La soirée commence à être bien avancée. Ton dos commence à te faire souffler. Tu es tendu, Tu as envie de gifler la pimbèche qui se prend pour la reine de Saba à la table 14, sous préteste que le mec qui l’accompagne lui a offert un minable petit bracelet en perles – tu veux te convaincre qu’elles sont fausses mais ce truc ridicule doit très sûrement faire plus de trois fois ton salaire à lui seul et ça te fout en rogne encore plus – et tu vas finir par bouffer le nez d’une de tes collègues qui n’arrête pas de te chercher des noises et tu ne comprends pas pourquoi – la vérité, c’est juste que t’es trop aveugle pour voir et comprendre qu’elle aurait bien voulu être plus que collègue avec toi, mais comme t’es vraiment hermétique actuellement parce que quelqu’un d’autre obsède tes pensées…

Bref. Bientôt fin de service. Les commandes sont calmes. Tu peux te poser un peu au bar et discuter avec ton collègue, tout en observant les danseurs sur scène. Tu ne le vois pas, mais t’as les yeux qui brillent, quand tu les regarde. D’envie. De tristesse. De douleur. De jalousie.

Toi aussi, tu voudrais briller sous les projecteurs.

Ton collègue Roy te ramène à la réalité. Et t’offre un verre. Offert par le patron, qu’il dit. Tu ricanes. T’es pas bien sûr que si le patron apprend qu’il t’offre des consommations sur son dos, il apprécie des masses. Tu devras le taire. Et penser à te brosser les dents, avant de le retrouver, qu’il sache pas que t’as bu sur tes heures de travail.

C’était pas prévu, à la base.

Que tu te tapes ton boss.

Tu l’as rencontré pour ton entretien d’embauche, jusqu’à comprendre qu’il y avait eu un quiproco, que ton ami t’avait vendu comme un danseur pour remplacer un départ. Sauf que toi, t’es plus capable de danser. Alors t’as rectifié le tir, et tu t’es excusé pour le temps gâché par tout ça. Mais il t’a alors proposé un job de serveur que t’as pas pu refuser.

Tu te rappelles que t’as été pas mal subjugué par lui. Tu l’as trouvé canon. Mais y avait un truc qui te gênait, t’arrivais pas à mettre le doigt sur quoi. En vérité, t’y arrives toujours pas.

Mais bref, vous vous êtes croisés. Avez échangé des regards. T’as p’t’être un peu joué de tes charmes… bref, tu t’es retrouvé dans un lit, avec lui, à l’hôtel. Et… vous avez remis ça. Une fois. Deux fois.

Jusqu’à ce que tu finisses par taper du poing sur la table. Parce que toi, normalement, tes plans cul, tu ne les revois pas. Et là, on parle de ton patron. Que t’es obligé de revoir assez régulièrement du coup. Alors, t’as demandé à avoir une entrevue avec lui. Pour pouvoir mettre les choses au clair.

Et euh… bah. C’est ce soir. Après ton service. Rendez-vous dans son bureau.

Alors, tu es planté là. Devant la porte.

Et tu frappes.

Un peu timidement.

C’est dingue comme ce type te fait perdre tes moyens.

Tu es venu, tout feu tout flamme, prêt à en découdre, à parler pour mettre les points sur les i, les barres sur les T, remettre l’église au centre du village et… bref. Mettre les choses au clair. Et te voilà, alors que tu viens à peine d’ouvrir la porte, à avoir la gorge entièrement serrée, le cœur qui s’emballe, l’estomac qui se noue et des putains de papillons qui t’échauffent et embrasent ton volcan intérieur.

Bordel.

Hi Google, how to breath ?

Tu finis par retrouver un peu de contenance, inspirer profondément. Interdire à tes jambes de plier sous toi. Et de réduire la distance entre toi et l-… non, la chaise. La chaise. T’assoir. Putain. T’arrives même pas à le regarder en face. Et t’es plus en service. T’es pas censé être un employé qui parle avec son patron. Mais bordel… qu’il est beau.

« J-… J-je…. »

Putain ! Ca t’énerve, d’être dans cet état. La gorge sèche. Les doigts qui jouent nerveusement entre eux. Ce type, tu as joué le jeu de la séduction avec, tu as été intime avec, et là, t’es pas foutu d’avoir une simple conversation avec. Tu es vraiment un cas désespéré…

« Je vais bien. Merci. »

Tu réussis à articuler. Te mords la lèvre inférieure. Tu as très envie de te taper le front en te traitant de con. Mais tu veux pas passer pour un weirdo face à lui. Et sa voix… Sa putain de voix… AAAH !

Tu dois résister.

« Je… suis pas là pour parler boulot. Enfin, je pense que tu t’en doutes. »

Bien, Elain, très bien. C’est un bon début.

