Tu étais né pour chasser, tu étais né pour dévorer.
Voici la seule fatalité empreinte d’aucune fatuité que tu te permettais; tu acceptais que tes doigts devaient plonger dans le sol meuble.
Que tu devais courir, dévorer, ravager.

Le monde et la vie; les proies et les prédateurs.
En ta bouche, nulle déraison, juste la passion.
Arcturus attisait l’appétit.

Tu t’étais décidé à revenir le chercher; à lui exiger qu’il se donne à toi, tout entier. Aucun doute quant à la pertinence de ta demande, ce qui était à toi demeurait à toi. Ce que tu pouvais demander; tu le demanderas car Arcturus avait attiré ta curiosité.

Les feuilles à tes pieds se brisaient en une âcre senteur et tu l’inspirais, profondément. Laissant ton corps d’artifices s’emplir de cet air superflu avant que tu ne captes son odeur.
Adossé à un arbre, ne semblait-il pas t’avoir vu.

Son regard était de jais dans le plumage de l’hôte de ces bois.

Alors tu marchais.
Sans cacher la brutalité de tes pas, sans cacher l’appétit de tes gestes.

Ton ongle le long du tronc, tu annonçais ta présence.

-Cher Arcturus.

Appréciant la tendresse de ta voix dans l’air sinistre.

-Te voilà enfin. La nature te saisit donc plus que moi?

Et tu riais les crocs dévoilés.

Qu’il se rebelle, le tendre, qu’il montre ses canines limées, l’enfant. Ne voit-il pas la jeunesse assommant sa rage, étouffant ses velléités de puissance. Il te paraissait si frêle dans ses habits de vent, à s’adosser contre l’arbre, à se fondre dans un décor trop large pour sa carrure.

L’ongle venait à la clavicule, tendrement, tout naturellement et le rouge de l’ongle rendait la chair mat d’une délicieuse couleur de sainté.

-Quel lieu qui me convient alors ? Je m’y sens bien ici, on y trouve… des proies très agréables.

Le doigt frôlait l’os perçant; l’os poindant sous sa chair avant de se stopper. Le va et vient t’ennuyait un peu Caenis; fallait bien te le faire reconnaître.

-Mh, le rouge donc ne me sied pas, c’est embarrassant. Dois-je le retirer ?

Et tu te penchais vers lui, laissant ton ombre l’étouffer, laissant la nature s’éteindre sous le silence de ta menace. Il sentait les fleurs fraîchement nées; les muguets à fleur d’herbe, toute naïve encore de cette terre l’ayant vu grandir. Fallais tu que tu te dénudes, offrant à la lune ta chair bénie?

-Oh mais tu es humble en plus… Je suis venu pour toi. Je reviens toujours pour toi, Arcturus. Flatte toi de me forcer à briser les règles.

Ta main prit en coupe le menton; et leurs regards enfin se rencontraient. Quelque chose d’autre en toi commençait à hurler; commençait à se faire reconnaître. Terrifiante sensation.

Il te faisait rire, glousser comme un enfant pris à l’acte de malice. Venait-il d’impliciter que tu devais mourir, rejoindre les éternels enfouis sous terre à respirer la mousse épaisse grandissant dans tes poumons ?

-C’est amusant que tu dis ça, j’ai un plaisir tout particulier pour le silence du marbre.

Tes yeux se faisaient fins quand il prit ta peau, quand il revendiqua son territoire défait sur ton poignet froid. L’assurance d’un damné à vouloir retarder son destin, c’était amusant. C’était exhilarant. Les feuilles bruissaient sous tes pieds quand ton poids s’avança. Ton torse fut contre le sien, appréciant toute la grandeur que ton être dégageait.

Tu voulais l’étouffer.
Tu voulais qu’il te supplie.
Tu voulais qu’il te demande de le prendre, d’arrêter, de laisser son être entre tes mains.


La désir devenait bestial, les passions devenaient sauvages.

La neige tapissait tes épaules, mais tu ne ressentais guère plus le froid. Quand tu étais humain, tu te rappelles de tes doigts recroquevillés par les fraîches nuits et ton souffle perdu entre les arbres.

-Arcturus, tu apprendras avec l’éternité que la raison n’est qu’un apparat des mortels pour se rassurer d’être soumis aux lois du monde. N’est-ce pas amusant de défier les limites ?

Sans peine, tu attrapas son poignet, enfonçant tes ongles tendrement. Veillant à ne pas tirer le sang, veillant à ne pas provoquer la Bête.

-Oh non, non. Tu ne comprends pas. Ce n’est pas moi qui suis pris à ton jeu, c’est toi qui dans le creux du mien. Je t’attraperai autant de fois qu’il me plait et je t’abandonnerai quand tu me serviras plus.

Tu disais ça Caenis, mais tu étais d’une nature faite pour être rendue addicte.

Arcturus se faufilait sous ta peau; délicieux venin comme ce sang dont tu refusais de relâcher l’emprise. Tu sentais encore cette chaleur nourricière en tes bras, infusé dans l’ondée même de ton être.

Tu voudrais le faire taire, le rendre comptine enfantine entre tes mains puissantes, le broyer puis le chérir, l’aimer puis le dévaster, recouvrir sa peau de tes crocs. Il parlait trop, il s’offrait du decorum pour ses plaies avilées et tu rigolais doucement. La neige recouvrait tes épaules;

Manteau de l’hiver.

-Tu jappes trop pour un Immanis. Ça ne te va pas.

Alors tu griffes sa joue, ses lèvres, lentement, anticipation raffinée d’un enfant inexistant. Tu savoures le monde où il sera que trop faible pour refuser ta violence. Tirer le sang serait si aisé, tu le sais Caenis, il suffirait de rompre le tronc là derrière, porter ta puissance pour fracasser ses tendres articulations.

Mais tu recules d’un pas, laisse le doigt encore porteur de son odeur le long de ses lèvres avant qu’il ne les écarquille, malfaisant.

-Oh mais tu dois y participer ou je t’y ferai participer. J’aime jamais me distraire seul, et tu me fascines. Tu me fascines autant que je te désire mais ce désir n’est pas un que j’aime entretenir longtemps.

Vivement, tu te saisis de son cou.
Tu serres, tu retiens l’éviscération.

-R E P O N D S  M O I.  

Ça te rendait fou. Ça te rendait dingue. Ce feu dont l’origine ne pouvait plus être décrite.

-Qu’as tu dans le sang ?

Il feulait presque, feulait contre son oreille. La faim tendait tes tripes, la faim devenait aigreur.