L'avantage de l'hôpital, c'est que l'endroit restait ouvert tous les jours, à toutes les heures. Quand elle ne travaillait pas, Saoirse y restait pour être avec son père. Elle ne se sentait plus en sécurité chez elle, et elle règlerait cette histoire de stalker quand son père partira.
La seule personne en qui elle faisait confiance dans cet hôpital était Andrea. Il était devenue une figure rassurante durant ces pénibles semaines, et elle ne savait pas comment exprimer sa gratitude autrement qu'en étant, sans doute, trop présente.

Elle lui apportait à manger le soir, en accommodant même son régime à base de légumes vapeurs et d'eau uniquement. S'assurait qu'il restait hydraté. Elle ne savait pas comment il tenait autant d'heures sans montrer signe de fatigues. Elle-même dormait mal ces derniers jours, elle restait sur le sofa dans la chambre d'hôpital de son père, ne faisait les allers-retours que pour chercher de nouveaux vêtements. Elle s'était inscrit à la salle de sport pour pouvoir utiliser leurs douches. Elle ne voulait pas partager ce fardeau. Elle évitait même Soren et Maria hormis par téléphone, histoire qu'ils ne puissent pas lire en elle.

Et, quand elle sentait les bouffées d'angoisses monter, elle ne pouvait pas s'empêcher d'aller chercher la présence d'Andrea pour se rassurer. D'ailleurs, c'est ce qu'elle était en train de faire, avec un bouteille d'eau électrolyte. Une infirmière lui avait indiquée dans quel couloir elle l'avait vu se diriger.

Au détour d'un couloir, elle avait entendu sa voix. Et de cette même voix, elle avait entendu un nom qui la fit froncer des sourcils.
Arcturus ?

Le nom était suffisamment unique pour l'avoir marqué. D'autant plus qu'elle l'avait côtoyée, à une époque. Il lui semblait qu'il avait disparu du jour au lendemain sans laisser de traces... Et il était dans cet hôpital maintenant ?

Pour une raison qu'elle ignorait, elle attendit d'entendre Andrea terminer sa conversation et fermer la porte derrière lui. Quelques minutes passèrent avant qu'elle ne frappe à la porte elle-même. Après avoir entendu une réponse qu'elle cru positive, elle l'ouvra.

Arcturus ?

C'était bien lui, pas de doute. Elle eut l'air encore plus déstabilisée.

Tu étais à Arkham pendant tout ce temps ?

Il ne lui semblait pas malade. Peut-être un peu pâle, mais les néons de l'hôpital ne flattait le teint de personne après tout.

Saoise ne remarqua rien du tout, principalement parce que Arcturus avait mentionné un autre nom qui lui semblait familieux.

Aciano... Cervantes. Ah. Je ne lui avais jamais demandé son nom de famille. Je ne savais pas que vous êtiez de la même famille.

Mais ça n'était pas le sujet, et à vrai dire, pour quelqu'un qui avait disparu sans laisser signe de vie malgré ses relances, l'excuse qu'il lui servait semblait plutôt légère.

Ta thèse ? Je pensais que tu voulais devenir avocat. Et même. Tu as disparu de la surface de la terre pendant trois ans pour te concentrer dessus et tu ne l'as pas fini ?

Plus que du jugement, c'était un reproche qu'elle lui faisait. Il n'avait manifestement pas été trop occupé à rester en contact avec son frère, pourquoi par ses amis.

Tu m'excuseras, mais j'ai du mal à te croire. Et si tu es dans cette chambre, j'imagine que ce n'est pas pour voir Aciano.

Saoirse croise les bras, les sourcils froncés, comme un parent qui ne croyait pas son enfant

Alors ? Qu'est-ce que tu as à dire pour ta défense ?

La demoiselle plisse des yeux. Il était sur la défensive, et par réflexe, elle se tendit aussi, parce qu'elle avait l'impression qu'il lui répondait de cette manière en réponse à son attitude. Mais était-ce mal ? De lui poser les questions auxquels il n'a jamais eu le temps de répondre en trois ans alors qu'il en avait semblé capable ?

Oui, je veux tout savoir, Arcturus. Désolée si ça te choque, mais quand j'ai des amis, j'ai tendance à vouloir savoir ce qui leur a pris quand ils disparaissent sans prévenir. Je pense que j'ai le droit d'être légèrement contrariée de savoir que t'étais pas si loin et capable de parler avec ta famille. Et c'est un euphémisme.

Ca la blessait un peu, mais c'était la vérité, qu'il ne lui devait rien. Seulement, ce n'était jamais agréable de se l'entendre dire. Comme si elle avait plus investie que lui dans cette amitié et que maintenant, elle l'étouffait.

Lorsqu'il mentionne son père en plus, elle dévie le regard. Difficile de croire qu'il était sincère après ce qu'il venait de lâcher. Mais elle était fatiguée, elle n'avait pas envie de se battre. Puis, peut-être qu'elle était trop immature pour quelque chose comme ça.

Il est en phase terminale. J'ai toujours su que ça arriverait plus tôt que tard. Ma mère est morte il y a quelques semaines aussi.

Elle aurait pu user de l'oreille d'un ami à ce moment-là.
Mais il n'avait pas été là.

Il ne réagit pas comme elle le penserait.
Il a l'air acculé, alors qu'elle n'était que elle.
Est-ce qu'elle était devenue une étrangère à ce point pour lui ?
Est-ce qu'elle l'emmerdait avec ses questions et ses reproches ?

Les braises deviennent cendres. La colère devient froide.
Elle se sent impuissante, comme si les jours à s'inquiéter n'avaient été qu'une perte de temps.
Est-ce que c'était elle qui avait mis trop d'importance à leur amitié ? Elle voyait bien qu'elle le mettait mal à l'aise, et ça la mettait elle mal à l'aise à son tour.

Elle s'écarte de la porte, puisqu'il semblait tant vouloir partir.

C'est moi qui suis désolée. Je suis juste... surprise. Désolée d'apprendre que tu as eu des soucis de santé. J'espère que tu vas mieux.

Elle tend le bras vers la porte.

Je te retiens pas.

Et la courtoisie voudrait qu'elle lui dise au revoir, mais elle hésitait encore entre un "adieu" ou "à bientôt".

Saoirse avait presque envie de rire jaune.
Oui, elle savait très bien que Regeneratio travaillait sur ce problème-là en particulier, mais Arcturus ne pouvait pas le savoir.

Andrea est le médecin traitant de mon père. Mais malgré tous ses efforts, je ne pense pas que ça sera suffisant. En tout cas, pas à temps pour lui.

Mais elle s'était résignée, et son père ne se battrait pas contre l'étreinte. Même s'il avait pu, il aurait choisi de ne pas le faire.
Saoirse s'écarte un peu plus de la porte pour le laisser passer, se disant que c'était dommage qu'ils en soient arrivés là. Que ça n'était pas vraiment comme ça qu'elles s'imaginaient leurs retrouvailles.
Elle lâcha à demi-mots son au revoir.

J'ai pas changé mon numéro de tel, tu sais.

Il avait peut-être ses raisons pour ne pas avoir été là pour elle, ça ne voulait pas dire qu'elle ne serait pas là pour lui.