« … on peut fumer dans ton bureau ? »

Tu dévies, Elain. Tu dévies. Mais l’autorisation arrive. T’es nerveux comme jamais tu l’as été et t’arrives pas à piger pourquoi il te fout dans cet état-là. Tu sors une clope, la cale entre tes lèvres, viens te l’allumer avant de poser le paquet et le briquet sur le bureau.

« Bon. Bref. »

C’est plus pour te donner du courage, ça. Mais tu en as besoin, oui.

« Écoute. J’en ai un peu ras le cul de boucler là-dessus, j’arrive pas vraiment à me le sortir de la tête… »

Sauf quand tu es avec Arnold. Arnold, il te vide la tête. Avec Arnold, c’est naturel. C’est paisible. C’est plaisant…

« … mais je veux juste être sûr de deux trois trucs. Déjà, sûr du fait que tu penses pas que je couche avec toi parce que t’es mon patron et que je veux une promotion. Ensuite, qu’on est bien d’accord que sur le lieu de travail, c’est craignosse… »

Pourtant, il a l’air bien confortable, ce bureau…

« … et ensuite, je veux juste être sûr : je suis quoi, pour toi ? Un simple plan cul ? Ca me dérange pas, vas pas croire que je te réclame une exclusivité. Mais je veux pas non plus que tu viennes me taper une crise, si on est que plans cul. Parce que bon, hors de question que tu baises à droite à gauche mais que tu exiges de moi que je le fasse pas. J’ai assez donné, niveau mecs toxiques, ok ? »

Putain, si tu savais à qui tu parles. À quoi tu parles. Tu serais pas aussi direct, décontracté et… tranchant.

Bien sûr que tu ignores à quoi tu t’adresses. Mais en vérité, est-ce que cela changerait grand-chose pour toi si tu étais au courant ? Dans cette situation, il n’y a rien de moins sûr.

Jun te laisse parler, sans t’interrompre. T’écoute. Mais oh, ce sourire. Ce regard. Vraiment, il pourrait te voler ton souffle juste en une inclinaison de lippes. Tu restes silencieux, une fois que tu as terminé. Déglutis nerveusement, quand il se lève. Sent ton cœur s’emballer, quand il s’approche. Et ta peau se parsème de chair de poule et est parcourue de frissons lorsque ses doigts viennent te capturer le menton.

Tu en oublierais tes principes. Il n’a pas l’air si mal que ça, ce bureau, après tout…

Non. Tu dois rester concentré. C’est si dur, pourtant. Mais par chance, il utilise un mot qui te fait l’effet d’une douche froide. Danser, hein. Tu lèves les yeux au ciel. Retire ton menton d’entre ses doigts pour te libérer, dans un claquement de langue.

La suite, elle… te rends confus. Mais tu essaies de ne pas le montrer.

« Tu sais que je ne danse pl-… pas, Jun. Je te l’ai dit à mon entretien. »

Et puis, pourquoi il insisterait pour que tu danses ? Il ne sait pas ce que tu faisais avant, il te semble. Tu ne lui as jamais dit que tu avais été danseur professionnel. Ni… rien, en fait. Peut être que Roy, lui, en a fait mention avant de te présenter en chair et en os ? Tu ne penses pas. Si ? Quand même…

« Du reste, comme tu dis… »

Du reste quoi ? Qu’est-ce que tu veux ? Lui. Mais lui comment ? C’est physique, non ? Chimique ? Une lubie ? Une obsession ? Putain. Tu n’en sais rien. T’as jamais trop eu de relations, en vrai. Tu réapprends à vivre en tant qu’homme depuis que tu es arrivé à Arkham, avant tu ne vivais qu’en tant que danseur. Même le mec que tu as eu étais danseur. Et collègue, du coup. Ah.

« J’en sais rien. C’est pour ça que je viens te poser la question. Est-ce que c’est que du sexe entre toi et moi ? Est-ce qu’on est voué à se retrouver seulement à l’hôtel pour aller foutre en l’air les draps ou … »

Ou quoi ? Tu hausses les épaules, ramènes ta cigarette entre tes lèvres.

« Est-ce que je suis genre… « l’autre mec » que tu vas voir en secret alors que quelqu’un t’attends à la maison ? En fait, je sais rien de toi. Si ce n’est que t’es super attirant. Mais je dois voir quoi en toi ? »

T’aimes pas te prendre la tête. Mais t’aimes surtout quand il n’y a pas de non-dit, que tout es carré et que tu sais où tu vas avec ton partenaire, en fait.

« J’ai besoin que ce soit clair. Si on est pas foutus de mettre ça au point, tant pis. Je tournerai la page. »

Ce serait une sacrée perte, mais t’auras bien quelqu’un d’autre à te foutre sous la dent.

