1448

journal de jeanne moranges, nourrice assignée à la famille banceline

- Le petit est né. Il est gras, un bébé dodu, bien portant. Madame a oeuvré comme une sainte toute la nuit ! Monsieur est toujours en guerre. J'ai dis au prêtre : il faut que monsieur revienne ! Un héritier, il faut que son père le voit ! Mais le prêtre m'a dit que le royaume de france a besoin de ses guerriers les plus forts, et qu'un héritier passe après le pays. Tous les mêmes les prêtres ! Je crache sur mes mains et je demande à la bonne Sainte Vierge de pardonner mes médisances - ah non, j'veux pas d'histoire avec le Malin... Mais j'parie que celui-là, ce prêtre, il va pas donner son linge aux lanvandières pour le seul plaisir de sentir le propre. Ah, moi j'en suis sûre, il va fricoter avec la chair. Parole de Jeanne Moranges, il finira au purgatoire ! Ah, j'entends le petit pleurer. Madame a dû s'endormir.

- Il est curieux le petit. Il mange peu. Madame croit qu'il est malade. Moi, je pense qu'il fait son difficile ! Croyez-le ou non, j'ai vu son petit nez bouger quand je lui ai présenté mon sein ! Il renifle ! Et si ça lui plaît pas, il braille ! Faut que je sois toute propre et toute lavée et faut que je me savonne avec du savon à l'huile de lin ! Rien que ça ! Je dis ça, c'est parce que c'est le seul moyen pour qu'il cesse de pleurer et accepte de manger. Où avez-vous vu ça vous ? Vraiment, il est curieux le petit.

- Monsieur est mort. Il aura jamais vu le petit. Madame en est si chagrinée, elle a arrêté de se balader dans les jardins. Elle ne le regarde même plus, le petit. Et le petit, il la cherche. Moi j'sens bien. J'sens les choses. Je suis maman. Le petit, il a toujours les yeux sur sa mère. Je me demande bien ce qu'il se passe dans sa caboche. Est-ce qu'un bébé pense comme nous ? Dieu seul sait ! Mais je sens bien, je disais - je sens bien que le petit cherche sa mère. Encore un qui va grandir avec des caprices plein la tête et une passion pour les femmes qui ne voudront pas de lui.

1478

rumeurs dans le village

“Mais si je te le dis ! Il y a six jours de ça ! Je l'ai vu à la sortie du bordel, le froc en bas jusqu'aux chevilles et les larmes pleins les joues ! Le jeune Godefrois doit regretter d'avoir célébrer ses trente ans là-bas !" Le vieux rit et l'aubergiste remplit sa choppe.
“Je te parie ma bourse qu'il a dû essuyer un énième refus de la belle Lisette. Combien de fois tu crois qu'elle l'a éconduit ?" L’aubergiste hausse les épaules et grommelle. Il n'aime pas trop parler de l’héritier Banceline aussi ouvertement - sait-on jamais que des gens du château soient présents, entendent et déclarent un affront au nom de leur maître.
“Moi, quand je suis rentré du marché de Langevin, hier soir, dans la nuit, je l'ai vu. Godefrois Banceline. Sur ma route, je l'ai vu." C’est un homme au comptoir qui parle, la barbe sale et les vêtements tachés de boue. Il toise les deux autres avec un air grave. “Couvert de sang de la tête aux pieds ! Nu, comme au premier jour ! J’ai croisé son regard…on aurait dit un démon.”
L’aubergiste et l’habitué échangent un silence avant de s’esclaffer. “Allons, qu’est-ce que tu nous sors là pauvre bougre ! Sornettes !”
“Non ! Je dis vrai ! Même qu’un autre homme était là. Dans l’ombre, à la lisière de la forêt. Il semblait le regarder. Et y’a pas que ça ! Je ne l’avais pas tout de suite remarqué mais, dans le champ, il y avait un cerf. Un gros ! Et… Le jeune Godefrois, je l’ai vu courir après… comme un loup. On aurait dit un loup. Un loup aux yeux rouges.”
Encore une fois, l’aubergiste et l’habitué s'esclaffent, redoublant d’hilarité. “Un loup aux yeux rouges ? Arrête le vin mon ami. T’as l’imagination bien fertile mais il y a des limites à la bêtise !”
“Je le jure sur la tête du Seigneur Jésus ! Je dis vrai ! J’ai vu le jeune maître courir après la bête et l’attaquer ! Il a abattu le cerf ! Je l’ai vu ! Il ne ressemblait même plus à un humain ! L’homme qui se tenait à la lisière de la forêt est resté immobile tout du long. Juste là, à regarder ! Et même si j’étais loin, je sentais qu’il avait remarqué ma présence ! Il ne m’inspirait rien d’autre que du danger ! Je n'en reviens pas d’avoir encore ma peau sur moi… Oui, moi - moi, c’que j’en dis… c’est que ce sont des démons !”
“Tiens ta langue !” L’aubergiste siffle entre ses dents, toute joyeuseté oubliée. “J’veux pas de ces bigoteries chez moi ! Y’a pas de démons sur nos terres ! Le jeune maître est un peu excentrique, mais c’est un homme bien !”
“Vous n’avez pas eu écho de ce qu’il s’est passé dans la ville de Nîmes ? Les attaques ? Toutes ces jeunes femmes retrouvées mortes… L’évêque a dit que c’est l'œuvre du Diable  ! Eh bien - Nîmes est à deux jours de cheval ! Peut-être que le Diable est venu ici, et peut-être que le jeune Godefrois est devenu son émissaire !”
“TAIS-TOI !” L’aubergiste gronde et l’homme se recroqueville sur son tabouret. “Jamais le jeune Godefrois ne s’associerait au Diable ! Finis ta chope et va t’en.”


