, ou le lui de maintenant ? Il y a des erreurs à ne pas commettre. Que ferais-tu, Saoirse ? Es-tu si dévouée à Mens que tu en perds ton âme ? Es-tu si loyale que tu lea sers, en faisant fi de toutes tes interrogations ? Tu es délicate d'apparence, moins de caractère. Il faut de la force pour survivre à tout cela. Et te voilà maintenant, responsable et adulte. Déterminée ?

« Colombe est le Valet de l'Empereur, lâche-t-il dans un sourire. La fonction n'est pas la même, non ? Il juge ta planche, il te corrige, avant d'ajouter : ce que je veux dire par là, c'est que nous sommes l'offensive, c'est notre fonction de combattre. Et j'aimerais éviter que les autres ne le fassent. On est là pour ça. »

Une pause, un moment de battement, Arnold fixe le sol.

« Mais rien n'est impossible, il faut être prêt à tout. »

Si les Épées ne sont plus là, qui pourra être le bouclier de Regeneratio ? Ils seront les premiers à tomber, et ensuite, que deviendras-tu ? Il finit par rajouter :

« Si tu veux un conseil : se battre, c'est bien. Survivre, c'est mieux. »

L'argent t'irait si bien, Saoirse. Le métal se noyant dans tes cheveux, pareils aux nuits de pleine lune, il t'apporterait la tranquillité et l'assurance d'une existence sans violence. Arnold reprend la planche, pensif, un peu déprimé.

« Je suis insignifiant pour répondre à ta question. Et je finirai par perdre ma force, on passera tous par là. »

Le sourire est au coin des lèvres, le regard révèle plus de choses. Jusque là indifférent, il y a dans le bleu de son œil un voile de mélancolie. Tout doucement, il fait son temps. Alors, ne t'attache pas, Saoirse, garde les quelques souvenirs dans ton cœur. Mais ne le regrette pas. Il ne veut surtout pas ça.


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Tu tentes de le rassurer, et Arnold se contente d'un sourire. Ses yeux ne sont pas rivés sur toi, ils sont ailleurs. Perdus. Il se contente de répondre :

« Je sais, je suis juste naïf. »

Parce qu'il ne voudrait pas plus de vies sacrifiées, parce qu'il est inquiet pour celles et ceux qui embarquent sur cette voie. Il ne voudrait pas apprendre que quelque chose s'est passé, il ne veut pas apprendre de mauvaise nouvelle te concernant. Maintenant ou après. Tu n'es plus une enfant, Saoirse, et il te voit pourtant encore comme ceci. Ne lui en veux pas trop, c'est qu'il se rappelle de la petite fille que tu as été. Le temps est douloureux, car il te rendra orpheline et seule. Il aura eu la sensation de te voir grandir trop vite. Il a cligné des yeux, et voilà maintenant que tu es devenue une femme.

Sa maladresse s'exprime, et à travers elle, c'est la certitude que sa fin approche. Il aimerait s'excuser, Saoirse, des inquiétudes qu'il peut provoquer en toi. Pourtant, il n'y arrive pas — ça reste accroché dans le fond de sa gorge et c'est pénible.

La fin de l'exercice arrive avec ta dernière question. Arnold se remet sur les genoux, les poings posés contre ses cuisses. Son œil balaie la salle avant de revenir vers toi. Puis il se contente de hausser les épaules.

« Ce n'est pas si différent d'avant, admet-il. Arnold ne dira jamais qu'il ne sait pas réellement s'il l'a voulu. Il a conscience surtout qu'il ne souhaitait pas abandonner l'armée. Un pied dans la tombe et de chaque côté. Il se relève en t'invitant à faire de même. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Je veux dire... j'ai toujours risqué ma vie, chez Regen ou pour l'armée, ça ne change rien. »

Le voilà qu'il croise les bras, il semble évaluer ta force de frappe. Il te faudra un peu de remises en forme, juge-t-il.

« Si tu veux un conseil, travaille ton endurance. Un combat, ça peut être très court. Tu sais si jamais quelqu'un t'attaque, le meilleur moyen de survivre c'est de frapper dans le nez. Il y a juste le “comment” qui change. Par exemple, et le voilà qui s'avance vers toi. À cette distance, le plus efficace, c'est un coup de coude, lâche-t-il en désignant son nez. Tu serais surprise de la force que ça peut donner. Et ton adversaire aura moins le temps de le voir venir. »




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Attends, pause.

Pause comme dans un jeu vidéo. La partie qui s'arrête, avec l'écran occulté par un bandeau gris ou noir. Arnold lève les mains, étonné, il cherche là où il aura encore merdé. Il s'est peut-être mal exprimé ? Ou bien aura-t-il franchi les limites de Saoirse avec sa franchise en lame de rasoir ? Il s'arrête et il patiente.

Tu lui demandes si ça va.

Si ça va.

Arnold sourit, déjà prêt à répondre pour te rassurer. Oui, tout va bien. Il faut que tout aille bien. Pas besoin de.

Puis il y a la suite, ton aplomb, ta détermination, presque ? L'Épée perd son sourire, quelques secondes. Son regard se relève, il observe le décor derrière toi. Il se concentre sur tes mots, leur impact — comme des balles qui traversent sa lourde carapace. Tu lui coupes l'air, et pour une fois, il n'arrive pas à répondre. Quelque chose alors, c'est de sa faute, quelque chose dans son comportement t'aura poussé sur cette voie.

Arnold fourre les mains dans les poches, il recule d'un pas. Sa première réponse est un haussement d'épaules.

« Tout va bien. »

Il aimerait que ce soit vrai, et de ne pas être à ce point lisible. On lui reproche son manque de réactivité, son caractère mou parfois, mais la vérité est qu'il y a des orages et des tempêtes dans sa poitrine. Il avale sa salive.

« Mais disons que... je ne sais pas, c'est la ville ? Lâche-t-il en accompagnant ses paroles d'un nouveau haussement d'épaules. J'ai l'impression qu'il y a un truc en plus. En plus de nos tiques de compagnie, c'est pour essayer de détendre l'atmosphère, et ne pas faire porter le poids de ses paroles sur toi. Ah. Saoirse, Arnold aimerait tous vous protéger. Il s'arrêtera aux premiers signes de l'Éreintement, il ne se laissera pas bouffer. Non. C'est juste ça, mais je me fais certainement des idées. »

Des idées, oui.

C'est peut-être sa santé mentale qui balance du mauvais côté, Arnold ne se fait pas assez confiance. Quand il te regarde, tes traits changent et voilà que tu reprends l'apparence du monstre de cette nuit-là. Parfois, alors qu'il parcourt les couloirs de Regeneratio, il vous prend tous pour l'ennemi. Il devient fou. Tout doucement. Oui. C'est la seule explication. Ses alliés ne peuvent pas être des Vesperis.

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