Il court à ses côtes des tendresses malignes ; complices.
Il y a quelque chose comme une amertume qui empoisonne la salive.
Il y a quelque chose dans les yeux tristes du prince, il y a quelque chose dans les yeux mélancoliques de son Joyau ; il y a une douceur qui se dégage de chaque morsure - chaque prise refermée cruelle sur les hanches.

Il y a la peur qui flotte sans être nommée - jamais - il y a peut-être de l’amour mais Ophrys l’a avalé tout entier et s’en est goinfré.

Javier semble flotter - Ophrys a le regard ouvert en entier.
Il fait courir ses doigts dans les draps où le Prince est assis le dos courbé.
Il s’invite contre sa colonne vertébrale, le front est chaud - le souffle aussi lorsqu’il s’épuise contre la peau de son amant de tous les jolis soirs.

Tu es inquiet, mon tendre.

Les longs cils noirs chatouillent l’épiderme.
Un sourire las s’invite aux lèvres.
Il ronronne presque contre lui, la joue s’amourache.

La voix est calme lorsqu’elle se lève.

Tes yeux sont hantés comme ceux des hommes qui rêvent et cauchemardent - dois-je m’inquiéter que tu disparaisses, toi aussi ?

Il papillonne des paupières ; cela ne devrait pas l’étonner, Javier a toujours été possessif - le regard coule sur sa peau ; cela ne devrait pas l’étonner, pourtant le goût au palais est différent - un genre d’amer. Ophrys ne compte pas se jouer de lui - il souffle un sourire, les lèvres scellées tendrement.

Si je devais partir, ce serait pour que tu me retrouves - quelle petite sotte je ferais de m’exclure de tes bras pour une autre raison que de goûter plus fort à tes amours.

Comme un chat qui s’invite, la cambrure du dos se délie dans un craquement sourd, Ophrys s’amourache de mille tendresses dans le regard ;

Une douceur dans la voix qui se lève.

La dernière fois, tu me disais que ce n’étaient pas les Carnis qui t’inquiétaient. J’imagine sans mal que ce ne sont pas non plus les Chasseurs…

Javier devait savoir la guerre personnelle que Ophrys menait contre eux - et les trophées déjà fièrement remportés en leur arrachant des têtes. Ce n’était pas ça qui inquiétait son Prince, il le savait ;

Qui donc dois-je faire tomber à genoux pour te rasséréner, mon doux ? Y a-t-il quelque chose que je puisse faire ?

Il ronronne contre sa main, contre ses doigts, se délecte des caresses comme s’il pouvait s’agir des dernières ; il enregistre à l’épiderme toutes les sensations qui y vibrent. Il tremble au-dedans de sa cage thoracique des échos d’un passé proche ; des voix insidieuses sous le crâne ; des vermines qui grouillent le long de la colonne vertébrale.

Sous ses longs cils noirs, le regard s’inquiète ;
Ophrys ouvre des lèvres dans un chant de sirènes ; dans un charme anodin - léger, de surcroît - rien qu’une inquiétude déjà présente au coeur du Prince sur laquelle il insiste ; en se donnant l'air de le rassurer en même temps.

Yael Crestia est une personne aux mystères innombrables - mon tendre. De comportements étranges, les Funerus n’ont que ça.

Le chant s’arrête - la sensation demeure lorsqu’il poursuit.

Leur mal pourrait être imprégné jusque dans les murs de la ville que nous ne le verrions pas - avez-vous fait quoique ce soit pour vous attirer leurs disgrâces ?

Le regard ne se permet pas - Ophrys a la délicatesse de ne pas décortiquer la peau du prince qui se gangrène. Mais il sait - il a vu - depuis plusieurs nuits déjà.

Je pourrais parler à leur ministre - je pourrais leur demander quoi que ce soit. M’est avis, cependant, que d’un Vanitas ou d’un Patricius, le seul langage que leur engeance entende est celui de Materias.

Souffle doucement.
Murmure.

Si tu me le demandes, je pars avec toi.

Instigue une pensée, une seule.
L'éventualité d'une fuite jamais évoquée.

Il souffle des narines.
Les paupières tombent mi-closes.
Attendri, peut-être ; par la noirceur de son âme qui gangrène jusqu’à son regard ; par la brûlante conviction qui le traverse ; par la folie qui semble dévorer sa conscience.
Ophrys n’a pas d’amer ; pas de frustration.

Ainsi soit-il, alors.

Il avance le haut de son corps ;
Invite des mains sur les épaules du Prince ; et Ophrys le pousse sans aucune forme de brutalité, mais ferme - il le retourne le dos sur le matelas - fait quitter la prise que le Prince tenait à l’égard de son visage.
Une jambe de chaque côté des hanches, le dos droit ; Ophrys le regarde d’une hauteur certaine mais sans dédain.

Que cette ville soit notre tombeau - que veux-tu en faire, alors ?

Un air sérieux flotte dans le regard.
La voix est murmure.

Et qu’est-ce qui t’en empêche ?

Combien de temps te reste-t-il avant que ce qui grouille sous ta peau ne te dévore - puisque tu as l’air de le craindre sans oser le dire avec des mots ?

Ophrys ignore s’il est inquiet ou méfiant ; il croit que le Prince se désagrège sous ses doigts ; et dans le regard fou de Javier s’articule des lueurs qu’il n’avait jamais définies jusque là.

Il dessine de ses cils pointés vers le Prince le trajet de la gangrène qui mord sa peau laide. Les Funerus étaient-ils à l’origine de son mal - pourquoi n’a-t-il rien entendu, rien vu venir - lui qui avais délié toutes les langues de cette maudite ville - de cette maudite cour - de ce maudit essaim de parasites ?

La colère grimpe sans qu’il ne l’ait vue venir ;
Il reste calme - serein que d’apparence.

Ce qu’ils ont fait… est-ce eux qui t’ont fait ça ?

Les lèvres pincées dans une mine amère.
Les doigts glissent sur les siens, il laisse le Prince libre de ses mouvements en se retirant d’au-dessus de lui.

Considère ta prière entendue - mon bel amour. Je sais ce que j’ai à faire.

Nébuleux ; comme toujours.

Le regard sous les cils recourbés est tendre ; la colère de Javier ressemble à ces rages folles et irraisonnées des animaux sauvages dont la patte est attrapée entre des crocs métalliques. Ophrys le voit aveugle ; sourd ; malade ; mais pas idiot pour autant.

Il songe que si son Prince craint désormais de mourir, c’est que son Prince est redevenu vivant.
Et un instant, Ophrys songe que l’immortalité était peut-être terminée pour eux - cela ne lui plaît guère, mais cela plaît à une toute petite partie de lui qui gronde dans ses entrailles.

Je ne mourrai pas.

Jamais ; pas avant de s’être accompli ;
Il lui adresse un sourire triste, et la voix se permet une complicité qui n’appartient qu’à eux ;

Rappelle-toi ; pas avant d’avoir mon nom inscrit dans les étoiles.

Il glisse ses doigts sur le visage de Javier, replace certaines de ses mèches de cheveux.

Je viendrai te retrouver. Où que tu sois - mon aimé - si tu venais à disparaître ; dépérir ; je viendrais te retrouver.

Dans l’au-delà ;
Car Ophrys ne mourrait pas avant de transcender les états illusoires de la vie - s’était promis de devenir une déité et que c’était par ce biais que ses pieds quitteraient la Terre et pas fauché par une prétendue inévitabilité.
S’était enorgueilli de son immortalité.