1720

lamentations d’un mari cocu à son valet, viennes.

“J’aurais sa peau ! Ce scélérat ! Ce fornicateur de bas étage ! Ce petit rat blond de pacotille ! Cette engeance de chèvre !”
“Comte Wartzhoff, je vous en prie, calmez-vous… Nous pourrions vous entendre dans le salon d’à côté.” Le valet transpire. Il est agité.
“Je le ferai pendre ! Non, trancher la tête ! M’humilier de la sorte, et ce devant la famille du Duc ! Pour qui se prend-t-il ? Floqué de ses bijoux et de ses parures en soie comme s’il régnait sur Navarre ! La belle affaire ! Sait-il qui je suis ? Le sait-il ?!”
“Comte Wartzhoff, songez à votre asthme ! Je vous en conjure, prenez siège et calmez votre colère…”
“Non ! Pas lorsque ce chien de français se pavane dans mon palais et saute ma femme dans le boudoir dès que j’ai le dos tourné ! Il croit peut-être que sa noblesse et sa beauté lui assurent la protection de la Cour de Vienne… Je lui prouverai que non ! Sur mes aieux, le larron paiera ! Quand je pense qu’il étale sa science et sa culture comme s’il avait vécu des siècles - le drôle ! L’idiot ! Il a peut être su séduire cet imbécile de Duc et ce niais de Prince Philippe, mais moi, je vois à travers son petit jeu !” Le Comte prend son valet par les épaules. Il a l’air d’un fou emporté par la fièvre. Le valet blêmit.
“Nuls parfums offerts, nuls mots doux décrivant ses voyages en Orient, ni aucune de ses relations avec le Dauphin de France ne seront le préserver de ma vengeance !” Le valet déglutit. Le Comte ricanne.
“Ce n’est qu’un prétentieux, un petit opportuniste sans ambition qui veut s’acheter la compagnie des puissants ! Ah ! Je parie qu’il n’a jamais fait la guerre ! Je parie qu’à la vue du sang, il s'évanouit comme une nonne à la vue du Diable ! Ma femme doit être une sotte - non, une aveugle. Ce Banceline n’a rien d’un homme ! Ni couilles, ni honneur ! Ah ! Un Eunuque si ça se trouve !” Le Comte est hilare. Le valet n’ose plus rien dire. Le valet sait, après tout, pour avoir aperçu Gold Banceline à la lueur d’un soleil couchant, qu’un homme dont la peau scintille et dont les canines luisent, ne promet rien de bon. N’y avait-il pas des rumeurs, il y a de cela quelques semaines encore, à propos d’une bête qui aurait décimé toute une horde de cerfs et de biches dans la région Saxe ? N’était-ce pas là où le jeune noble français avait résidé avant de venir en visite à Viennes ? Le valet songea un instant que, si le Comte venait à tenter de nuir à Gold Banceline, il se retrouverait sans travail - et sans maître.


