can you save my heavy dirty soul.

Andrea se demandait souvent : avaient-iels l'air sales, aux yeux des Vesperis ? Ou, alors, n'étaient-iels que des Hommes rongé-es d'un autre mal, un parmi tant d'autres -des perdu-es, au berger blanc, dont la pureté apparaît moche, funeste, dérangée ? Le bleu paraissait-il trop froid aux Vampires, trop dénué de vie ; étaient-iels désolé-es, du spectacle ? de l'énergie déployée en un acte qu'iels pensaient vides ? de la sainteté qu'iels croyaient fausse, mimée, moqueuse ? Finalement, les Regeneratio n'étaient-ils pas leur croix à l'envers -celle qui se devait d'avoir le segment le plus petit au plus bas, et non pas là-haut, trônant au-dessus du trait vertical ?
Oui, Andrea se demandait souvent s'iels n'étaient pas simplement des démons pour l'un-e et des anges pour l'autre. C'était, après tout, souvent une question de perspective. Dans l'absolu, le bien et le mal n'étaient pas des notions existantes ; il n'y avait que les vivants pour associer de telles valeurs aux choses. Et, inévitablement, l'humain avait pris le parti de l'humain. Pouvais-tu lui en vouloir, Caenis ? Andrea se plaît à croire que tu aurais fait la même chose à sa place. Il ne te le demandera jamais : tu as probablement oublié ce que cela peut bien vouloir dire. Ce ne serait pas une réponse réelle. Ce ne serait pas --méthodologique.
Sous la lumière, la peau a l'air encore plus morte. Elle a des reflets verdâtres des néons peu chers, l'irréalité des gens qui n'appartiennent pas à cette époque. Andrea se dit, alors qu'il te voit, que cela est évident -qu'iel aurait su, même si tu n'avais rien dit.
Iel se doute que ce n'est que son ego qui parle.
Caenis. Une salutation comme Andrea les faisait toujours : lointaines, strictes, peu sympathiques. Et, comme toujours, ces mots-là sonnaient bien à tes oreilles. C'était bien pour cela que cette relation, qu'importe sa nature, fonctionnait entre vous. La vie était devenue une chose étrange entre vos mains. Non, ce n'est pas de la mémoire dont il faut se méfier. Il faut se méfier du reste : des serments, des promesses, des autres et du hasard. Enfin, peut-être de la tienne. C'est à toi de me le dire. La Papesse enlève son trench coat, le plie précisément avant de s'installer sur sa chaise. Le thé ne lui donne pas envie. Son costume bleu lividifie son teint. On se demanderait qui est humain entre vous deux. Attends-tu depuis longtemps ? Il écarte la tasse, sort une bouteille en verre remplie d'eau. Il n'adresse pas un regard au liquide de son voisin. Cela ne l'intéresse pas. Le dilemme sera pour plus tard. Je suis pile à l'heure. Cela voulait dire : as-tu oublié ? t'es-tu trompé ?
Y a-t-il, chez toi aussi, un éreintement à venir ?

can you save my heavy dirty soul.

