She the devil.

C'est une évidence qu'une cheffe emmène son assistant avec elle ; c'est une évidence, aussi, que lorsque l'on pense, les yeux divaguent : c'était alors une mise à mort facile. Ce n'est pas vraiment de ta faute, non ! Tu n'as pas fait d'erreurs exagérées ou de stupidités effarantes, si ce n'était bien sûr l'acte en lui-même -oh, quelle idiotie, que de vouloir redevenir dans le monde vivant, que de s'y accrocher, que d'y planter les griffes alors même que tu n'es que moins qu'animal, humain de visage mais pas de cœur.
Andrea n'en sait rien. Pour l'instant, d'un maintenant immédiat qui ne durera pas -tu le sais, n'est-ce pas ? Le piège n'est pas difficile à refermer. Il suffit, voilà, de sortir tard le soir ; oh, si tu savais tout le travail qu'iels ont, ces Regeneratio, ces Coupes qui recueilleront bientôt ton sang ! Il suffit, avant, de demander à Aciano d'appeler un taxi, et de, après, lui dire de rentrer seul. Il suffit, vraiment, de faire semblant d'être sur son téléphone ; il suffit, ensuite, de relever la tête comme si de rien n'était.
L'aura est discrète. Elle ne lui permet pas, encore, d'être certaine. Jeune homme, puis-je vous aider à tout hasard ? Le flash s'allume, déverse sur le garçon sa lumière d'Arcane : l'arme sainte brûle la peau, mord les tissus, ronge la mort, blanchit les cheveux. Il fait noir, c'est la nuit ; c'est normal, alors, non ? Elle veut juste voir ton visage (elle l'a déjà gravé dans la tête).

Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas

Enfant des forêts perdus entre les tours de verre et les murs de pierres.
Enfant idiot qui s’égare.
Enfant stupide qui se croit si fort.

Aciano avait dit non, Aciano avait brouillé les pistes, brisé les liens. Dans les prunelles, Arcturus avait cru y lire une forme de dégout, un peur de son adelphe. Il n’avait pas demandé son reste, avalé dans la nuit sans attendre, trop fatigué de chercher un contact humain. L’Immanis n’avait pourtant pas renoncé, envoyant ses corneilles surveiller son frère ; et puis dans un instinct de meute s’était lui-même mis à le surveiller.

Enfant inconscient des risques, il s’était fait repérer.

Epris de l’attrait glacial, Arcturus s’approche d’un pas candide de la personne - croyant voir un congénère - se faisant surprendre par la voix nette. Et puis la lumière dégouline le long de ses prunelles.

Le hurlement qui ponctue la nuit est sinistrement humain - douloureusement strident, en proie à la souffrance d’un soleil divin ; c’est une nué de corbeau qui le sauve, coupant l’écran, absorbant de la multitude les rayons et le faisant s’enfuir dans l’ombre d’un arbre, plus loin. Vous n’êtes pas comme moi.

Il a le cœur qui bat, la réalisation qui coule dans ses veines à mesure que les conseils de Bella lui reviennent. Il doit fuir. La bête crie et renâcle en lui, lui ordonne la mise à mort du chasseur. Arcturus expire. Je ne veux ni votre sang, ni votre nom. Êtes-vous simplement un collègue de mon frère ? D’Aciano ?

C’est la seule chose qu’il a besoin de comprendre alors que sa peau semi fondue se régénère lentement.

She the devil.