1850

confessionnal de l’église de saint-sulpice, paris

“Je vous écoute mon enfant. Quels maux accablent votre coeur ?”
“Mon père, sachez que je ne crois pas en Dieu. Ou alors si, un peu. Non, en fait je ne sais pas ! Mon père, est-ce que Dieu existe ? Ce n’est pas le sujet - mes excuses ! Je me présente à vous car j’ai ressenti le soudain besoin de me confier.”
“Je ne suis pas certain que cela-”
“Voyez-vous, en me levant ce matin, en regardant mon beau visage dans le miroir, j’ai été pris d’une bouffée intense de panique. Suis-je devenu un être vain ? J’ai passé la nuit à profiter des filles du bordel de Madame Gallant et peut-être étaient-elle le vice de trop… Ah, mon père, si vous saviez comme les joies de la chair sont bonnes - pitié sur vous d’avoir choisi de consacrer votre vertu à l’Eglise. A moins que vous ne fréquentez ces bonnes maisons de plaisir ? L'évêque Polland les fréquente après tout, c’est bien connu. Ah, je digresse ! Est-ce que ma vie se résume à cela à présent ? Charmer, voyager, plaire, être demandé et adulé… Concocter les meilleurs parfums que la Terre ait connu… Je me sens comme Atlas portant le globe, chargé de gloire et de lauriers mais souffrant de s’y perdre ! J’ai peur de m’ennuyer - voyez-vous… SI je m’arrête, si j’arrête de charmer, de voyager, de plaire - que me reste-t-il ? L’ennui ! Les souvenirs… La peur ! Mon père, j’ai peur de mourir ! Si je m’arrête d’être tel que je suis à présent, ne deviendrais-je pas une proie facile pour la Mort ? Ah non ! Je ne veux pas mourir ! Je ne mérite pas de mourir ! Certes, j’ai moi-même induit la mort d’autres - mais, qui puis-je ? C’est dans ma nature. D’autant que je me suis racheté une conduite - ma faim est sous contrôle. Oui, tout à fait. Je vous aime, après tout. J’aime les humains."
“Je ne suis pas sûr de vous suivre, mon enfant…” Est-ce un échappé de la maison des fous de Saint-Anne qui est venu le voir ?
“Merci de m’avoir écouté. Je me sens mieux. J’ai besoin d’une coupe de champagne. Demain je pars pour le Maroc ! A bientôt mon père. Ou pas. Vous vieillissez, il est vrai… et moi non. J’aurais une pensée pour vous lorsque je reviendrai à Paris pour le nouveau siècle, promis.”


2006

journal n°143, paris, france

Aujourd’hui, j’ai fais ce que jamais je n’aurais pensé faire un jour. J’ai transformé une humaine. Ce n’est qu’une enfant… A mes yeux, tout du moins. Je regrette. Est-ce vrai ? Est-ce que je regrette ? Non. Oui. Je suis en proie au doute ! Que dois-je faire ? Après des siècles aux années folles, à la vie décousue et aux voyages incessants… me voilà avec une enclume à la cheville. J’en suis l’artisan - je ne peux que me pointer du doigt. Qu’est-ce qu’il m’a pris ? Mimosa, vas-tu me haïr pour cela ? Pour ce que je t’ai fais ? Je mentirais si je disais que je n'avais pas apprécié sa compagnie et son excentricité ces derniers mois… Alors d'avoir cédé à mon orgueil, la transformant pour lui apprendre une leçon : que c’est idiot, que c’est bas. Ou peut-être que ma solitude a eu raison de mon esprit ? Peut-être mon subconscient a-t-il conclu qu’avoir une protégée saurait tromper l’ennui et mes peurs. Je ne sais pas ! Je ne sais plus ! Ce que je sais, en revanche, c’est que je ne serais pas pour elle ce qu’a été mon créateur pour moi : un fantôme. Elle est ma responsabilité, mon enfant. Oui. Je la supporterai jusqu’au bout. Si elle doit me haïr, si elle doit m’en vouloir - je l’accepte… Ma sagesse et mon âge sauront éponger sa jeunesse. … Non, j’en pleurerais ! Je ne veux pas qu’elle me haïsse ! Je ne veux pas être détesté ! … Gold, ressaisis-toi. Il suffit.