Il n'y avait, vraiment, rien de bien intéressant dans cette pièce. Les gens sont simples, comme vous : les gens se parlent, les gens s'attendent, les gens se rencontrent. Les gens s'apprécient ! Sans s'aimer, sinon cela ferait mal par la suite, les gens s'apprivoisent ; les gens batifolent, les gens ne pensent à rien, les gens boivent ce qu'on leur tend, ne rajoute ni sang ni tourment, à quoi bon ! Les gens vivent, voilà tout.
Vous n'êtes, évidemment, aucun de ces gens-là. Loin de vous les habitudes, vous gardez pourtant les mondanités, parce qu'Andrea lève le petit doigt quand il boit, et toi tu remues ce thé coloré comme si son parfum te ravissait.
C'est bien ce que je me demande, Caenis. Qu'est-ce que le temps pour toi ? A-t-il encore une valeur ? Comprends-tu que je pourrais te tuer si je le voulais ? Cela change-t-il quoi que ce soit ? C'est un aveu tranquille, soufflé dans le silence du reste de la nuit ; il ne le veut pas. Il ne le fera pas, sauf s'il n'a plus le choix, et encore, il le sait : tu le tuera en premier. Andrea joue avec le feu et cela ne lui fait plus rien. Andrea connaît la vérité et ment quand même, mal comme il le fait toujours, avec un air dérangé, pas malaisé ni inquiet mais inquisiteur. Il veut savoir : vas-tu mentir à ton tour ? Hé bien, comme à l'habitude, ce qui, je suppose, puisqu'il n'en sait rien, réellement, veut dire plutôt bien. C'était chose étrange que d'être éloigné de son humanité, tu ne trouves pas, Caenis ? Certaines idées ne font plus sens. Elles ne se retrouvent plus sous la coupe de l'évident, elles deviennent nébuleuses, étranges. Quel intérêt à qualifier son état lorsqu'il s'agira toujours de faire ce qui doit être fait ? Et toi ? D'humeur bavarde, alors ? L'observation n'était pas très difficile. Andrea, évidemment, est charmé par ce cœur offert sur sa main ouverte. Il n'a jamais été très bon pour refuser ce qu'on lui offre, tant bien est que cela l'intéresse ; en ce moment, rien ne l'intéresse plus que toi.
C'est pour cela qu'il faut ajouter un peu de Mens dans la conversation, qu'il faut la justifier ailleurs que par la sympathie, que par l'affection étrange qui lui ferait du mal comme tu ne peux pas imaginer -ah ! te rends-tu compte, Caenis ? Dans ce cas, raconte moi plutôt autre chose, veux-tu ? Je pourrais apprendre tout cela, les révoltes, les changements, les avancées et toutes les autres choses humaines qui devaient te sembler bien petites, d'un livre, ou d'internet, ou de n'importe qui d'autre, ça n'a pas la valeur que ça devrait avoir en sortant de ta bouche. Que dirais-tu ... oh, des déesses vesperiennes. C'est un bon sujet, il me semble. La main se lève. A travers la transparence du verre, tu peux le voir encore. Il se délecte de deux gorgées. En basculant sa tête en arrière, sa gorge est visible.

can you save my heavy dirty soul.

Ah ! C'est probablement ce qui se rapproche le plus d'un rire, et pourtant l'exclamation est rauque. Il ne rit pas parce que c'est drôle, mais plutôt parce que c'est grotesque ; vous savez, l'un comme l'autre, que le terrain est glissant mais surtout illogique. Quel intérêt à la mort, de vous, de l'autre ? Vous n'étiez pas des bonnes équipes pour cela. Non, cela ne m'irait guère. Et je le dis pour Mens : c'est parce qu'il peut être utile. C'est vrai. Il le pense. Mais il ment aussi. Peut-être un jour te laissera-t-il mordre sa nuque, et il dira à Mens : c'est pour l'empoisonner. C'est vrai, il le pensera. Il mentira aussi.
J'étais une autre personne à l'époque des classes, Caenis. Tu ne m'aurais pas reconnu, probablement aussi ne m'aurais-tu pas apprécié : je parlais fort, et avec beaucoup d'émotions inutiles. Des fardeaux, pensait-il, dont vous vous étiez défaits il y a longtemps, en ce nouveau bonheur étrange qui vous étreignaient chacun en sens inverse. Bien sûr, Materias. Unique, évidemment. Il note : théorie de Maria contre-argumentée par Caenis. Ne compte pas comme une preuve irréfutable. Incomparable. Dis-moi, lui dédis-tu ta mort ? Andrea ne te voyait jamais rien faire, si ce n'était d'attendre (lui, et d'autres aussi). N'était-ce pas l'inverse de la matérialité ? Ne te fallait-il pas des fêtes, des exagérations, des explosions ? Le culte calme lui semblait être une erreur de jugement.
Andrea ne réagit pas aux affronts. Cela ne l'importe pas ; il n'est ni guerrier ni fier et surtout il connaît la vérité. Peut-être leurs vies individuelles n'étaient pas éternelles, mais l'Ordre l'était et, à l'image des fourmis, les têtes couronnées pouvaient changer, mais jamais l'aplomb. Tu avais oublié de cité le clan exterminé. Finalement, c'est presque comme si tu avouais que le combat était injuste, et qu'en cela les Regeneratio étaient extraordinaires. En y réfléchissant, nous avons notre organisation, il ne précisera rien, vous avez votre mère, et les Homines n'ont rien d'autres qu'elleux-mêmes - n'est-ce pas triste ?