A quoi bon crier ?
Le temps est bon ; il n'y a pas de nuages, on peut voir la lune et les étoiles. Les seuls nuages sont ceux qui sortent du corps d'Andrea, et leur fréquence ne varie pas à l'entente de ton désespoir. Il ne faut pas s'émouvoir pour les monstres : en faisant cela, on leur conférerait une nature humaine, animale, une conscience, une beauté d'âme qui n'existe plus. Ce n'est pas tant ta faute, probablement, mais c'est ainsi ; un virus ne fait pas le choix d'exister, il faut le combattre tout de même. Les doigts sont sur l'écran, ils s'apprêtent déjà à appeler une Epée -il se fait tard, qui pourrait-elle contacter ? Elle ne s'attendait qu'à un stalker, pas un de ce genre-là ; elle n'aime pas les corbeaux qui empêchent la lumière de passer, elle n'aime pas l'insulte dans sa phrase quand à l'évidence même de leurs natures, elle n'aime pas les bavardages, mais c'est eux qui peut-être portent son salut.
Le clan des Bêtes, alors. Des bêtes peut-être aussi.
Effectivement. Je ne serais jamais comme toi. Elle ne mâche pas ses mots, à son habitude, mais aujourd'hui il s'agit de diversion ; il faut le faire parler, le faire réagir sans qu'il ne réfléchisse, il faut le faire se tromper, il faut le garder dans les ombres comme il l'a fait naturellement.
Sur son portable, le message était écrit. Elle était à une seconde de l'envoyer -tout serait allé si vite ! Ici, juste à côté du complexe, les gardes encore à quelques mètres -oui, vraiment, il faisait partie du clan des stupides. Des idiots ! Quelle idée, de venir ici, de parler comme s'il n'était pas mort ! Parce que c'est bien cela qu'elle comprend, Andrea. C'est le côté noir du cœur d'Aciano. C'est un démon un peu différent des autres. Aciano n'a pas d'adelphe. Elle aurait pu dire plus mais ç'aurait été un compliment trop grand ; non, elle le renie depuis l'origine, comme si le destin était déjà fait ! Elle lui enlève tout ce qu'il a jamais été, puisqu'à présent il n'est rien.
Elle appuie sur envoyer.

Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas

Il a mal, mal, mal, mal. Il déteste le soleil et elle aussi, elle déteste l’agression, elle déteste la personne devant lui. Tue-le. La Bête hurle et ordonne - et lui lutte contre l'instinct de chasse. Les plaies de son visage lui arrachent une partie de sa concentration, cependant Arcturus reste assez vivace pour comprendre que l’adversaire n’a rien de normal.

Leur nom, il l’a entendu quelque fois : les chasseurs.
Ces tueurs sans pitié qui venaient occir les monstres.


Ah ! Le rire malheureux s’extirpe de sa bouche blessée - un son fait de douleur et d’amertume qui glisse contre les feuilles, repris par les corbeaux en un chœur tordu. D’accord. Donc tu travailles avec Aciano, mon frère.

Il oblitère les informations, refuse d’entendre la négation de son existence. Merde, il avait promis de chercher à me soigner, il a déjà si vite abandonné ?

L’expiration suivante est moins vive, moins douloureuse et Arcturus se redresse doucement, soigneusement caché derrière l’ombre d’un arbre.

Bien, il semble que je me sois trompé de personne. Je vais vous laisser.

Arcturus connaissait maintenant le visage d’un chasseur. il n’était pas prêt de l’oublier.

She the devil.

Le doigt discret amorce le mode silencieux ; il ne faudrait pas te donner plus de raisons à de fuir. L'écran se verrouille, Andrea juge qu'il n'y a pas besoin de plus d'informations. Il faut, maintenant, se concentrer à survivre et, au-delà, à savoir.
Andrea n'a pas d'oreille pour la douleur ; elle connait la peau fondue et la guérison qui viendra, elle s'inquiète déjà du retour de bâton, de ce qui peut bien l'attendre. Elle ne croit pas que son téléphone soit d'une utilité exemplaire face à ta vitesse, adversaire. Les photons sont rapides, mais quelques secondes à courir ne te tueront pas. Il est alors impérieux de trouver comment te garder ici, dans le creux de sa main, en prière pour ne pas t'abandonner.
Andrea retiens ses remarques acerbes, insultantes, hautaines ; elle se doute que ce n'est pas une bonne stratégie. Elle n'a pas le temps de plus réfléchir. L'urgence demande que l'on parle de suite. Je ne crois pas que l'on puisse sauver les déjà mort-es. Mais, tant qu'il s'occupe toujours des vivant-es, Aciano a le droit de rechercher ce qu'il souhaite. Elle ne confirme rien, ne laisse en réalité aucune information ; elle ne parle que de possibilités ! Comprends donc ce que tu veux, petit Vesperis.
Puis-je avoir votre prénom ? Puisque, elle supposait, tu répondais aussi au nom de Cervantes. Une famille, vraiment, des plus étranges. Il me faut une preuve si je souhaite lui en parler. Si, toujours, et aucune promesse ! Non, Andrea n'en fera rien, de ces lettres-là, si ce n'est les confier à Soren et aux autres souverains ; non, Andrea n'ira pas creuser l'enfer pour Aciano.