aujourd'hui

journal n°150, paris, france

Je ne pensais pas apprécier Arkham un jour. Cette ville ne m'a jamais inspiré autre chose que des nuances de gris et des parfums de mort. Je pressens du grabuge, cela dit. L'heure est aux tourmentes et aux changements... Loué soit le jour où les Regeneratios cesseront de nous chasser - damnés soient-il. Le Prince devrait ordonner leur totale annihilation. Diplomatie et faux-semblants à la poubelle ! Le prix du sang pour la rançon du sang ! ... Allons, je ne vais pas ternir ces pages avec mes pensées les plus sombres... Après tout, c'est le cinquième anniversaire de Champagne, notre chat. Je me demande si Mimo a pensé à récupérer la commande de poisson que j'ai faite chez monsieur Smith. L'étourdie, je suis sûr qu'elle a oublié ! C'est un miracle que le Prince ne m'ait pas fait éxécuter pour lui avoir présenté une enfant aussi unique. C'est un miracle que mes nerfs soient toujours intacts. C'est un miracle, ajouterais-je encore, que ma boutique n'ait pas fait faillite depuis qu'elle m'y a rejoint ! Shh, Gold. Aujourd'hui est une célébration. En conséquent, je me promets de ne pas être aussi stricte qu'à mon habitude avec elle. C'est une bonne fille, Mimosa, je le reconnais. Et pour l'heure, la vie nous est douce.

▬ Il est né dans une famille noble, son vrai prénom c’est Godefrois Gilderoy François de Banceline mais c’est moche et comme il aime l’or, il s’est renommé Gold et puis… Gold Banceline ça sonne mieux que Godefrois tralalala trente-six noms différents.

▬ Il a été transformé peu après l’anniversaire de ses 30 ans ; son créateur; qui sévissait dans la région, a soudain pris Gold pour cible ; il n’avait rien d’un gentil et ne lui expliquera jamais les réelles raisons l’ayant poussé à transformer Gold en vampire.

▬ Au moins, son créateur l’a éduqué sur la vie de vampire, l’importance de soigner sa faim, son apparence et son parlé - ainsi que les rouages de la Cour, les diverses figures que les Vesperis vénèrent etc. Après une vingtaine d’années, estimant qu’il avait rempli son devoir, il a mystérieusement disparu, laissant Gold dans un profond désarroi et une grande frustration.

▬ Gold s’est sans cesse réinventé comme descendant ou parent lointain de sa famille afin de flouer quiconque aurait des doutes sur ce qu’il est.

▬ Il a beaucoup voyagé, a accumulé des richesses, car a un don pour le commerce et la flatterie et s’est forgée une image d’érudit, de dandy savant et charmeur.

▬ Il a fréquenté toutes les cours royales d’Europe ; ça lui plaisait de pouvoir charmer et de rencontrer d’illustres personnages ; il aime être le centre de l’attention au moins autant qu’il aime en porter à quiconque est suffisamment excentrique ou fascinant pour accrocher son regard.

▬ Il a causé pas mal d'incidents diplomatiques (parce qu’il courtisait les femmes mariées, mais aussi parce qu’il menait une vie de libertin partisan d’idées jugées problématiques par l’Eglise) maaaais s’en est toujours sorti !

▬ Il a vécu presque un siècle au Maroc, un pays dont il est tombé amoureux.

▬ Il revisite fréquemment la France et son ancien domaine aujourd’hui transformé en Escape Game (il en meurt de rage mais ne peut rien y faire).

▬ Depuis qu’il a transformé Mimosa, il a décidé de vivre à Arkham parce que selon lui, cela facilitera mieux les premières années de sa protégée d’être près de la Cour et des autres clans - l’apprentissage de la vie vampire tout ça tout ça. Il prend son rôle de père créateur très au sérieux.

▬ Il a du dédain pour la plupart des autres Vesperis (en dehors de son propre clan) et ne s’en cache pas, car la plupart sont, selon lui, bien trop laids et bien trop malodorants. Un Vanitas vaniteux jusqu’au bout.