Et ce n’est pas comme si c’était le seul mec que t’avais en tête.

Actuellement.

Au pire, si ça s'arrête là, tu auras ton doudou qui t'attend à la maison. Tu t'enrouleras dans le sweat d'Arnold, en écoutant de la musique, tu chialeras cinq minutes ou tout la nuit et puis ça ira mieux après. C'est qu'un plan cul, après tout. N'est-ce pas ?

Putain, c'est chiant d'avoir le cul entre deux chaises.

C’est le bordel. Dans ta vie, dans ta tête, dans ton cœur, dans tout en fait. Tu essaies de garder contenance, mais il te touche, encore. S’approche. S’éloigne. Joue avec l’effet qu’il te fait. Tu cherches ton air, l’espace d’un instant. Tu retiens ta respiration lorsqu’il effleure tes lèvres. Rougis, sans le vouloir, mais incapable de t’en empêcher. Tu respires de nouveau, une fois qu’il s’est ré éloigné. Mais… ouh.

Et puis, il prend la parole. Te réponds. Tu n’es pas « l’autre mec ». Et ça te permet, déjà, d’éloigner un doute, une crainte, une possibilité de chose pas cool qui aurait pu arriver. Parce que tu n’as absolument jamais posé la question. Il aurait pu être en couple, fiancé, marié, engagé dans quelque relation que ce soit, tu n’as jamais pensé à poser la question. Et tu t’en veux, pour ça. Même si d’un côté, tu estimes que c’est pas ton problème. Mais ça, c’est une autre histoire. Il n’y a que toi, donc. Tu soupires, soulagé.

La suite, toutefois… Tu fais la moue. T’en sais rien, toi. T’en sais foutrement rien. Par chance, il te donne un peu de temps pour réfléchir. Parce qu’il te répond. Parce qu’il te dit que…

Oh.

Oh bordel. Oh putain. Oh bonne mère. Oh Seigneur. Tu sens ton cœur manquer un battement. Tu sens le rouge te monter aux joues. Tu sens… trop de questions affluer dans ton esprit. Est-ce qu’il se moque de toi ? Est-ce qu’il se joue de toi ? Est-ce qu’il plaisante ? Est-ce qu’il est sérieux ?

Tu fronces les sourcils.

Inspire profondément. Cherche ton courage. L’espace d’un instant, tu images ce que pourrait dire ou faire Mimo si elle était là, dans un coin. Sûrement à t’encourager. À te dire de foncer. Et puis, tu penses à Arnold. Arnold dont tu portes l’odeur sur toi, à cause de son sweat. Arnold qui ne te laisse pas indifférent non plus.

Qu’est-ce que tu veux ?

« Je ne sais pas ce que je veux. »

Voilà. Comme ça, c’est clair, net précis.

« En revanche, je sais ce que je ne veux pas. »

Tu déclares, essayant d’avoir l’air le plus sûr de toi.

« Et je ne veux pas avoir l’impression d’être une pute qu’on emmène à l’hôtel juste pour la sauter. »

Tu lâches. Ramène ta cigarette entre tes lèvres. Souffle ta fumée.

« Je… je… j’en sais rien de ce que je veux, voudrais, pourrais vouloir ! Je suis même pas certain de vouloir être en couple ou pas… Je sais pas si je te veux toi ou un autre… Mais je voulais au moins qu’on puisse se mettre au clair ! Je suis venu à la base pour mettre des mots sur tout et… »

Et en fait, t’es encore plus paumé. Pas fixé pour un sou. Tu soupires.

« J’aurais pas dû foutre les pieds ici… »

Tu finis par susurrer. T’as foncé dans le tas, et maintenant tu songes à battre en retraite.

« J’en sais rien… je te connais pas… »

Mais tu ne te connais pas toi-même, en fait. Peut-être qu’au fond… tu voudrais juste du temps pour apprendre à le connaître. En tant qu’homme. Pas en tant que patron. Aller manger au restaurant, visiter un musée, aller voir un film au cinéma… Peut-être aller se promener ou... qu’importe ?

« … j’aurais pas dû venir ici. »

Tu te répètes. Mais tu le penses vraiment. Clope entre les lippes, tu vas pour te lever. Pour prendre la fuite, donc.

Ses doigts attrapent ton poignet.

Tu ne te rends compte que maintenant de combien sa peau est froide contre la tienne. Mais cela ne t’alerte pas plus que cela. Tu n’y penses même plus, en vérité, lorsque son autre main vient s’enrouler autour de ta taille. Tu en oublies, également, de respirer. Ton regard s’embrume. Il est proche. Très proche. Trop proche. Tu finis par te forcer à inspirer profondément, lutte contre les rougeurs qui te montent aux joues.

