En 1564 naissent des jumeaux, Amadeo et Carmina, au sein de la puissante famille italienne Salviati, implantée à Florence, puis dans toute l’Italie jusqu’aux Cours des dirigeants qui se succèdent depuis plus de deux siècles, grâce à l’aide obtenue de leur alliance étroite avec un clan de Vesperis, les Vanitas. L’alliance est si indéfectible qu’au fil du temps le préfixe “Ves” prend naturellement sa place devant le patronyme de la famille. L’éducation y est stricte, l’amour peu présent, hormis entre les enfants.
En échange de l’aide des Vesperis de jadis, de nombreux enfants de la famille, toutes branches confondues, sont envoyés grossir les rangs du clan s’ils en sont dignes et s’ils survivent. Un lourd tribu que le dernier patriarche de la famille refusera de payer, provoquant alors la colère du clan et le malheur des Ves Salviati.
La nuit du 23 au 24 août 1572, prétextant oeuvrer dans la lignée des ordres des Médicis en France, l’assassinat punitif d’une partie des Salviati fut lancé, afin de rappeler que les Vanitas pouvaient donner tout autant que reprendre. L’opération avait également pour but de mettre la main sur les jeunes gens de la famille qui leur étaient dû.
Ce qui n’aurait dû être qu’une simple menace quelque peu sanglante tourne au cauchemar et certaines jeunes générations de vampires envoyés sur place échappent au contrôle de leurs superviseurs. C’est à cause de l’un d’eux que Amadeo, point d'ancrage de sa jumelle en ce monde, est massacré sous ses yeux alors qu’ils tentaient de fuir, ils sont alors tous deux âgés de 8 ans.
La même nuit, quelques membres des Patricius s’étaient rendus sur place. Le clan convoitait depuis trop de temps la famille pour son influence mais ne souhaitait pas entrer en conflit direct avec les Vanitas. Friands d’opportunités et profitant de la débâcle, ils ravirent la plupart des enfants de la famille Salviati au nez Vanitas.

Les homines et les vesperis chargés de prendre soin des enfants emportés par les Patricius décrivent Carmina comme une enfant à la santé particulièrement fragile. On la décrit comme sujette à la mélancolie et particulièrement difficile à nourrir. Malgré tout ce qu’on la force à ingurgiter pour la maintenir en santé, la petite n'épaissit pas. Certaines odeurs la plonge dans un profond mal-être ou un état de contemplation mutique. On rapporte ses maux de tête à lui arracher des larmes et des cris, ses longs moments de silence et des absences donnant lieu, parfois, à des passages amnésiques plus ou moins longs.
Médecins et guérisseurs se succèdent et la jeune femme ne vaut sa survie qu’à la prudence des Vesperis concernant les traitements de l’époque.
En 1586, son créateur opérera la transformation de la jeune femme en estimant qu’ainsi il sauverait son existence trop fragile. Il va à l’encontre de ceux qui préféreraient attendre qu’elle reprenne des forces, et satisfait ceux qui estiment qu’elle n’en sera que plus forte.
Elle manque alors de ne jamais réouvrir les yeux. On la veillera longtemps. Elle n’en aura aucun souvenir.
Il faudra du temps pour que Carmina accepte la transformation de son corps. Sa mort. Elle qui se sentait pourtant bien vivante. Elle qui n’avait pas vécu le passage, le point de non retour. Elle qui ressentait une faim qui n’était pas la sienne. Elle qui ne supportait pas l’odeur du sang et l’intention de le boire. Sans Amedeo, elle n’aurait probablement pas survécu bien longtemps. Sans son créateur non plus. Surveillée comme du lait sur le feu pour se nourrir et pour fuir les rayons mortels du soleil qu’elle affectionnait tant. Surveillé comme la bête qui venait de naître et à qui on apprenait à maîtriser son appétit.

Au bout d’un siècle presque complet, uand l’apprentissage fut moins douloureux, elle fut réellement intronisée au sein de la Cour et du clan pour y jouer son rôle et faire prospérer l’argent des Salviati pour le compte des Patricus sous la gouvernance de son créateur qui se positionne en conseiller et mentor pour affûter son esprit. Elle ne se sent pas à sa place mais sa nature et son caractère la dispose naturellement à se faire apprécier sans méfiance.

En 1720, elle part pour la France avec son créateur. Pour le clan des Patricius, nul repos. Il s’agit de s’étendre toujours un peu plus, de parler alliances et pouvoir. Là-bas, elle rencontre Ambroise-Polycarpe, grand ami de son créateur, et y découvre la Mascarade. Bals et salons se succèdent. Trophée ou espionne, Carmina ne sait trop quel est son rôle.
Et en 1791, ils s’éloignent de la France et de sa révolution pour se rendre à Vienne. La première de La Flûte enchantée de Mozart est donnée dans un petit théâtre populaire. Carmina enrichit sa culture du monde et rêve à de nouveaux horizons qui auraient un sens.
En 1834 son créateur est assassiné. Elle ne saura ni par qui, ni pourquoi, mais déterminée à comprendre, elle suivra la dernière lettre écrite de sa main à son attention pour rapporter sa chevalière et sa lettre à Ambroise-Polycarpe pour obtenir sa protection et peut-être de quoi lever le mystère. A l'inverse de son créateur, elle entrera dans la société secrète.
Quand vient 1865 et dans sa quête de nouveaux horizons, il lui semble tout naturel de suivre son nouveau mentor lorsqu’il part pour les Etats-Unis. Après les nombreux voyages réalisés auprès de son créateur, et le peu de temps passé à la Cour, elle est curieuse d’y vivre au plus proche.
Il semble que ce soit véritablement au cours du 20ème siècle que Carmina trouve la force d’être plus que ce qu’elle a toujours été : un nom fortuné, des yeux et des oreilles pour un clan. Elle prend position, entre dans les rangs des plus apaisés pour favoriser la parole et les échanges. Étrangement, elle n’a jamais été aussi Patricius qu’à ce moment-là.
A la Cour du Prince, Carmina se rapproche d’un vesperis passionné de médecine et plus particulièrement de l’étude du cerveau, Lazare, également membre de la Mascarade. En tout cas, c’est la première fois qu’Amedeo éprouvera le besoin de prendre la place de Carmina pour raconter leur histoire. Son histoire. Ils exploreront ensemble les progrès sur le sujet, jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce que ni Amedeo, ni Carmina, ne souhaitent poser un véritable diagnostic sur leurs existences. Ils vivaient ainsi depuis des siècles.