« Je… euh… c’est… tu… »

Ah. Voilà, tu commences à bégayer et perdre tes moyens. Peut-être parce que dans ton esprit, les choses prennent un tournant plus… chaleureux. Tu déglutis. Finis par l’attraper par le col et coller tes lèvres aux siennes.

Si tu l’embrasses, pas besoin de répondre, si ?

Si…

Tu finis hors d’haleine à te détacher de ses lèvres. Tu essaies de retrouver ton souffle, et un peu de calme également. Vous aviez dit : pas au travail. Ce baiser est déjà de trop. Seigneur. Ai pitié…

« Je… »

Tu ? Il ? Nous ? Vous ? Elles. Parle, Elain, bordel ! Dans la catégorie « il te fait perdre tes moyens » ce mec se place là… Alors, tu te râcles la gorge.

« Désolé... J'aurais pas dû t'embrasser sans ton accord. Et... c’est pas toi que je fuis. C’est la crainte de me faire rejeter. La peur de me lancer dans quelque chose qui me fera du mal à moi. Ou pire, à toi. Me rendre compte qu’en fait, c’est pas ce je veux. Ou que tu seras pas capable de me donner ce que je veux. Ou inversement. Ou… y a trop de questions, trop de doutes, trop de peurs. J’arrive pas à éteindre mon cerveau et ça m’angoisse. Et je dois passer pour un type stupide… »

Tu prends un peu de temps. Une pause. Le temps de reprendre un peu tes esprits. Le temps de reprendre un peu ton souffle. Ta main se lève. Vient se poser sur le torse de Jun. Caresser le tissu. Tu baisses le museau, un peu penaud.

« Je… oui. Je crois que ça me plairait. De faire ça. Apprendre à nous connaître. »

Tu finis, tout simplement, par susurrer. Sincère.

« Et… Eh bien. Cela peut bien finir à l’hôtel, si jamais. Mais… après un vrai moment à… apprendre à se connaître, du coup ? »

Tu ricanes, te sens un peu bête. T’as l’impression d’être un adolescent.

« Ou même par SMS, hein… je veux dire. Y a plein de moyens de communiquer pour apprendre à s’apprivoiser. Mais… je sais que tu es sûrement occupé, alors… disons que je prendrais les minutes que tu veux bien m’accorder. En dehors du travail. »

Il répond à ton baiser. Et tu ne peux t’empêcher de rougir. Plus encore. Sa main au creux de tes reins te fait frémir. Tu… apprécies le contact. Mais ses mots qui arrivent par la suite... Tu déglutis. Baisse le regard. Bien sûr qu’il ne comprend pas… le reste toutefois t’encourage. Un peu. Peut-être. Te font totalement oublier le froid de ses mains.

« … t’es sûr ? »

Tu finis par demander. Un peu bête. Tu n’aimes pas l’idée de souffrir. Mais tu n’aimes pas non plus l’idée de le faire souffrir. Ah ! si tu savais. Un soupire. Tu viens déposer un baiser dans le creux de sa paume, alors que son autre main a retrouvé place au creux de tes reins. Tu clos les paupières, un instant. Réfléchi.

« Cela me ferait très plaisir, en vérité. De déjeuner avec toi. Ou diner. Ou bruncher, peu importe. »

Tu réponds, finalement. Sincère. Un sourire discret renaissant sur tes lippes.

« Mais tu es bien sûr que… ça ne te dérange pas ? Que je sache pas ce que je veux ? Je veux pas te faire perdre ton temps. »

Tu réfléchis trop, c’est dingue. Un soupire. Tu finis par venir te gratter la nuque, mais sans te défaire de lui. Tes doigts arrêtent leur besogne et viennent chercher les siens. Cela commence par le poignet, puis sa main. Tu veux la prendre dans la tienne. La serrer. Délicatement.

« … je n’avais pas fait attention jusque là mais tu es toujours aussi froid ? Tes mains sont gelées… »

Tu finis par susurrer, les sourcils froncés. Mais tu ne le lâches pas, non. Au contraire, tu viens mêler ta deuxième main, comme pour partager un peu de ta chaleur.

« Pardon. Je passe d’un sujet à un autre… »

Tu te penches très légèrement tout en menant sa main à ses lèvres. Souffle dessus. Pour la réchauffer. Loin de te douter que cela n’aura pas d’effet.

« Mais pour en revenir à nos moutons... j'aime bien, également, l'idée d'échanger par téléphone ? SMS ? Ou messagerie instantanée, peu importe. Cela... me donnera peut-être moins la sensation de "juste me taper mon patron". »

Tu souris. Ris, même. Doucement. Ce n'est pas si drôle, ce que tu viens de dire. Mais toi, ça t'amuse.